Lokman Slim et Monika Borgmann, Tadmor (Palmyre), 2016

Par Pascale Cassagnau
Affiche du film Tadmor, réalisé par Lokman Slim et Monika Borgmann 

Affiche du film Tadmor, réalisé par Lokman Slim et Monika Borgmann, 2016. 103'. Production : Les Films de l'Etranger.

Lokman Slim était un cinéaste, un écrivain, un éditeur libanais. Il a été assassiné le 4 février dernier. Monika Borgmann est une réalisatrice allemande, collaboratrice de Lokman Slim, journaliste au Liban, après avoir travaillé à Damas. Ensemble ils ont réalisé deux films, Massaker en 2005 et Tadmor (Palmyre) en 2016. Ils ont fondé au début des années 2000 une association intitulée « Uman Documentation et Recherche » portant sur ce que Lokman Slim appelait la trilogie Mémoire, Violence, Présent, ainsi qu’un lieu dans la banlieue sud de Beyrouth, Le Hangar, centre culturel et centre d’archives sur la guerre civile libanaise (1975-1990). Leur œuvre filmique s’inscrit dans un travail au quotidien mené avec l’association Uman autour de ces trois notions de Mémoire, Violence, Présent, en les ressaisissant dans leur histoire et leur actualité. Le film Tadmor (Palmyre) témoigne de la banalité du mal et place le passé dans la perspective du présent. Le film porte sur la torture en prison, la survie. Les protagonistes témoignent de leur histoire tout en témoignant aujourd’hui pour les 200 000 prisonniers dans les prisons syriennes.

A la suite du soulèvement populaire contre le régime syrien en 2011, un groupe d’anciens détenus libanais décide de rompre le silence sur leurs longues années passées dans la prison de Tadmor, l’une des plus dure du régime des Assad, avant les années 2000.Ce film est le prolongement, du point de vue des victimes, de leur film précédent Massaker réalisé en 2006, qui recueillait la parole des bourreaux : celle des 6 ex miliciens chrétiens phalangistes ayant participé au massacre de palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila au cœur de Beyrouth lors des 3 jours et 2 nuits des 16,17 et 18 septembre 1982.

Comme pour ce film, Tadmor (Palmyre) est avant tout un travail de collecte de paroles. « Ici la parole devient mouvement » avait rappelé Lokman Slim en 2016 lors de la présentation du film au Festival suisse Visions du réel de Nyons. Le dispositif quasi théâtral mis en place consiste à inviter les anciens détenus à la répétition volontaire de leurs conditions de détention, la torture et la soumission, en rejouant leurs témoignages. Le groupe a décidé de se scinder en deux, entre victimes et bourreaux. Les anciens prisonniers ont reconstitué leurs cellules individuelles et collectives. Ce principe cathartique qui leur permet de supporter le souvenir traumatique a été repris par un cinéaste palestinien Raed Andoni qui a réalisé en 2017 un projet de film performatif Ghost Hunting assez proche en demandant à des anciens prisonniers palestiniens d’un camp israélien de devenir les acteurs de leur passé reconstruit en jouant alternativement les bourreaux et les victimes, en leur faisant également reconstruire le camp de détention.

D’autres œuvres contemporaines de Tadmor ou plus récentes ont mis en perspective les relations croisées de la mémoire, du souvenir, de situations d’aliénation et de contrainte à travers la représentation. Dans Entre les frontières en 2016, le cinéaste israélien Avi Mograbi fait interpréter par de vrais migrants africains retenus dans un centre de détention israélien le rôle des autorités israéliennes et les migrants par des acteurs d’une troupe de théâtre expérimental. En 2019, le cinéaste soudanais Suhaib Gasmelbari et quelques-uns de ses amis revenus d’exil mettent en scène dans leur film Talking with The Trees leur désir de réouvrir une salle de cinéma à Khartoum où le cinéma est interdit depuis longtemps

Plus récemment, l’artiste Randa Maroufi met en scène dans son film Bab Sebta en 2019 des reconstitutions de situations observées à la frontière de l’enclave de Ceuta sur le sol marocain liées aux trafics de biens manufacturés.

Dernière mise à jour le 19 mai 2021