Mémoires Vives

Jean-Marc Thommen transforme la galerie Des Jours de Lune en un environnement de couleurs vives, composé d’un alphabet graphique de lignes et de formes. Son grand polyptique intitulé Mémoires Vives réveille en nous des souvenirs de sensations colorées. La toile de lin laissée nue rompt avec les couleurs vives des trois autres panneaux. Dessus, un geste calligraphique noir s’est répandu… Celui d’une spatule constituerait une dernière marque, tel un collage venant perturber la régularité des formes géométriques. Traversant les deux toiles du bas, une ligne serpentine bleue incite à la suivre, témoin du déplacement de l’artiste, attentif à chaque étape de composition de son œuvre. Cet ensemble pictural compose un espace, résultat de divers cheminements, prises de recul, affirmation de gestes et affects face à son support.

Mémoires vives condense une longue recherche d’équilibre entre des champs colorés et des ruptures, des fragments, symboles de phénomènes perçus. Le rose et l’orange, les couleurs chaleureuses du polyptique se sont comme diffusées sur les murs de la galerie ; elles l’encadrent et apportent chacune leur lumière. Selon notre sensibilité, ces couleurs nous captivent, nous attirent et nous invitent à les fixer plus ou moins longtemps. Puis viennent alors en chacun de nous des souvenirs, des mots, des sons, des odeurs.

Dans sa série Débauches d’ébauches, l’artiste joue avec toutes sortes de découpes et de superpositions de papiers. Décision, indécision, commencement, recommencement, l’esprit préparé, il travaille de façon spontanée en saisissant ce qui se présente sur la toile, au fur et à mesure de ses gestes. Les formes colorées nous attirent de loin, appellent au repos du regard tandis que les lignes de différentes épaisseurs symbolisent les traces d’un début du trajet de la main de l’artiste, un mouvement dynamique, un acte assumé. Jean-Marc Thommen associe subtilement des techniques de peintres qui semblent incompatibles. Des coupes entre des formes géométriques colorées et des tracés noirs constituent un jeu d’une infinité de combinaisons.

Vues ensemble, ses œuvres accrochées de part et d’autre du polyptique, sur les murs orange et rose, inspirent des correspondances entre des éléments, des stratifications, des variations de textures et d’aplats colorés. Une possible énigme et l’envie de recomposer mentalement de nouvelles compositions surgissent en les observant.

Songeons à l’expérience esthétique de paysages, les peintures de Jean-Marc Thommen condensent des fragments d’éléments perçus, qui réapparaissent lorsque notre esprit est disposé à une certaine méditation. L’ensemble de ses peintures conduisent notre regard à un va-et-vient entre l’espace dense en signes et plans colorés d’une œuvre et les surfaces murales rose et orange dont l’éclat persistera pendant quelques instants. Accueillons ainsi les propriétés qu’ont les couleurs et profitons du temps suspendu de l’exposition. Celles-ci ravivent des émotions soudaines et font surgir des images lointaines gardées en mémoire. Son œuvre immersive nous conduit à un voyage mental, à laisser nos pensées se manifester et à songer à des lieux, des détails perçus, des rencontres en chemin, des « notes photographiques », telles qu’il nomme ses propres images.

Pauline Lisowski, 2022