Louise Hervé & Chloé Maillet

Nadine, Michel & Michel
Exposition
Arts plastiques
Galerie Marcelle Alix Paris 20

Portrait des artistes comme deux anges (par Piero della Francesca), pour Marcelle Alix


 

1-15.02.2014 : "Eau de source et monstres aquatiques" par Pierre Viellard
19.02-1.03.2014 : "Le Passeur"
par Chloé Richez
5-15.03.2014 : "La Nacre de mes nautiles"
par Louise Mariotte

 

Le Christ avait dit que les âmes, pour entrer au Ciel, devaient êtres droites; Swedenborg ajouta qu'elles devaient être intelligentes; William Blake demandera ensuite qu'elles soient artistes.
Jorge Luis Borges, Le livre des êtres imaginaires, éd. Gallimard, 1987, p.18

 

Beaucoup se seront déjà familiarisés avec ce travail aux multiples facettes. On entend souvent répéter combien le duo formé par Louise Hervé & Chloé Maillet est étonnant, à la fois prolixe et insaisissable. Certains auront même du mal à les distinguer lorsqu’elles revêtent leur panoplie de "conférencières". Ce n'est donc pas sans humour qu'elles proposent, au milieu de relevés et d'inventaires minutieux, une performance pour venir en aide à ceux qui ne sont pas physionomistes. Pour ces surdouées du déguisement, conscientes que la parole publique est immédiatement théâtrale et qu'un simple accessoire peut faciliter les voyages dans le temps, les performances ont vite joué leur rôle dans la préparation ou l'extension de films superbement bricolés qu'elles réalisent depuis plusieurs années et dont le genre varie inlassablement. On notera sans trop s'avancer un goût prononcé pour la création d’œuvres à suspense, pour lesquelles le duo s'entoure d’une brillante équipe et met en scène une série de portraits singuliers : une jeune captive, de noble descendance, errant dans de lugubres souterrains et craignant pour sa vie, dans la lignée de romans gothiques anglais comme Le moine de Lewis. Ou encore un jeune homme élégant, de la grande époque des là-bas et du spleen, qui entretient avec l'espace la plus douloureuse des relations. Happé par le surnaturel, il sera littéralement attaqué par le papier peint qui recouvre ses murs et qui finira, au terme d'une horrible répulsion, par véritablement noyer notre héros sous des flots de sang.

Les performances sont des moments privilégiés. Elles nous indiquent la valeur et le charme de ce qui apparaît brièvement et ne laisse que peu de traces, si ce n'est la formulation d'une énigme pour la mémoire. Elles semblent évoquer l'existence de quelqu'un ou de quelque chose qui vieillit en accéléré. Tout le travail de Louise Hervé & Chloé Maillet serait de la même étoffe que ce moment connu du cinéma italien, lorsque Fellini filme dans les souterrains de Rome la fuite quasi instantanée de sublimes figures romaines volatilisées au contact de l'air. Les artistes s'exercent encore et toujours à partager ce plaisir qu'il y a d'être au cœur de la polyphonie du monde et de jouer avec une transmission orale qui peut, comme dans l'exposition, induire que d'autres initiés s'emparent des trames qu'elles calculent avec passion.

L'exposition Nadine, Michel et Michel est comme un seul livre, à l'intérieur duquel de petites cellules successives indiquent une expérience différentielle des langages (oral, écrit, filmé). Elle semble aussi agir comme un film qui montre un dispatching dynamique et perpétuel, vers un sens qui lui-même n'est jamais définitif. D'abord, le visiteur sait avant même d'ouvrir la porte, ce qu'il en est. Disons qu'il n'a plus qu'à tirer le fil. Les artistes s'adressent à lui, à travers un texte lisible sur la vitrine, lui indiquant de façon claire et simple que le récit se déplace. Ce texte s’adresse également aux trois personnes qui vont tour à tour, le temps de l'exposition, incarner les récits qui leur auront été transmis au préalable. Oui, vous le comprendrez assez vite, Nadine, Michel et Michel sont des archéologues subaquatiques et leur mission est d'incarner trois scripts différents grâce auxquels ils peuvent prétendre créer des variations et imposer un sens de plus en plus fort au sein d'une suite tout aussi mobile de fragments syntagmatiques. La performance se répétera, mais sera de courte durée. La consultation d'ouvrages réalisés par les artistes durera le temps que chacun voudra bien y mettre. Et pour adopter, à leur manière, la nature profondément métonymique du cinéma, le jeu de piste se poursuivra à travers la projection d'une séquence de leur prochain film, Un passage d’eau, échappant ainsi à l'épanouissement d'une mise en scène fluide et continue, pour privilégier un montage qui tient compte de la globalité de l'exposition.

Cette fois, nos deux amatrices de cinéma, rats de bibliothèque et mordues d'enquêtes de terrain, relient leurs dernières obsessions (les bienfaits de l'eau de source et la vie éternelle des hommes-poissons) à un réseau de lieux, de faits historiques et de films marginaux. De même que ce duo d'artistes pratique à l'oral, à travers des performances, un imaginaire extrêmement construit, il subsistera toujours ce qui les rend si étonnantes et inclassables : un comportement de comédie qui n'évacue pas une certaine innocence et rend, grâce à des modulations spécifiques, des flottements et des silences, plus tangible encore ce moment où quelque chose semble surgir et s'improviser, à travers un ensemble de codes culturels et oratoires.

CB

 

Louise Hervé & Chloé Maillet sont nées en 1981. Elles ont fondé l’I.I.I.I. (International Institute for Important Items) en 2001, au sein duquel elles réalisent des performances, des films de genre et des installations. La Contemporary Art Gallery, Vancouver (CAN), la Synagogue de Delme, le FRAC Champagne Ardenne, le Kunstverein Braunschweig (DE) et la Kunsthaus de Glarus (CH) ont organisé des présentations solo de leur travail. Elles ont participé récemment aux expositions Le Tamis et le sable, Maison Populaire de Montreuil, Le Ranch de la liberté, Les Capucins, Embrun, L’Origine des choses, La Centrale, Bruxelles, Version Control, Arnolfini, Bristol (UK), An Ever Changing Meaning, Walter Philipps Gallery, Banff (CAN), L’Homme de Vitruve, Le CREDAC, Ivry-sur-Seine. En 2013, elles ont produit des performances originales pour la Biennale de Lyon, la FIAC, Le Parc Jean-Jacques Rousseau à Ermenonville, Le Fort du Bruissin à Francheville, Astérides à Marseille, le Musée de l’Abbaye Sainte-Croix des Sables d’Olonne. Elles présenteront leur film Un passage d’eau à la Biennale de Liverpool (été 2014). Leur première publication, Attraction étrange (2013), est disponible aux éditions JRP.

Remerciements : red shoes / SOME SHOES (Olga Rozenblum, Soizic Perrodou), Mai Abu Eldahab, Musée de l’Abbaye Sainte-Croix (Gaëlle Rageot), Centre d’art Les Capucins (Solenn Morel), Arnolfini (Axel Wieder), deValence, Camila Renz, Aurélie Godard, Eléonore Cheneau, Sonia Droulhiole.

Adresse

Galerie Marcelle Alix 4 rue Jouye-Rouve 75020 Paris 20 France
Dernière mise à jour le 2 mars 2020