Love Story : Paper works from 1974

Exposition
Arts plastiques
Galerie TORRI Paris 03

Vera Molnar
Love Story: Paper works from 1974

TORRI, Paris
06.02 - 12.03 2016

4ème exposition personnelle de Vera Molnar à la galerie, Love Story rassemble un ensemble inédit de 15 dessins générés par ordinateur et appartenant à la serie éponyme que l’artiste produisit durant l’année 1974.

Pour accompagner cette sélection, nous présentons le film réalisé par Dominik Stauch à partir des formules oulipiennes de Jacques Mayer, pendant du livrimage de Vera Molnar.

L’oeuvre de Vera Molnar consiste, depuis plus de 70 ans, à produire des compositions visuelles abstraites sur une grande variété de supports et à l’aide de protocoles impliquant autant les règles classiques de composition de l’histoire de l’art, que la géométrie, les mathématiques ou l’informatique – tout cela avec une grande rigueur mais aussi un certain sens de l’humour, et la conscience que tout système ordonné existe nécessairement comme antagonisme imaginaire à l’un de ses contraires : désordre, irrationalité, accident. Attirée dans sa jeunesse par le projet communiste et les valeurs d’humanisme et d’égalité qu’il véhicule,Vera Molnar s’éduque en réaction à l’enseignement artistique classique qu’elle reçoit à l’académie des beaux arts de Budapest dont elle sort malgré tout diplômée d’histoire de l’art et d’esthétique au milieu des années 40. Son installation à Paris avec son mari François Molnar en 1947 lui permet de rencontrer et d’échanger avec des artistes modernes dont elle n’avait jusque là connaissance du travail que par de rares images ; notamment Sonia Delaunay et François Morellet. A cette époque, Molnar adopte alors définitivement l’abstraction à la fois comme grille de lecture, outil et sujet pour matérialiser sa vision de l’art en tant qu’émanation humaine instinctive d’un sens de l’ordre et de l’harmonie nécessaire au sein du chaos de l’humanité. 

Suite à la dissolution au début des années 60, du Centre de Recherche en Arts Visuels (CRAV) –collectif d’artistes cofondé par l’artiste et ayant mené des recherches autour des notions d’effets optiques, du labyrinthe comme modèle primitif d’interactivité avec le spectateur et dont la farouche injonction d’indépendance vis à vis du marché des institutions provoque rapidement une discorde entre ses membres, tenté par la monétisation de ses productions–, Molnar se concentre à nouveau sur sa pratique personnelle. Dupliquer, inverser, translater ; des carrés, des ronds, des triangles, majoritairement noir et blanc mais parfois colorés dans des gammes chromatiques volontairement maintenues au minimum. Elle se passionne pour les infinités de combinaisons possibles entre formes géométriques simples, inventant des protocoles inspirés des formules mathématiques pour réaliser de larges séries dont elle extrait les compositions les plus heureuses, ceux où elle croit reconnaître le fameux “évènement visuel” qui “fait” l’oeuvre. A partir de 1968, elle tente de transposer les protocoles manuels de production de formes qu’elle utilisait jusque là, à l’ordinateur. Un ami informaticien accepte de programmer sur sa machine des instructions relatives au placement, à l’interaction et à la déformation de deux carrés, programmes dont les résultats systématiques sont ensuite imprimés, permettant de visualiser leur résultat – les ordinateurs de cette époque n’ayant pas encore d’écran. 

Molnar intitule avec humour la série “Love Story”, s’inspirant du livre éponyme dont le succès mondial préfigure l’ère de la culture globale par le biais de la même révolution technologique qui rend possible la production des oeuvres informatiques de Molnar. 

 

Tracés précaires et malhabiles, formes éloignées ou parfois entrecroisées dont les angles piqués paraissent les seules certitudes : les deux carrés des “Love Stories” semblent danser timidement ou au contraire passionnément dans la solitude de la feuille de plotter perforée, leur pose figée répondant à la froideur d’une date et d’un titre attribués au hasard du moment de leur impression. A rebours des théories contemporaines sur le post-humain et du réalisme spéculatif, Molnar dit de l’ordinateur qu’il n’est rien sans le cerveau humain pour lui commander des combinaisons compliquées, un pantin surdoué mais sans finalité, démuni de volonté et pouvoir propres. Elle apprend à programmer directement sur la machine pour gagner en autonomie dans la réalisation de ses productions, dès que l’écran d’ordinateur apparaît ce qui, selon ses propres mots, va changer sa vie et sa façon de percevoir l’ensemble de son travail. A l’époque, maîtriser l’outil informatique permet juste à l’artiste de s’épargner de laborieuses heures à recombiner automatiquement des formes dans l’attente de la plus heureuse combinaison. Malgré tout, Molnar ne délaissera pas ses productions manuelles et les deux pratiques, automatisée et manuelle, cohabitent encore jusqu’à l’heure d’aujourd’hui. 

C’est paradoxalement la décision du couple Molnar de vivre sur le salaire de François, recruté comme chercheur au CNRS dans les années 70, pour permettre à Vera de se concentrer uniquement sur ses recherches artistiques, qui en font une artiste confidentielle car n’ayant jamais eu à dépendre du marché ou de l’institution pour exposer et faire vivre sa pratique. Avec le recul, on peut voir dans les travaux de l’artiste de la période des “Love Stories” comme un pressentiment troublant des tendances qui vont révolutionner la peinture dans les années 80, le mouvement néo-géo en tête, avec ses fantasmes d’innovation pop et technologique qui conduiront des artistes comme Peter Halley, Albert Oehlen ou Christopher Wool à défier les notions d’originalité et de geste artistique pour sans doute générer le champ pictural tel que nous le pratiquons aujourd’hui, et dont le formalisme zombie serait le dernier avatar. Les séries précises de Molnar s’affirment alors comme les témoignages précieux d’un changement de paradigme autant visuel que civilisationnel étalé à l’échelle d’une vie, documents quasi intacts à la fraîcheur fascinante comme tout droits sortis, des millénaires plus tard, de la chambre secrète d’une pyramide oubliée. 

Dorothée Dupuis 

 

 

Dorothée Dupuis est une curatrice, critique d’art et éditrice française née en 1980 à Paris. Elle s’intéresse aux interactions entre art et politique, notamment au travers du prismes des théories féministes et post-coloniales. Après deux ans au Centre Pompidou, elle est directrice de Triangle France à Marseille de 2007 à 2012. Dorothée Dupuis est basée depuis 2012 dans la ville de Mexico ou elle oeuvre comme curatrice freelance et comme directrice de Terremoto.mx, magazine sur l’actualité artistique des Amériques (surtout Latines) dont elle est la fondatrice. Elle est aussi codirectrice du magazine Petunia. 

Artistes

Adresse

Galerie TORRI 7 rue Saint Claude 75003 Paris 03 France
Dernière mise à jour le 2 mars 2020