Maurice Chabas, symboliste mystique

Par Paul Guermond
Maurice Chabas, Sérénité, 1914

Maurice Chabas, Sérénité, 1914 (FNAC 4776)

Calme et sérénité, de Maurice Chabas

Maurice Chabas, Calme et sérénité, vers 1916 (Achat en salon en 1916 (Exposition Triennale), Inv. : FNAC 5312)

 

Ce qui fut, de Maurice Chabas

Maurice Chabas, Ce qui fut, vers 1911 (Achat en salon en 1911 (Salon de la Société moderne, n°28. Paris.), Inv. : FNAC 2555)

Méditation, de Maurice Chabas

Maurice Chabas, Méditation, vers 1916, pastel sur toile (Achat en salon en 1916 (Exposition des Amis de l'Artiste. Paris.), Inv. : FNAC 5494)
 

Buste de Maurice Chabas, par Jacques-Louis Robert Villeneuve

Jacques-Louis Robert Villeneuve, Maurice Chabas, 1918 (Achat à l'artiste en 1917, Inv. : FNAC 2900)

 

Méditation, par Lucien-Victor Guirand de Scévola

Lucien-Victor Guirand de Scévola, Méditation, 1901 (Achat à l'artiste en 1902, Inv. : FNAC 1086)

 

La sortie des vêpres, par Agathon Leonard

Agathon Leonard, La sortie des vêpres, vers 1905 (Achat en salon à l'artiste en 1905 (Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts, n°1817. Paris.), Inv. : FNAC 1712)

 

Paysage et barque à voile, par Emile René Ménard

Emile René Ménard, Paysage et barque à voile, s.d. (Inscription à l'inventaire, Inv. : FNAC 14210)

 

Contemplation, de Maurice Chabas

Maurice Chabas, Contemplation, s.d. (Achat à l'artiste en 1932, Inv. : FNAC 12519)

 

Les Chabas : une famille d'artistes 

Maurice Chabas est né à Nantes en 1862. Fils d’un riche négociant amateur de peinture, il est le frère aîné du peintre Paul-Émile Chabas. Après avoir suivi les cours de l’école des Beaux-Arts de Nantes, les deux jeunes hommes, dont la famille a déménagé à Paris, y bénéficient des enseignements de l’académie Julian. Tous deux élèves de William Bougereau et de Tony Robert-Fleury, ils empruntent peu à peu des voies très différentes. Plus proche de ses maîtres, Paul-Émile développe plutôt un style mondain, s’attachant à la figure féminine et
au nu.

À l’inverse, Maurice, après s’être consacré à un préraphaélisme galant dans les années 18901, se tourne progressivement vers le paysage symboliste. C’est cette seconde phase qui assure à Maurice Chabas nombre d’achats par l’État.

Le paysage spirituel

Entre 1907 et 1934, pas moins de treize œuvres de Maurice Chabas, principalement des paysages peints à l’huile, sont en effet acquises par l’administration des Beaux-Arts. Elles portent souvent des noms brefs et poétiques, qui reflètent l’état d’esprit du peintre à l’instant de la création. Sérénité, Contemplation, Calme, ces titres traduisent une quiétude inébranlable et toute intérieure.

La plupart de ces toiles représentent le même lieu : aimant profondément la Bretagne, Maurice Chabas a peint tout au long de sa vie le Bélon, petit fleuve du Finistère2. Nombre des œuvres de l’artiste suivent une composition similaire : un premier plan, souvent végétal, animé parfois de quelques figures contemplant la nature, s’ouvre sur une étendue d’eau paisible, enclose à l’arrière-plan par des montagnes ou une forêt3.

Deux œuvres illustrent parfaitement cette paix inaltérable malgré la marche du temps : Sérenité d’une part et, d’autre part, Calme et Sérenité, toutes deux des huiles sur toile.

Sérénité, présentée au Salon de la Société Moderne4 en 1914, reprend la structure formelle si chère à l’artiste : deux personnages, depuis une falaise surplombant le fleuve, s’absorbent dans la perception du monde. Toutefois, Chabas se montre toujours inventif et adapte l’atmosphère de l’œuvre aux tons sourds du soir, dans une harmonie de gris et de verts sombres où l’étendue d’eau se confond presque avec la colline qu’elle longe. À l’inverse, dans Calme et Sérénité, au titre pourtant si proche, c’est sous un ciel radieux que se déploie une vaste étendue d’eau. La voile d’un bateau anime cette toile particulièrement lumineuse d’une note rouge intense, couleur rare dans l’œuvre du peintre, sans que ce vif accent ne brise la douce harmonie qui se dégage du paysage.

Cette quiétude n’exclut nullement des sentiments plus nostalgiques que transmet par exemple Ce qui fût, huile sur toile représentant un temple antique au centre d’une nature apaisée et dépourvue de présence humaine. Nulle précision chronologique ou spatiale ne vient rompre cette mélancolie vague et floue aux accents d’éternité.

En rejetant le réalisme, Chabas propose une réforme complète de l’art de peindre qu’il transmet avec éloquence et conviction dans ses écrits : « Depuis longtemps hélas ! l’artiste s’est confiné dans les sensations et impressions du monde extérieur. Il a été un œil et une main mais a délaissé les manifestations de la vie intérieure, qui seules, donneraient un caractère définitif à ces œuvres5 ». L’art est tout personnel, tout intime et réflexif chez Chabas.

C’est peut-être le journaliste et critique d’art Léon de Saint-Valéry qui a le mieux décrit cette dimension de la peinture de Maurice Chabas : « De tous ces paysages émanent la sérénité, la paix, comme un détachement suprême. Les choses semblent avoir perdu leur matérialité. Leur beauté tend au désir du beau absolu, de celui qui sera à la fois harmonique et géométrique ; leur apaisement prédispose au silence mental nécessaire pour percevoir le verbe caché sous les
apparences6 »

Maurice Chabas dans les collections du Cnap

L’œuvre de Maurice Chabas ne se limite pas au paysage, aussi riche de sens que ce genre puisse-être pour l’artiste. Admirateur de Puvis de Chavannes, Chabas a également peint de nombreuses allégories féminines vêtues à l’antique, alanguies et contemplatives. C’est à cette veine que se rattache la très belle Méditation7, pastel acquis par l’État en 1916. Cette œuvre est le modèle des lithographies qui constituent les invitations de la première exposition de la Société des amis des artistes, co-fondée par Maurice Chabas en 1915. Au premier plan une jeune femme, pensive, drapée dans une robe blanche fluide, est adossée à un arbre. Au second, deux autres personnages féminins, pareillement vêtus8, semblent s’échanger des confidences sous un ciel animé par quelques nuages.

Plus occasionnellement, le peintre se fait aussi portraitiste. C’est ainsi qu’il offre à l’État, en 1931, un Portrait du père de l’artiste. Monsieur Chabas père y est représenté, la palette dans une main et le pinceau dans l’autre, absorbé dans l’acte de peindre. Il faut sans doute y voir l’hommage de Maurice Chabas à celui qui a partagé, sans connaître le même succès, sa passion de la peinture. On peut lire aussi dans ce don un remerciement de Chabas à l’administration des Beaux-Arts qui l’a soutenu tout au long de sa carrière.

Si la peinture de Chabas nous est bien connue, les traits de l’artiste sont également familiers : le Cnap conserve aussi un portrait sculpté du peintre par Jacques Louis Villeneuve acquis par l’État en 1917. Ce bronze présente le visage de l’artiste, de face, les yeux baissés, à demi-fermés. L’œuvre paraît refléter fidèlement l’âme de son modèle : on imagine sans peine Maurice Chabas plongé à cet instant dans « le monde invisible et secret qui se dissimule derrière les apparences sensibles et perceptibles9 ».

Le symbolisme et le soutien de l'État

D’autres œuvres des collections du Cnap attestent du vif intérêt de l’État pour le mouvement symboliste et font écho aux œuvres de Maurice Chabas. Ainsi, à la Méditation de Maurice Chabas répond une aquarelle sur papier du même titre de Lucien-Victor Guirand de Scévola10, qui représente également une jeune fille pensive, appuyant sa tête sur sa main. Dans le domaine de la sculpture, le buste en marbre de Léonard Agathon, Sortie des vêpres11 illustre également ce sujet de la jeune femme plongée dans ses pensées, aux yeux mi-clos.

Quant au thème aquatique dans le genre du paysage, il est représenté notamment par la toile Paysage et barque à voile d’Emile-René Ménard12. Cette œuvre, de même que celles de Maurice Chabas, montre l’importance que revêtent les étendues d’eau, miroirs propres à la rêverie et à la contemplation, pour les artistes symbolistes.

 

Paul Guermond,
Chargé de documentation
Centre national des arts plastiques

Bibliographie

Carlier, Sylvie (dir.) Le symbolisme et Rhône-Alpes : de Puvis de Chavannes à Fantin-Latour, 1880-1920 : entre ombre et  lumière : catalogue d’exposition, Musée municipal Paul-Dini de Villefranche-sur-Saône du 17 octobre 2010 au 13 février 2011

De Palma Myriam, « Maurice Chabas (1862-1947) et les mondes de l'au-delà », Bulletin de la Société de l'Art français, 2004, pp. 379-398

De Palma Myriam (dir.) Maurice Chabas, peintre et messager spirituel, 1862-1947 : catalogue d’exposition, Musée de  Pont-Aven, Pont-Aven, 10 octobre 2009-3 janvier 2010 et Musée de  Bourgoin-Jallieu, 27 avril-31 août 2010

Josette Galiègue (dir.) L'idéal Art nouveau : une collection majeure du Musée départemental de l'Oise : catalogue d’exposition, Évian, Palais Lumière, 12 octobre 2013-12 janvier 2014

Françoise Daniel (dir.) Les peintres du rêve en Bretagne : autour des symbolistes et des Nabis du  musée,  catalogue d’exposition, Musée des beaux-arts de Brest, 27 octobre 2006-31 janvier 2007

 

1 Sur cette période, non représentée dans les collections de l’État, voir notamment le chapitre « les Salons de la Rose-Croix » dans le catalogue de l’exposition Maurice Chabas : Peintre et messager spirituel, Myriam de Palma (dir.) pp. 29-31. 

2 C’est avec admiration que l’écrivain et scénariste André Castelot, qui a passé nombre de vacances auprès des Chabas en Bretagne décrit  l’abnégation de Chabas face à ce coin de nature « Je le verrai toujours, les bords de son chapeau rabaissés sur les yeux, la tête levée, la barbe au vent, s’imprégnant de l’âme du paysage, de cette terre, de cette eau, de ce ciel, qu’il allait faire revivre de ses doigts de magicien» Catalogue de la Rétrospective « Maurice Chabas 1862-1947 »,  Paris : Galerie Bernheim Jeune, avril-mai 1952, préface d’André Castelot.

3 Notamment : Contemplation, qui porte le numéro FNAC 12519, Ce qui fût, FNAC 2555, Sérénité, FNAC 4776 et Calme et Sérénité le numéro FNAC 5312. 

Société fondée par Maurice Chabas en 1911. L’artiste n’a eu de cesse de transmettre sa vision de l’art et d'encourager des expositions collectives d’artistes en co-organisant, en pleine guerre mondiale (1916) l’exposition la Triennale, en soutien aux soldats du front.

Maurice Chabas, « l’Art après la Guerre », Le Petit Messager cité dans  Myriam de Palma (dir.), Maurice Chabas : Peintre et messager spirituel.

6 Léon de Saint-Valéry, « Toutes les formes d’art : Calme, Sérenité, Méditation », revue des Beaux-Arts, mai 1914.

7 Inventoriée sous le numéro FNAC 5494.

8 Ces jeunes filles seront reprises dans une composition de 1922, Douce Causerie, collection Myriam de Palma,  présentée à l’exposition Le symbolisme et Rhône-Alpes. De Puvis de Chavannes à Fantin-Latour, 1880-1920, entre ombre et lumière, cat. exp., Musée municipal Paul-Dini de Villefranche-sur-Saône, qui s’est tenue du 17 octobre 2010 au 13 février 2011.

9 Selon la belle formule employée par Myriam de Palma, dans Maurice Chabas : Peintre et messager spirituel  p. 78.

10 en dépôt au musée de Lons-Le-Saunier.

11 FNAC 1712, en dépôt au musée de Roubaix, La Piscine.

12 FNAC 14210, en dépôt au musée Fabre de Montpellier

Dernière mise à jour le 21 avril 2021