MERRY ALPERN & HARRY GRUYAERT

Société / Spectacle
Exposition
Photographie
Galerie Miranda Paris 10
(g) Harry Gruyaert 'TV Shots' (d) Merry Alpern 'Dirty Windows'

HARRY GRUYAERT, TV Shots, 1972
Cibachromes de l'époque, uniques
(c) Harry Gruyaert / Galerie Miranda

Merry Alpern, Dirty Windows 1993
Tirages argentiques de l'époque, edition limitée signée au verso par l'artiste
(c) Merry Alpern / Galerie Miranda

Au printemps 2022 la Galerie Miranda expose deux séries photographiques mythiques :  Dirty Windows de Merry Alpern et TV Shots de Harry Gruyaert.  Toutes deux nous font réfléchir sur la convergence, depuis les années 1960, de la vie réelle avec la vie virtuelle de l'homme, et de la marchandisation de l'expérience humaine. L'exposition emprunte son titre du célèbre manifeste la Société du Spectacle (1967) de Guy Debord, pour lequel “Tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation." 

Pour Debord, le mot 'spectacle' fait référence aux phénomènes de la vie quotidienne issus de la société capitaliste qui ensemble génèrent un mode de reproduction sociale fondé sur la reproduction de marchandises. Ainsi la série TV Shots de Harry Gruyaert documente le 'spectacle' de la société anglaise en 1972 vu à l'écran d'une télévision déréglée qui transforme toute image en tableau Pop Art, pixelisée et psychédelique.  En 1993, vingt et un ans plus tard, Merry Alpern photographie à New York le 'spectacle' de jeunes femmes légèrement vêtues qui dansent pour divertir de richissimes tradeurs, spectacle observé à travers les fenêtres d'un club de lap dance clandestin dans le quartier de Wall Street.

Dans la série photographique TV Shots (1972), l'enchevêtrement indifférencié d'images de publicité, d'actualité, de séries américaines, de films et d'émissions sportives, incarne et critique cette fragmentation sociale :  une perte de répères et la monétisation implacable de la vie quotidienne imposées par le pouvoir grandissant de la télévision.  Dans la série Dirty Windows (1993), la vie réelle, le cinéma et la consommation - de femmes - se téléscopent à travers des images contrastées et floues. Cette série aurait inspiré le vidéo clip d'Alain Bashung  de 'La nuit je mens', réalisé en 1997 par Jacques Audiard.  Une mise en abîme en miroir de la pensée de Debord.  Les deux séries se distinguent par leur choix de couleur - saturée pour TV Shots, noir et blanc charbonneux pour Dirty Windows - mais se retrouvent dans leur parti pris de composition, chacune structurée par un dispositif de 'spectacle' - écran, fenêtre - derrière lequel chaque artiste se positionne pour regarder.

Près de 50 ans sont passés depuis la réalisation de TV Shots et 30 ans depuis Dirty Windows et chaque décennie a apporté d'importantes innovations technologiques qui confondent la vie réelle avec celle mise en scène par la technologie.  Par exemple l'émergence dans les années 2000 des séries de "télérealité" tels Big Brother;  en 2003 la création du jeu en ligne Second Life; en 2007, le lancement de Google Street View; en 2012, le lancement grand public d'Oculus, masque de réalité virtuelle. Aujourd'hui, le réseau social Facebook se rebaptise 'Meta'.  Ces évolutions ont été récemment documentées et commentées par des artistes comme Michael Wolf (A Series of Unfortunate Events, 2011); Doug Rickard (A New American Picture, 2012); Arthur Jafa (Love Is the Message, the Message Is Death, clip for Kanye West, 2016). 

Cette tension croissante entre l'expérience humaine et sa version technologique et monétisée, source de création de nombreux artistes, est résumée dans un tout nouvel ouvrage photographique de l'artiste américaine Tabitha Soren : “Nous cherchons par tous les moyens de rester humains face à cet interface froide et inhumaine. Nous espérons que l'acte de témoigner nous rendra plus humain, pas moins" (Jia Tolentino, préface de Surface Tension, Tabitha Soren, RVB Books, 2021).

Complément d'information

A PROPOS DE CHAQUE SÉRIE PHOTOGRAPHIQUE


MERRY ALPERN: Dirty Windows (1993) et Shopping (1999)

Un soir de 1993, la photographe Merry Alpern rend visite à un ami qui habite un loft dans le quartier de Wall Street à Manhattan.  Il l'amène à l'arrière du bâtiment où, médusée, elle découvre une toute petite fenêtre, celle des toilettes d'une boite de striptease illégale ; elle voit défiler traders en costume-cravate et danseuses en strass qui échangent baisers, argent, drogues et autre. Elle saisit son appareil photo et pendant neuf mois, jusqu'à la fermeture de la boîte, elle photographie les transactions qui s'opèrent derrière cette fenêtre sale, travaillant sans flash et avec une pellicule qui génère des images en noir et blanc granuleuses, cinématographiques. Avec ce travail, l'artiste postule en 1994 à une bourse de la National Endowment for the Arts (NEA).  La bourse lui est octroyée et puis, à sa surprise, retirée :  avec les artistes Andres Serrano et Barbara DeGeneviève, Alpern subit des dégat collateraux d’une bataille politique sur le financement de la culture dont les conservateurs contestent la ‘moralité’.  En 1999, suite à la série Dirty Windows, Merry Alpern produit la série Shopping, où, équipée d'une petite caméra de surveillance cachée dans son sac à main, elle flâne dans les grands magasins, les centres commerciaux et les cabines d'essayage,  cherchant à capter la quête obsessionnelle - la sienne et celle des autres ‘shoppeuses’- pour l’achat parfait.  Galerie Miranda présentera pour cette exposition des tirages d'époque en édition limitée, signés, numérotés et datés par l'artiste, ainsi qu'une oeuvre unique de la série Shopping, composée de captures d'écrans de l'époque.
 

HARRY GRUYAERT: TV Shots (1972)

Dans les années 1970 à Londres, Harry Gruyaert prenait des photographies d'un écran télévision déréglée : “Au début des années 1970 je vivais à Londres et il y avait chez moi une vieille télé cathodique complètement déréglée. En jouant avec l'antenne et en bidouillant les contrôles je pouvais obtenir des couleurs délirantes. J'ai passé quelques mois devant cet écran à suivre l'actualité qui était particulièrement forte cette année-là :  j'ai pu ainsi suivre les premiers vols d'Apollo et les JO de Munich, mais aussi des séries américaines et anglaises, des publicités. A l'époque, les enregistreurs n'existaient pas encore; les boutons 'pause' ou 'rewind' non plus.  Aussi je me trouvais devant l'actualité, tout près de l'écran, appareil à la main, pour saisir les images à vif. Aujourd'hui je me dis que si la technologie avait été meilleure, les images n'auraient pas été aussi intéressantes, fraiches."  Ses images expérimentales et quasi abstraites de la vie quotidienne s'approchent du Pop Art et témoignent également de la façon dont des millions de personnes ont vécu des événements importants de l'époque, à travers leurs écrans télé : "La découverte du Pop Art à New York dans les années 60 m'a appris que notre société de consommation peut être regardée autrement, avec à la fois lucidité et humour. J'ai beaucoup admiré le travail d'artistes comme Rauschenberg, Lichtenstein and Nam June Paik....  Ainsi je suis devenu une sorte de photojournaliste de chambre face à cette "société de spectacle", face à cette usine de la pensée unique."   Lors de ses première expositions - en 1974 à la Galerie Delpire à Paris, ensuite au Centre for Fine Arts de Bruxelles et l'International Center of Photography de New York - la série iconoclaste provoque un vif débat sur la définition du photographe de presse.  A l'époque la série était présentée sur de grands rouleaux de papier photographiques de 50 cm de large et accrochés cote à cote créant une grande fresque anxiogène.  Ces rouleaux sont aujourd'hui dans la collection permanente du Centre Pompidou à Paris. Pour l'exposition 'Société/Spectacle', la Galerie Miranda proposera une sélection de Cibachromes d'époque, uniques, et des tirages pigmentaires contemporains en édition limitée.

Horaires

Mardi-vendredi 14:00 – 19:00
Samedi 12:00-19:00
ou sur rendez-vous

Adresse

Galerie Miranda 21 rue du Chateau d'Eau 75010 Paris 10 France

Comment s'y rendre

Metro République, sortie #5 Magenta

Dernière mise à jour le 13 octobre 2022