MARYAN, Germaine RICHIER

Exposition
Arts plastiques
Galerie Christophe Gaillard Paris 03

« Il n'est pas à la beauté d'autre origine que la blessure, singulière, différente pour chacun, cachée ou visible, que tout homme garde en soi, qu'il préserve et où il se retire quand il veut quitter le monde pour une solitude temporaire mais profonde. Il y a donc loin de cet art à ce qu'on nomme le misérabilisme. L'art de Giacometti me semble vouloir découvrir cette blessure secrète de tout être et même de toute chose, afin qu'elle les illumine. »

Jean Genet, « L'atelier d'Alberto Giacometti », 1958.

 

 

Les mots de Jean Genet dans l’atelier d’Alberto Giacometti nous ouvrent les yeux sur ce qui unit les œuvres de Maryan et de Germaine Richier : elles découvrent une « blessure secrète », une même violence, un même cri sourd.

 

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale ce fut un déferlement abstrait (lyrique, géométrique, minimal…) mais très vite, prenant le contre-pied de la sentence de Ludwig Wittgenstein : « Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence » une autre voie s’est affirmée – quoique restée plus secrète. Loin de cet art informel qui tente d’ensevelir, d’enterrer l’homme au tréfonds de sa matière (cf. Jean Fautrier), des tentatives solitaires surgissent et s’organisent pour dévoiler la barbarie (Dmitrienko, Music, Jorn, Dubuffet ou bien Guston au États-Unis). Ce qu’on ne peut pas dire, il ne faut surtout pas le taire. Il faut l’écrire ou le dessiner.

C’est ainsi qu’à l’invitation de son psychanalyste américain, Maryan, juif polonais déporté, retrouvé mort-vivant parmi les cadavres, rescapé des marches de la mort le corps criblé de balles, remplit à partir de 1971 neuf carnets de quatre cent soixante-dix-huit dessins légendés qu’il intitule Ecce homo. Il ne s’agit plus de dire ou de décrire l’horreur, mais de re-connaître les corps, nos corps.

 

Corps mis à nu, souillés, battus et humiliés. Têtes sans visage, privées de regard des Personnages de Maryan qui vomissent leurs entrailles pour crier l’horreur et l’expérience traumatique des camps. Figures réduites à leurs organes dont les bouches béantes produisent l’effroi des Crucifixions de Francis Bacon. La crudité – pourtant si raffinée – des gouaches colorées tranche avec le cerne noir et naïf des membres grossièrement dessinés. Elle suscite un dégoût mêlé de fascination, plein de l’énergie vitale qui s’en dégage.

 

Corps sans visage de L’Orage et de son pendant féminin l’Ouragane sculptés par Germaine Richier qui, juste au sortir de la guerre, manifestent une force primitive, brute et inquiétante. Humains dont la matière est « longuement suppliciée (…) où, depuis la première glaise, jusqu’au métal enfin, Germaine Richier ne cesse de limer, de poindre, de tenailler, d’amputer et puis de greffer. Travail de furieux[1]. »

 

Mises en rapport, ces œuvres dialoguent par la vive tension qui les anime et qui s’appuie sur un contraste troublant : la barbarie, la blessure sont données avec une certaine gaillardise. L’expression de la bestialité et de la violence passe par une iconographie ludique, naïve et populaire. Les sculptures tourmentées de Germaine Richier revêtent un caractère allégorique et fantastique et empruntent, notamment le Diabolo, à l’univers du cirque. Les gouaches criardes de Maryan tournent en ridicule les figures du pouvoir et du jugement et mettent en scène des têtes couronnées aux allures de bouffons et de mascarades.

 

Mais si l’on dépasse la lecture expressionniste, il y a bien un silence. Celui de l’homme seul et abandonné.

 

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[1] André Pieyre de Mandiargues, Germaine Richier, dans le Belvédère, Paris, Grasset, 1958, p. 25.

 

Horaires

Ouverture du mardi au vendredi de 10h30 à 12h30 et de 14h à 19h et le samedi de 12h à 19h

Adresse

Galerie Christophe Gaillard 5 Rue Chapon 75003 Paris 03 France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022