L'imparfait et l'impératif

Exposition
Arts plastiques
Galerie Nathalie Obadia Paris 04
Nú Barreto - Traços Diário 1, 2020

La Galerie Nathalie Obadia est heureuse de présenter la troisième exposition de l’artiste Nú Barreto, après Homo imparfaits en 2019 à Bruxelles. Né en 1966 à São Domingos en Guinée-Bissau Nú Barreto vit et travaille à Paris depuis 1989. Après un détour par la photographie, le dessin est rapidement devenu le médium de prédilection de l’artiste, dont la réflexion sur l’Afrique contemporaine s’exprime aussi à travers de puissantes installations murales. Choisi pour représenter son pays à l’Exposition Universelle de Lisbonne en 1998, Nú Barreto mène aujourd’hui une carrière internationale et incarne une figure notoire de l’art contemporain africain.

L’exposition L’imparfait et l’impératif présente un ensemble de nouvelles œuvres sur papier recyclé, convoquant aussi bien le dessin que le collage, ainsi qu’un polyptique de 42 dessins, que l’artiste conçoit comme le carnet de bord de ces derniers mois de pandémie. Saisissante démonstration d’une verve graphique au service d’une vision âpre, ces œuvres expriment autant sur les souffrances du peuple africain que sur la condition humaine, à travers le thème de l’enfermement. Sous les coups de crayons vifs et enlevés de l’artiste, la vie y apparaît comme un exercice de haute voltige.

De son pays natal, ancienne colonie portugaise, Nú Barreto garde le souvenir d’une éprouvante marche vers l’indépendance puis d’une instabilité politique et militaire ponctuée de nombreux coups d’état. L’artiste porte aujourd’hui un regard lucide et acerbe sur la situation actuelle de la Guinée-Bissau, où ne cessent de s’accroître les disparités socio-économiques. Plus largement, c’est toute la complexité des enjeux qui déterminent les relations entre les différents Etats africains et l’Occident qui transparait, sous la forme figurée, à travers la représentation de ses « homos imparfaits ».

Le dessin, auquel Nú Barreto avait déjà recours durant les années troubles de son adolescence, est le lieu où s’expriment les souffrances quotidiennes et les stigmates de la mémoire collective. Mais ce travail graphique s’inscrit dans une démarche de plus en plus plasticienne, où le collage, le jeu de matières, les éléments importés acquièrent autant d’importance que les motifs représentés. Dans ses grandes œuvres sur papier aux lointaines allures de muraux, l’artiste a ainsi recours à des matériaux bruts, économiques, tels que le carton, le papier recyclé (réalisé par l’artiste à partir de palettes de supermarchés), des bouts de tissus et morceaux d’emballage déchirés. Leur agencement sous la forme de patchworks anarchiques tend à évoquer une forme de précarité, la pauvreté du tissu urbain, des logements de fortune, une misère sociale. Certains motifs découpés renvoient par ailleurs à la tôle, tandis que le tracé hésitant des lignes qui structurent maladroitement ces ensembles traduit une fragilité, un déséquilibre. Et, peut-être aussi, une aspiration problématique aux excès du modèle occidental. L’ajout d’inscriptions, d’extraits de journaux ou de fragments d’affiches alimente la dimension authentique et expressionniste de ce travail, résolument ancré dans la réalité.

Mais la particularité des dessins de Nú Barreto réside dans des espaces flottants et sans repère, en dépit de ces évocations urbaines qui s’apparentent davantage à de véritables jungles. Sens dessus dessous, les silhouettes semblent jetées brutalement

dans l’existence, adoptant des postures acrobatiques ou abattues et des expressions criardes, allusions au « Cri » de Munch qui en disent long sur la douleur investie dans ces œuvres. Omniprésente dans les dessins de Nú Barreto, la gesticulation de plusieurs personnages en pleine dégringolade fait écho à la précipitation des Damnés telle qu’elle apparaît dans les scènes de Jugement dernier, au Moyen-âge et à la Renaissance. Comme le titre le suggère, l’artiste insiste d’ailleurs sur la nature profondément imparfaite des hommes, aujourd’hui soumise à un effort collectif inédit, «l’impératif» du confinement. Avec une empathie naturelle, il emploie la forme métaphorique dans les moindres détails d’une iconographie particulièrement saisissante : ainsi, plusieurs hommes sont prisonniers de bouteilles jetées à la mer, réduits à la résignation, au ballotage et au silence - une image qui fait aussi référence au sentiment de claustration des temps actuels. Autre motif récurrent subissant la même désorientation : l’échelle, dont l’utilité semble toujours vaine ou impossible, et qui illustre l’illusion d’une ascension sociale aussi bien que le mirage trompeur des modes de vie consuméristes. A l’inverse, la chaise signale « celui qui a gagné sa place au soleil ». Ces œuvres sont également imprégnées de toute une symbolique issue d’un certain nombre de cultures autochtones de l’Afrique de l’Ouest.

La violence se manifeste aussi, et en premier lieu, dans les couleurs que l’artiste emploie pour croquer ces existences infortunées. Le rouge : c’est le sang qui imprègne la terre et détermine chaque trajectoire personnelle, ce sont les cicatrices encore à vif d’une région marquée par la guerre et la violence. Le « noir funguili », véritable marqueur social, synonyme de pauvreté : c’est la teinte grisâtre, crayeuse que prend la peau noire quand elle est déshydratée ou victime de carences.

Paradoxalement, une certaine légèreté émane de ces œuvres : l’écriture aérée de l’artiste, qui pourrait presque rappeler les compositions abstraites de Joan Miró, contrebalance cette noirceur et permet de digérer la charge contestataire qui y est insufflée. Quelque chose de l’ordre du rêve, de la poésie et de l’espoir se déploie ainsi dans ces compositions, renforcé par une palette de couleurs de plus en plus diversifiée et optimiste.

Aussi ces représentations prennent de la hauteur vis-à-vis de leur sujet, acquérant une véritable portée universelle : elles dressent le portrait d’une humanité en laquelle Nú Barreto conserve une confiance indéfectible. Fruits des confinements successifs, ces œuvres récentes expérimentent une plasticité, une matérialité nouvelle qui témoigne d’une fougue créatrice en constante évolution, en dépit des circonstances.

Artistes

Horaires

Espace II

Lundi au Samedi 10-18h

Adresse

Galerie Nathalie Obadia 3 rue du Cloitre Saint-Merri 75004 Paris 04 France

Comment s'y rendre

Métro Hôtel de Ville

Dernière mise à jour le 16 avril 2021