Marielle Chabal, As Free As Ones Could Claim

Exposition
Arts plastiques
40mcube Rennes

Marielle Chabal développe des fictions littéraires qui donnent lieu à des formes sculpturales et picturales. L’exposition As Free As Ones Could Claim regroupe des documents, des maquettes et un film retraçant l’histoire de la communauté utopique des Halmens et de la création de la cité d’Al Qamar en 2023...

« Des corps en un »
Chloé Helle (Marielle Chabal)
(texte publié dans Reset #4, automne 2027)

Le soleil et la lune ont échangé leur place – d’un coup – le désert latent éclate ses mirages et permute sa faune dans une atmosphère brûlante et salace. Les lueurs de la cité d’Al Qamar se multiplient – floues et voilées – comme des paillettes humides. Le complexe scintille dans les cris de la foudre. Le ciel se lacère violemment et des éclairs tout blancs viennent faire vibrer l’éther. Leurs rugissements s’enchaînent rapidement, heurtent l’obscurité. La communauté – à l’abri – s’em- mêle dans le déclin du jour. Ça grince, ça pullule, des insectes pétillent en silence, pendant que des iguanes – géants et multicolores – virent au noir. Le calme est attentif, l’air retient son souffle comme sur le point de jouir et des nuées d’étoiles percent au zénith. Le ciel éteint, les amoureux de la nuit se mettent en transe – c’est la soif qui a faim – les fauves se languissent, tous impatients d’étreindre les victimes du crépuscule.

L’Amadeous se révèle dans la ferveur et l’énergie libidineuse de la foule, pendant que l’absence d’air climatisé a transformé les lieux en sauna. Le dance floor déborde dans une jungle sans fin et cela n’a rien à voir avec un moment d’un beauté rare, délicate, ni un quelconque esprit d’ironie ou de nostalgie : c’est une affaire de corps, d’instant présent, de fougue, de jouissance, d’extase et de mouvement perpétuel. La populace tortille comme un pendule désaxé, oscillant sans but dans le hall du night club et au sommet du grand escalier de fer qui mène au dance floor suspendu. Partout, on est saisi par les assauts de la techno qui s’échappent d’immenses enceintes, comme par la beauté des lieux : sous ses vingt-deux mètres sous plafond, l’Amadeous a des allures de cathédrale de béton, dans laquelle se pressent plus de mille personnes, enveloppées par des lights et des basses coïncidentes. Là, on a le choix entre se fondre dans la marée de corps moites et lubriques qui ondulent ou se promener d’un espace de rencontre à l’autre pour s’agglutiner à d’autres corps, plus en particulier.

Dans la cité, il y a toujours un moment fragile et élastique, où plus rien n’a de sens – ni d’importance – un passage où la réalité est parallèle et n’est plus concrétisée que par le beat. L’instant s’apprête à s’enivrer dans l’élan flasque des heures nocturnes. La communauté d’Al Qamar s’exhibe dans une espèce de borderline en roue libre, réduite à une simple masse. Entre la dégénérescence des allures périssables et les à-coups de l’insolence d’être là, à se complaire dans l’excès juste pour le principe, des centaines de corps se frottent à quelques centaines d’autres, tous en sueur et tous couverts d’une opée de tatouages étranges. Une soirée qui ressemble à toutes les autres probablement. Rien de plus. Rien en moins. Aucune danse compliquée ou sophistiquée, simplement une masse de gens – bourrés au gin ou défoncés à je-ne-sais-quoi – frappés d’une envie irrésistible de bouger, de se secouer, se pénétrer et se toucher la peau.

Des rayons de lumière verte scarifient la pièce et – au choix ou tout à la fois – donnent très mauvaise mine, rythment la visibilité et aveuglent les convives. Là-dedans, certaines créatures transgenres donnent à la soirée les allures d’un Burning Man technologique projeté vers l’infini. Trois hommes parlent entre-eux. L’un a des yeux d’un noir étouffant – le monde semble se figer à côté de lui – comme dans un portrait d’Herb Ritts. Une drag-queen porte d’énormes lunettes en bois de fer, une robe mauve exiguë et une perruque turquoise, elle plane à plus de deux mètres sur ses talons et avec je-ne-sais quelle dope. Deux autres drag-queens prennent des poses de putes dans un coin, pendant que trois jolies lles habillées de noir – de la tête au pied – tressaillent de joie en se prêtant leurs langues.

Plus bas, dans le premier sous-sol : de l’immensité à perte de vue et un beat strictement dark, lourd, et aveuglément dur, ravitaillant une profusion de gonzes débordant de testostérone. Tout est lourd mais entraînant et finalement quelques mélodies se dégagent de la nappe sonore. L’absence de paroles dans la musique, sauf quelques bribes arabisantes ça et là – loin de l’hégémonie panoccidentale – anglophone du rock ou de la pop – les emportent in extenso. Puis une enfilade de petits purgatoires – diverses darkrooms complétées par des chaînes des élingues, et des urinoirs avec des tubes menant Dieu sait où – ces coins dans lesquels des hommes et des hommes, des hommes et des femmes, des femmes et des femmes s’appliquent à explorer les fragments délaissés de leurs fantasmes. Des gens s’embrassent dans les coins, certains flirtent, d’autres baisent dans un flot homogène. D’un bout à l’autre d’un couloir deux femmes entièrement nues se fixent et se caressent. Elles emprisonnent tous les passants au cœur de leur désir. Le couloir est chargé d’éclairs et de puissance magnétique. La première femme – très brune – s’accroche au mur derrière elle et glisse contre celui-là, pendant que l’index de sa main libre donne de petits à-coups sur son clitoris en même temps qu’elle se pénètre avec l’annulaire et le majeur. La seconde femme – très brune aussi – transperce la première d’un regard en ammé.

Le deuxième sous-sol est strictement réservé aux mâles, avec un penchant pour le sexe hardcore et déviant – fistfucking, pisse, merde, masques, huile – on peut y circuler et choisir son propre espace pour quelques minutes ou quelques heures, comme dans tout le night club, depuis le paradis – en haut, au rez-de-chaussée – jusqu’à l’Enfer, tout en bas des escaliers, comme une version réelle de celui de Dante.

Au troisième sous-sol – que l’on atteint du hall par un ascenseur colossal – la folie s’égosille autour d’une piscine terriblement grande. L’écume de la nuit prend des airs de cartes postales caduques d’un empire de la lumière du soleil à vendre – genre Miami – qu’une minorité pouvait gober. Une fi lle très belle et très dorée porte des talons très hauts et une jupe très courte, elle bouge sur le rythme des basses assourdies par le gigantisme de l’endroit. La tête inclinée vers le sol. Les lumières du plafond marbrent son visage par réverbération, elle bat des cils. De l’autre côté de la piscine, elle regarde – au loin – son reflet sur un mur de miroir et à travers les spasmes des stroboscopes – elle est un caméléon recouvert d’impressions colorées, au-dessus d’un arc-en-ciel – elle s’enroule sur les ondes et ses yeux s’écartèlent. Elle empile les cocktails et ferme les yeux, bercée par les vibrations et elle clignote. Les murs autours, sont recouverts de miroirs ou de mosaïques comme des compositions du Douanier Rousseau. Des animaux sauvages et pops, des forces de la nature en céramique et en noir et blanc et quelques décorations cheap et multicolores. Les gens discutent et squattent. Dans la piscine, ils plongent – pour faire des vagues et louvoyer dans le vice probable d’une nuit délabrée – d’autres s’amusent, nagent et baisent contre les parois. Une trentenaire sursapée trébuche contre une dalle du pavé avec l’impudeur d’une starlette shootée aux barbituriques. Ici, on ne s’excuse auprès de personne, on ne rend hommage à rien, on s’enfonce juste dans le beat et dans la joie d’être ici, témoins de ce petit univers bizarre, sublime, entre personnes privilégiées et libres.

Le rez-de-chaussée est encore un peu plus chaud, l’air est fatigué et délétère, comme si des centaines de Zippo flirtaient au-dessus de bonbonnes d’acétylène. Al Qamar s’ébranle au ralenti. Des gouttes ruissellent sur les fronts. Les sourires et la fougue ont disparu. Seul un corps flasque se balance dans le hall. Un amas humain désincarné. Une panne progressive. Plus de carburant. Des corps désemplis comme évaporés dans l’affluence de la soirée, qui se dégonflent peu à peu. Presque entièrement. Les regards sont ratatinés et des cernes se creusent sous des centaines d’yeux. De plus en plus, les gens s’accumulent autours de l’Amadeous – pour absorber un air moins ravagé – au milieu des chats qui se déhanchent à la lumière obscure. Chats, monarques des environs. Leurs yeux comme des milliers de trous sur le ltre des ténèbres en fuite. Derrière la brume laissée par l’orage qui fait voler le sable du désert, les zombies se déchaînent – le jour déboule, voilé – il ne reste plus que du rose. Il n’y a étrangement aucune bagarre, le sexe a englouti le reste de sentiments humains des heures creuses. Au fur et à mesure, un par un, ou quelques-uns ensemble, les membres de la communauté rejoignent les dortoirs de Rosanna et Kimberlee. Depuis la gueule de l’Amadeous, les freaks déteints s’évadent à travers l’immobilité de l’aube – et quelquefois peut-être – s’aiment au passage.

Artistes

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Du mercredi au samedi de 14h à 19h

Accès mobilité réduite

Oui

Adresse

40mcube 48, avenue Sergent Maginot 35000 Rennes France

Comment s'y rendre

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Dernière mise à jour le 13 octobre 2022