matter
Matter,
l'actuelle sélection d'oeuvres de Daniel Clarke à la Galerie Françoise Besson à Lyon du 9 septembre au 26 octobre 2013, nous offre de prime abord l'émotion de la beauté des formes et des couleurs, du tracé et de l'inclus, de la description et de la suggestion, celle de la vie en ce qu'elle est suffisamment imprécise pour préserver une marge d'espérance et de fantasme : Daniel Clarke se distancie des images qui lui ont longtemps parlé, celles de ses jeunes années au bout de Long Island, là où se rejoignent infiniment sables, airs, cieux et océan, mais qui en font un artiste significatif en ce qu'elles sont le plus souvent universelles.
Les corps sont restés grands et droits, sains comme on savait l'être sur Time Magazine dans les années Kennedy, résumés à quelques traits essentiels et sans expression corporelle, ou si peu, des yeux sans regard, souvent fermés ou face envisagée de derrière. Daniel Clarke traduit l'essence, l'instant du sens, le moment où il a su fixer ses personnages. Il en a retenu les éléments qui, a ses yeux, importent seuls ("What sole matters"). Il se concentre sur la matière ("matter") qu'il coupe, déforme, froisse pour finir par la re-gicler en peinture sur le canevas.
Avec cette sélection rigoureuse des éléments, l'artiste fige, matérialise, réifie l'instant. A l'opposé de la vidéo qui juxtapose les instants et étend le temps, Daniel Clarke propose un instant brut. Il a pris ses distances avec la représentation, s'abstient de tout sens narratif, laissant son tableau ouvert tout en ayant pris soin des caractéristiques physiques qui le composent.
Matter est ainsi une matière brute que nous pouvons laisser en l'état, ou modeler, ciseler à loisir. A nous de construire l'histoire qui nous importe. Cette femme, belle ou que nous supposons telle, dont le regard nous restera inconnu, dont les mains ou la posture ne nous fournissent que peu d'indications, que pense-t-elle, qui est-elle, que nous dirait-elle si nous osions l'interpeller ? Brute, Matter l'est aussi par le contraste et la construction : décomposition improbable des couleurs souvent opposées et fondamentales dans les vêtements aux limites imprécises, état naturel des tissus flottants ; mais encadrement des peaux, de l'enveloppe des corps de quelques traits fins alors même que leur état n'est que suggéré de quelques larges coups de pinceau : là encore, c'est à nous, spectateurs et amateurs avant même une histoire, une éventuelle situation.
Mur proche ou horizon, le décor est resté simple, aussi discret et ouvert que possible. Souvent, une simple couleur, ou deux d'entre elles, et la limite qu'elles induisent, suffisent à nous suggérer un cadre, un sens, une orientation, voire un mouvement. Ailleurs, les fonds de Daniel Clarke, outre qu'ils nous offrent là encore la liberté d'interpréter, ajoutent à la percolation progressive de la beauté, paradoxalement le plus clair des langages.
Or une autre matière, au contraire précise, a été utilisée dans Matter comme support à plusieurs reprises : carte d'état-major, partition musicale, pages de journaux. Loin de les brouiller, l'artiste joue sur le contraste et suggère quelques pistes : à l'admirateur d'en percevoir une ou plusieurs, et de les utiliser pour lancer son propre imaginaire. Avec cet outsourcing qui transfère la charge de l’interprétation sur un spectateur respecté, Matter s’inscrit dans le sens actuel du monde.
Avec un accrochage dense à la Galerie Françoise Besson, Daniel Clarke accorde maintenant à ses tableaux leur propre identité, leur côté physique propre. Inflexion dans le parcours de l'artiste américain, Matter s'inscrira probablement dans l'histoire de son œuvre.
Monteburan