Louis-Auguste Déchelette, peintre naïf engagé (1894-1964)
Louis-Auguste Déchelette (1894-1964), Veille de Ducasse, 1943 (Achat à l'artiste en 1943, Inv. : FNAC 18747) Huile sur bois 58,8 x 109 cm
Louis-Auguste Déchelette, Cirque des super as, 1942 (Don Madame Louis Déchelette en 1965, Inv. : FNAC 28789)
Louis-Auguste Déchelette, Défilé du cirque Cooper, 1943 (Don Madame Louis Déchelette en 1965, Inv. : FNAC 28790)
Louis-Auguste Déchelette, Humanité où vas-tu ?, 1937 (Don Madame Louis Déchelette en 1965, Inv. : FNAC 28781)
Louis-Auguste Déchelette, Le Négus, 1937 (Don Madame Louis Déchelette en 1965, Inv. : FNAC 28780)
Louis-Auguste Déchelette, Messe aux rescapés d’Espagne, 1938 (Don Madame Louis Déchelette en 1965, Inv. : FNAC 28784)
Louis-Auguste Déchelette, Recul des Allemands en Russie, vent d’Est, 1943 (Don Madame Louis Déchelette en 1966, Inv. : FNAC 28791)
Louis-Auguste Déchelette, Arrivée des chars, 1939 (Don Madame Louis Déchelette en 1965, Inv. : FNAC 28796)
Louis-Auguste Déchelette, Vers la Raison, 1940 (Don Madame Louis Déchelette en 1965, Inv. : FNAC 28794)
Peintre en bâtiment de profession, peintre naïf à ses heures de loisir, Louis-Auguste Déchelette est « découvert » vers 1940 par le critique d’art Robert Rey (nommé directeur des Arts plastiques en 1944 à la Libération) et exposé à la galerie Jeanne Bucher, une des plus célèbres galeries d’art de l’époque. Grâce au soutien de Robert Rey, 26 tableaux de Déchelette figurent aujourd’hui dans les collections du Centre national des arts plastiques. L’un d’eux, intitulé Veille de Ducasse (FNAC 18747), sera prochainement déposé par le Cnap au Centre Historique Minier de Lewarde (Nord) - occasion de revenir sur l’itinéraire de ce petit maître de l’art naïf.
L'art naïf sur la scène culturelle
L’art naïf en tant que tel (identifié et exposé sous ce label) émerge véritablement dans les années 1930, grâce aux efforts conjugués de quelques collectionneurs, critiques et galeristes, dont la plupart étaient aussi par ailleurs d’ardents défenseurs de l’art moderne et de l’art abstrait.
Le collectionneur et critique d’art d’origine allemande Wilhelm Uhde (1874-1947), installé en France à partir de 1904, a joué dans ce domaine un rôle essentiel. Tout en défendant l’avant-garde de son époque (Picasso, Braque…) il découvrit et fit connaître une nouvelle génération d’artistes naïfs, dont l’œuvre s’inscrivait dans le sillage de l’illustre figure tutélaire du douanier Rousseau (Bauchant, Bombois, Séraphin, Vivin).
La découverte de ces « Primitifs modernes » comme les appelait Uhde installa durablement l’art naïf sur la scène culturelle française et internationale. Le flambeau de la défense et illustration de l’art naïf fut repris après Uhde par le critique Anatole Jakovsky qui élargit la vision de cet art aux siècles passés et au monde entier (voir son Lexique des peintres naïfs, Bâle, 1967).
Louis-Auguste Déchelette
Né dans la région lyonnaise en 1894 Déchelette, qui exerça longtemps la profession de peintre en bâtiment, possédait une personnalité attachante et originale si l’on en juge d’après le portrait brossé par Jakovsky : « joueur émérite de boules (lyonnaises), petit de taille, œil malicieux, grand amateur de beaujolais, compagnon du Tour de France, bon peintre en bâtiment et beau peintre tout court, à la fois poète et chansonnier et inventeur… ». Jakovsky indique par ailleurs que Déchelette avait été élevé par son grand-père « inventeur et quarante-huitard dans les traditions compagnoniques et républicaines ».
Jeanne Bucher qui présentait dans sa galerie de la rue du Cherche-Midi les grands créateurs de l’art moderne (Arp, Braque, Gris, Kandinsky) appréciait également l’art naïf. Elle consacra deux expositions à Déchelette en 1942 et 1944. En 1943, l’Etat faisait, à la demande de Georges-Henri Rivière alors conservateur du Musée des arts et traditions populaires, l’acquisition du tableau intitulé Veille de Ducasse (FNAC 18747) représentant les préparatifs d’une fête populaire dans une ville du Nord (« ducasse » mot d’ancien français employé dans la France du Nord et en Belgique).
Dans son courrier demandant l’achat de l’œuvre, Rivière insiste sur l’intérêt ethnographique et sociologique de la scène représentée qui, dit-il, « s’observe dans toutes les communes du Nord, la veille de la ducasse » : le porteur de bière avec son chariot, le nettoyage de l’estaminet, les femmes portant leurs tartes chez le boulanger… L’œuvre est très caractéristique de la manière de Déchelette, avec une attention aux petits détails de la vie quotidienne, un rendu des surfaces très lissé dans des tons mats (qui n’est probablement pas sans rapport avec sa profession de peintre en bâtiment), et la petite note d’humour incluse dans la composition (« Boulangerie Dupin-Racit »).
Cette première acquisition fut suivie de 8 autres achats par l’État, étalés entre 1947 et 1965, auxquels s’ajoutèrent 17 autres œuvres données par la veuve de Déchelette en 1965-1966.
Un artiste engagé
Comme ses confrères en art naïf, « peintres de l’Éternel Dimanche » (Jakovsky), Déchelette aime représenter la vie quotidienne, les travaux de la campagne et les divertissements populaires, notamment le cirque (en 1948 la galerie Jeanne Bucher présente une exposition de ses œuvres autour de ce thème sous le titre « Cirques, fêtes foraines, musics-halls de Louis-Auguste Déchelette »).
Il a, nous l’avons vu, un goût particulier pour le calembour et le jeu de mot que l’on retrouve souvent illustré dans un coin de ses tableaux. Mais il se distingue surtout par son militantisme pacifiste et antifasciste qui en font un artiste véritablement engagé. Son cycle iconographique - série de 30 tableaux - intitulé « De l’Ethiopie à la paix » présenté avec succès à Paris en 1945 (exposition du Mouvement de la Libération nationale, Porte de Versailles) en est un exemple éloquent : il illustre la montée, puis la défaite du fascisme (Recul des Allemands en Russie FNAC 28791), ainsi que l’espoir d’une paix durable sous les auspices de l’ONU (Vers la Raison FNAC 28794).
Pierre-Yves Corbel, conservateur en chef du patrimoine, responsable des arts graphiques
Centre national des arts plastiques
Jakovsky, Anatole. Lexique des peintres naïfs. Bâle : Basilius Presse, 1967.
Le monde des naïfs. [Exposition, Musée National d’Art Moderne, Paris, 14 octobre-6 décembre 1964].
La peinture naïve française du Douanier Rousseau à nos jours. [Exposition, Maison de la pensée française, Paris, 19 juin-9 octobre 1960].