Les enfants du sabbat 17

Nouveau ton, nouveau temps, nouveautés
Exposition
Arts plastiques
Le Creux de l'Enfer - Centre d'art contemporain d'intérêt national Thiers

Sous les fondations de la raison

Passé présent et futur forment un seul temps ductile dans l'espace du Creux de l'enfer, une friche industrielle, une ancienne coutellerie devenue en 1988 centre d'art contemporain. Aujourd'hui ce sont aux Enfants du sabbat d'exposer, une sélection de jeunes artistes diplômés de l'École supérieure d'art de Clermont Métropole et de l'École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon. Un projet fédérateur (rendu à sa dix-septième édition) qui lie étroitement depuis toutes ces années deux écoles des beaux-arts et un centre de création contemporaine sur le territoire Auvergne Rhône-Alpes. Et si « l'Avenir n'est plus ce qu'il était »* comme ironisait un célèbre romancier américain, cet événement annuel rappelle que l'art actuel est une conquête sur le futur, témoignant de ses tâtonnements et de ses expériences, défrichant et ouvrant des territoires de recherches. Chaque année apporte son lot de révélations (l'avenir de l'art se prépare avec ceux qui le font) et c'est avec l'obstination déraisonnable des gens d'exception que de jeunes talents sondent le réel au plus profond, fouillant parfois sous la farce de la raison et usant s'il en faut d'un illogisme absurde.

Posture concetto contrapposto 

À toute pratique artistique sa méthode d'enfantement, nouveau ton nouveau temps nouveautés. Hors des dogmes cadenassés, les Enfants du sabbat toisent la modernité dans une posture de déhanchement, sorte de « concetto contrapposto » qui peut s'avérer tantôt dérangeant tantôt élégant. C'est une disposition précise, une jambe droite rigide assumant la charge des idées apprises, l'autre jambe repliée, plus souple, plus fantaisiste et libre sur la conformité. Ces Praxitèle des temps actuels - respectueux de leurs dieux et de leurs déesses - Apollon Sauroctone ou Antigone héroïne des temps modernes (chacun ses référents dans l'histoire qui les concerne), se faufilent agilement et avec la plus grande adresse, empruntant volontiers ces petits sentiers lézardant autour d'eux. Sans filtre ni pré-moulage dans la tête, suivons l'avenir curieux de ces dix découvertes.

On dit que face aux œuvres d'Agnès Martin chacun reste attentif et respectueux. Les réalisations de samira AHMADI GHOTBI invitent à suivre une même attitude, l'image étant tenue en retrait sur l'effet à susciter.C'est ainsi que les propositions de cette plasticienne iranienne se remarquent et se distinguent d'une discrétion formelle, déclinant des ordonnances graphiques et colorées dans des valeurs nuancées, avec parfois quelque chose de cellulaire dans le principe d'extension du procédé. Le recouvrement du support s'effectue en trames serrées, accordant selon les cas une place à l'espace vierge. Cette discipline de concentration (sorte de tantra artistique ou de liturgie plastique) ne se conformerait en fait qu'à elle-même (Détissage, 2015) et à la surface d'investigation sur laquelle la main traçante va errer. Elle implique pour l'auteur une pratique régulière qui pourrait s'apparenter au maillage du trait, sans rien de robotique, ni d'obsessionnel, ni de prédéterminé. Le principe implique surtout une libération énergétique qui s'épanouit en extension, travaillée le plus souvent à la mine noire ou de couleur et sur du papier parfois plié (Série A4, 2015). Son tissu d'essence graphique pourrait s'apparenter à l'occasion à une texture végétale (le dessin devient alors installation avec à proximité un pot de mousse sagine, comme on en voit dans les jardins zen). Sans noyau ni centre, ces tramages et ces lignes tricotées envahissent ou grignotent en large partie la surface des feuilles du papier, le geste s'organisant lui-même jusqu'à son terme. En définitif dira l'artiste, c'est la surface sur laquelle se développe le motif qui fait le motif. Dans un autre mode de réitération plus politique, l'artiste énumérait durant trois heures 4 415 noms de prisonniers exécutés en 1988 en République islamique d'Iran. L'artiste réalise encore d'autres créations – dans d'autres registres créatifs et avec d'autres médiums –, comme Jardin 2014, une vidéo documentaire introspective et quasi silencieuse sur la vue d'un grand jardin cultivé, filmé en « plongée totale » des fenêtres d'un appartement d'un parent à Meched. L'arrosage des plantes par un jardinier (au centre de son monde) rejoint le filmage en « douche » des allées, traçant d'humidité une terre recolorée, devenue décor d'un véritable tableau aux motifs mouvants. Cette scène d'une réalité distanciée – soumise à un temps elliptique et syncopé – s'étire ou se rétracte sur l'incertitude d'un songe rêvé.

 

Si tout le monde – constatait Paul Valéry – a une bonne opinion d'une mauvaise affaire, elle est une bonne affaire. Pour raphaël BARIATTI-VEILLONl'opinion vaut ce qu'elle vaut : elle est facile à émettre moins à entendre et moins encore à créer. Autrement dit, mieux vaut ne pas porter d'opinion sur l'opinion. D'ailleurs, la bonne opinion convenue est toujours du côté des plus nombreux, et celle qui l'est moins du côté des plus résolus, l'opinion reflétant la matrice mentale d'une époque donnée. L'artiste prend le parti de retourner l'opinion en la pastichant plastiquement. Il calque même les conditions dans lesquelles celle-ci s'installe. Ce faisant, il construit une sorte d'ersatz architectural, pièce-témoin d'un intérieur ouvert au regard extérieur, maison de poupée agrandie à l'échelle humaine pour salon papi-mamie traditionnel. La scène, quelque peu théâtrale, se fixe au regard du visiteur sur un fauteuil central calé devant un écran TV. De ce divan – montré de dos – émerge une tignasse de cheveux blancs, tandis qu'au parquet une chaussure semble dépasser. Mais rapidement, après avoir contourné l'installation, c'est l'écran animé qui focalise notre attention. Originalement produite et orchestrée par La Popolöff.TV, une suite d'interviews absurdes s’enchaîne sans temps mort, quoiqu'entrecoupées de clips de rap gangsta Catalan … on y croise notamment une présentatrice cantonaise, une Sagrada Familia bavarde dans son silence, et une analyse de sociologie politique complète sur le phénomène dit de « divergence ». Toute information – comme s'en insurgeait déjà George Orwell journaliste engagé et chroniqueur lui-même dans les années 1930-1940 – se trouve inévitablement manipulée dès lors qu'elle est diffusée : l'artiste ici s'empare des stratégies des médias produisant et diffusant ses pseudo-émissions, soupe d'opinions comiques et grotesques sur l'animation télévisuelle.

1980, l'américain Peter Fend fonde avec Walter de Maria, Richard Prince, Jenny Holzer et quelques autres artistes Ocean Earth Development Corporation (OEDC). Il s'agit de redéfinir l’architecture de manière horizontale et environnementale, prospectant avec l’eau, l’air et la terre. En 2014, avec Precambrian Explosion de Pierre Huygue (pierre volcanique flottant dans un aquarium), c'est l'écosystème à l'origine de l'humanité que l'art fait remonter à la surface. Aujourd'hui en effet, une jeune génération émerge qui autour de ces idées apporte une large réflexion spéculative de l'environnement à la cosmologie. Ainsi, antoineBARROT se saisit d'une dimension territoriale politique et sociale par l'angle de la fiction et de l'anticipation (et par des registres illimités incluant chimie et linguistique). Isola, une installation de 2014-2015, évoque en exemple la résurgence d'une île engloutie depuis bientôt deux siècles, et ses divers noms avec. Son processus de fonctionnement – beaucoup trop lent pour le visiteur pressé – interroge notre impatience humaine face à la lecture de l'univers, autant qu'à celle accordée par chacun à l'œuvre d'art. C'est une sorte d'aquarium dans lequel émerge – saillante et centrale – une roche magmatique stérile, tandis que son eau verdâtre de spiruline (algue de 3 milliards d'année) s'avère au contraire extrêmement nutritionnelle en protéine. Le paysage, l'urbanisme, l'architecture (et l'unité d'habitation), la minéralogie, la géologie ou la cosmologie (telle la comète 67P/Tchourioumov) participent à cette constellation de l'artiste. Les matériaux et techniques employés, dessin, mine de plomb, gravure, sérigraphie, maquette, démontrent l'ampleur d'une aisance plastique liée à un concept d'analyses à clé multiple. L'écriture aussi est investie, exprimée en réduction d'haplologie, et la construction composite et fantaisiste des intitulés des œuvres en véhicule toute la magie. Ainsi Cydonianomaliae, 2014, fusion du mot anomalie et du terme Cydonia Mensae, relief de la planète Mars où apparaît l'étrange illusion (dite paréidolie) d'un visage humain et d'une pyramide à cinq faces. L'œuvre réalisée pour Thiers est inédite et sera éphémère ; elle prolonge la série Archinomade de l'année précédentesur uneréflexionémise à partir de la structure gonflable (nomades/éphémère) – outil et concept – gonflée ici à l'idéologie de l'air événementiel...

Dès que l'on comprend qu'il s'agit d'un monde flottant, sans stabilité où que l'on aille, prime le sentiment d'être toujours en voyage, confiait dans un haïku, un prince lettré japonais. C'est dans ce retranchement flottant – ici d'expression sculpturale – qu'océane BRUEL (installée depuis peu en Finlande, dans la ville blanche du nord) nous convie dans ses environnements.Entre deux équinoxes, 2015, fait appel à divers registres formels strictes et dépouillés, et qui se réfléchissent dans l'articulation poétique des référents donnés. Des objets peu éloquents, des matériaux pauvres, voire misérables, abandonnés et récupérés, accompagnent un dispositif de filmage vidéo installé sur un mur adjacent, sorte de diascope dont le propos ramène à une eau stagnante. Sans images sensationnelles et en silence, l'ensemble n'en évoque pas moins et avec la plus grande distance pudeur et délicatesse, la tragédie des migrants actuelle. La formulation implique une intervention murale et une structure au sol basse et horizontale, une construction plate comme un radeau ou un ponton aux éléments superposés, et où se mêlent et s'agencent céramique (dont un moulage de balle de 12 mm en terre égyptienne), colle à bois et paraffine, tasseaux de sapin et lattes de peuplier, boucle d'oreille et clous, textes annotés sur du papier de soie, miroir sans tain, grillage à poule, craie ou encore cire d'abeille. L'ensemble des éléments exposés semble flotter comme une sphère sans matérialité, souvenirs égarés ou en perdition. S'ensuit un trouble sur l'identité de chaque objet, son genre, son statut. La vidéo – entre jour et nuit – déplace son ambiance d'apparence bucolique sur des séquences d'une inquiétante étrangeté, montage équivoque entre passé réel et futur rêvé, entre flashback et flashforward (saut en arrière et saut en avant), tandis que l'œuvre entière se nimbe d'une matérialité fantomatique, comme gelée dans une gangue.

Mon travail de conteur d'histoires est tiré, sans doute, des fables que mon père réinterprétait durant les trajets en voiture de mon enfance. J'aime l'idée qu'une pièce, à l'image du théâtre, ait un début et inévitablement une fin, note rémy DROUARD. Si l'artiste invoque inévitablement dans ses peintures un personnage en situation énigmatique ou burlesque, ses vidéos poursuivent son propos gouailleur et ses mazarinades frondeuses et irrationnelles. Comme Peter Lander ou Pierrick Sorin, autres artistes inscrits dans cette lignée, notre auteur endosse seul le rôle de comédien et s'y tient avec le plus grand sérieux, cadrant au mieux la loufoquerie de ses sujets. Sa démarche qui participe du théâtre de l'absurde tourne en dérision les saillies d'une gestuelle quotidienne attelée à une stricte obédience fonctionnelle. Scientiste ou médiateur ingénieux écomoderniste, l'artiste comédien caricature nos comportements usuels et une psychologie propre à la médiatisation télévisuelle. Son observation est dévoyée par une loupe déstabilisante, retournant en pantomimes et arlequinades nos actes les plus autorisés. L'auteur se fera touriste, professeur, colombophile ou philosophe, des situations sensées qui vont ici basculer dans la déraison sémantique. Nul n'est épargné, pas même l'art en cours avec sa nébuleuse scientifico-arty. Le jeune homme – dans une vie créative qui se répète tous les jours et à longueur de journée – appréhende l'existence comme une contrefaçon normée, une obligation à décoiffer. Comme dans la série Imagine you are … de Julian Opie, c'est le quotidien falsifié qui en est le premier sujet. À Thiers, son registre tient du sculptural, brocardant un décor qu'il a reconstruit en matériaux légers et à trois dimensions bien réelles : il s'agit du mobilier bien achalandé de son fast food kebab habituel, celui du coin de sa rue, 8 bis rue Saint-Esprit à Clermont-Ferrand.

 

C'est acquis, avec laure MARY-COUÉGNAS nul besoin de mourir pour être recouvert de fleurs. L'artiste – qui s'émancipe volontiers du châssis – peint ses inflorescences warholiennes directement sur les murs ou des caissons architecturaux, voire en ripoline les motifs sur des lés appliqués directement mur/sol, tel un support de décoration en démonstration. Des tableaux d'apparence joviaux, peints à l'acrylique, prennent encore pour sujet d'agrément agrumes et légumes : immenses abricots (orange pop), cornichons stylisés (verts sur fond mauve), poireaux dressés. Et sous un soleil difficile à imaginer absent et qui pourtant parfois l'est, d'autres toiles au cadrage tronqué surprennent entre enchantement et étrangeté : oiseau et poule exotiques, animaux-valises mi-autruche mi-girafe, papillon bariolé, feuillage et insecte arachnéen (rouge vif), serpent coloré, chimère d'insecte fossilisé, queue de sirène. Pour Aragon, Matisse avec ses sujets Luxe, Calme et Volupté, représentait Le peintre du perpétuel espoir. Ici, une artiste s'exprime sur une seconde lecture plus âpre, usant à l'occasion d'une naïveté perverse, motifs de fourmis grouillantes, clin d'œil peut-être à Un Chien andalou de Luis Buñuel. Car l'œuvre en question brouille autant nos catégories esthétiques qu'elle perturbe le bon goût, réveillant s'il en faut des notions – déjà caduques – de dégoût. L'artiste explore nos connaissances horizontales, délivre autant nos mémoires proustiennes qu'elle n'éveille nos hantises reptiliennes. Ainsi en est-il d'une culture populaire collective déconsidérée, typique à tous les continents, et qui véhicule légendes, contes et traditions orales. L'avant-garde russe du début du XXe siècle ne s'y prenait pas autrement, ballets et peinture en ont fait une épopée, de même ici non sans un certain enchantement : l'Oiseau de feu, l'œuf de Pâques, la poupée gigogne matryoshka, le style peinture de Khokhlona, et toutes les couleurs folkloriques et symboliques qui chantent avec.

 

La démarche artistique de cunming SUN suppose la mémoire de la discipline de l'ukiyo-e, à savoir une longue disposition mentale antérieure à une action minimale. Même s'il ne s'agit pas ici de saisir le mouvement d'un oiseau, c'est bien cette introspection avant création qui déterminera l'objet sculptural, celle d'une vidéo ou d'une installation dépouillée de toute sophistication. Comme le remarque Franck Scurti, ce jeune artiste chinois reçoit le monde des signes de manière simple et limpide [...] et son laconisme visuel en dit long sur la concentration qu'il met en œuvre avant d'utiliser les signes glanés dans son quotidien. Les réalisations en question ici entraînent le regard et l'esprit sur le vertige d'impensables retournements. Quand une canne de bois, posée à la verticale, tient debout comme par miracle [Sans titre (Day For Night), 2014], c'est l'espace entier qui repose sur elle, et le pneumatique d'un vélo disposé à plat sur le sol (mouvement circulaire entravé) en assume pas moins – bâton dans sa roue – toute l'assise horizontale. On trouvera invariablement dans cette démarche – en toutes exécutions – un glissement de sens Möbius, une fonction retournée en poésie charmante/violente, une circularité qui oscille d'une posture de confidentialité énigmatique à la loge publique et théâtrale. Le sens du féminin le plus raffiné pourra côtoyer un signifiant de férocité, et le genre social et politique s'imbriquer en tautologie. Ainsi en est-il avec S 2015, un croc de boucher dont la forme épouse autant la lettre de son intitulé que la fonction de fixation d'une délicate boucle d'oreille, l'une de ses deux extrémités fichée abruptement dans la cimaise. Ainsi la morphopsychologie mortifère qui émane de l'objet renie ou contrarie sa morphologie de bijouterie. Dans cette organisation sculpturale, la position des éléments mis en jeu détermine l'énoncé de l'œuvre. La présentation dans l'espace et les interactions formelles composent les sens suggérés, tels les quatrains et tercets d'un mystérieux sonnet.

 

Dans la Grande Beuverie – roman de René Daumal – l'existence est le théâtre d'une immense farce qui mène vers l'échec, son ultime porte de sortie (avec deux autres notifiant l'infirmerie et la folie). Le contexte est serré, et seul le rire est salutaire, avec bouffonnerie et grande soif au choix du breuvage ouvert. Certes, ce dernier remède – tout comme la vodka pour les russes – serait presque parfait s'il n'y avait quelques inconvénients. Mais c'est sans compter sur le duo TRAPIER DUPORTÉ, et leur Sac à dos poche de vin (2015). Si Totochabo – pataphysicien – reste comme le canis latrans peu compris de la fine fleur des évadés, ce monde dans sa farouche existence continuera à creuser son large Déficit Public d'Utopies Collectives. N'étant pas de confession nihiliste mais plutôt bon vivant, nos deux artistes n'en produisent pas moins leurs visions d'une scène universelle sous un angle d'approche à prendre de biais. Soyons honnêtes, il faut le reconnaître – sans le soutien apéritif et la pintade fumée – l'art conceptualisé ne résisterait pas au ciment armé d'un sang de porc. Auscultant – lucide caustique et fanfaron – l'époque où ils sont nés, notre duo de plasticiens constate que désormais La fête atteint sa vitesse de croisière [bien que] Les particules du vin circulent librement, comme dans l'espace Schengen. Avec Inside the wine cube, 2015, une tente-serre-sauna d'exploration provisoire (sous vapocraquage aviné) – véritable piège sudorifère – pousse le visiteur illico presto vers une autre destinée. Ricard Island, 2015, par exemple :c'est une maquette de paysage posée sur tréteaux, celle d'une île mythique au parfum anisé que chaque français connaît, mais à effet de fragrance répulsive. Eclairée d'un falot, elle n'en réanime pas moins Le Mont analogue, et sa montée sur l'ombre d'une ivresse inachevée. Le projet de Thiers restera métaphorique, parabolique et instable, voire chamarré d'agents contradictoires, culinaire, odoriférant ou non. Comme le disait déjà Georges Braque, c'est la surprise qui fait l'évènement.

L'unique moyen de savoir jusqu'où on peut aller, c'est de se mettre en route et de marcher raisonne Henri Bergson dans l'Énergie spirituelle. Sur la route séculière, carillonne le destin du marcheur. Objet inanimé ou organisme vivant, tout tient pourtant à la surface donnée, tactique de maintien pour engager l'avancée. L'artiste plasticienne marjolaine TURPIN en scrute les effets autour d'elle, non sans faire méditer : un segment de rail de chemin de fer dont la découpe sépare de la fonction, les circonvolutions d'une branche de glycine s'agrippant à son espace réduit, les lignes d'un stylo sur le papier, l'empreinte de la faille retranscrite au carbone sur le sol, voire encore une vérification du réel par autant de points de vue que d'objectifs photographiques installés. Ainsi résulte-t-il de ces œuvres d'expériences un inconnu ténu, que l'auteur décrypte comme une persistance illogique. S'avancer et évoluer dans cette persistance, c'est agir dans la réitération d'un même geste volontaire sur une surface de progression toujours précaire et instable. L'installation périssable que l'artiste présente sur le sol du Creux de l'enfer rend encore hommage – à la sortie de cet hiver 2015 – à la surface givrée des grands froids, impliquant pour ce faire un processus chimique : une grande quantité de soluté d'acétate de sodium, sursaturée de cristaux. Reste au visiteur l'expérience de la traversée : nos chemins se font en avançant sur cette construction fragile comme sur les pas des autres, à la fois empreintes et sillages d'autant de tracés, exploitables pour tous mais déjà effacés à chacun.

 

Le rapport au vivant est au centre de ma problématique de travail écrit camille VARENNE à propos de la conception de ses projets. L'artiste citera volontiers Jean Rouch pour l'approche de son cinéma à prise directe, et les récits de voyage de Victor Segalen dont les notions d'altérité, de rencontre, de différence culturelle l'ont profondément marquée. La vidéo sera son outil privilégié, même si le médium son – renvoyant efficacement la perception du vivant – rivalisera avec le visuel. C'est ainsi qu'une sculpture infrasonore sera à même de renvoyer à chacun le grésillement curieux d'un insecte (celui d'une larve de cerambycidae – dit capricorne). Ce bruit amplifié est celui que ce coléoptère invisible à notre regard émet en excavant sa galerie nourricière dans une poutre de bois. L'exemple de la proposition importe quand tout dans cette démarche artistique invite à s'exercer avec l'inconnu, cet étranger qu'est l'Autre. Mais il s'agit encore d'expérimenter l'essence initiatique du voyage dans la découverte d'un secret invisible à dénicher autant en soi qu'en l'autre, qui surpasse l'ethnographie. Les créations vidéo de l'artiste relèvent par ailleurs le comportement grégaire associé à un principe psychologique individuel. Chacun agit en lui-même dans l'apprentissage de sa collectivité et de son territoire culturel. Cette relation d'humain à humain de culture divergente se déplace sur l'animalité. Un proverbe africain assure qu'un bon cheval juge son cavalier : Wéfo, 2015, le film présenté à Thiers a été pensé et réalisé avec les guerriers du Burkina Faso à Ouagadougou. Il prend pour sujet l'élevage des chevaux et la notion d'apprentissage sous le signe d'une sorte de rituel collectif, d'essence animiste. Le document filmé déplace ces relations privilégiées et affectives du cheval à l'humain, et que notre vidéaste renvoie dans un document sans juger, pétillant de véracité et de vie ; ce noble animal à crinière sachant renvoyer ce que sa communauté humaine a su lui donner.

 

* L’avenir n’est plus ce qu’il était, [ Been Down So Long It Looks Like Up to Me ], roman de Richard Fariña (1983), préface de Thomas Pynchon. Le titre français reprend une formule de Paul Valéry.

 

Tarifs :

entrée libre

Complément d'information

les enfants du sabbat, cycle d’expositions initié par le Creux de l’enfer en 2001, propose cette année douze jeunes artistes pour sa quatorzième édition, tous issus de l’École supérieure d’art de Clermont Métropole et de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon. Le titre fait clin d’œil au lieu, le Creux de l’enfer, un site chargé de légendes païennes, d’histoires chrétiennes et sociales. Les enfants représentent de fait une nouvelle génération d’artistes, tandis que le sabbat ramène autant à une assemblée nocturne de sorcières et de sorciers, qu’au septième jour biblique, quand il appartient à l’humanité de parachever la Création. Le Centre d’Art de Thiers, avec ses partenaires, affirme sa volonté de défendre une jeune création formée sur son territoire de proximité, entre Lyon et Clermont-Ferrand, tandis que les écoles valident leurs engagements et espérances dans les artistes qu’elles ont préparés, des artistes qui au fil des années soutiennent de plus en plus nombreux leur position prometteuse. Les trois institutions unissent leurs efforts afin de permettre à ces peintres, sculpteurs, photographes, performeurs ou vidéastes sélectionnés, de présenter leurs créations dans les meilleures conditions... À eux la charge de bien faire, à nous celle de le faire savoir. C’est pourquoi, avec le soutien des écoles et le regard d’un critique d’art, le centre d’art publie à cette occasion un ouvrage dans sa collection « Mes pas à faire au Creux de l’enfer ». Une édition largement diffusée aux professionnels de l’art qui entendent ici prospecter, et un outil désormais incontournable pour éclairer le visiteur Malin qui aspire à la rencontre de nouveaux talents. Grâce à cette exposition et cette édition, dans une optique collégiale, nous pensons à ces jeunes artistes qui s’engagent avec conviction, s’exposent aux regards des autres, et anticipent le devenir de l’art.

Commissaires d'exposition

Autres artistes présentés

samira AHMADI GHOTBI - raphaël BARIATTI-VEILLON - antoine BARROT - océane BRUEL - cunming SUN - rémy DROUARD - laure MARY - COUÉGNIAS - TRAPIER DUPORTÉ - marjolaine TURPIN - camille VARENNE

Partenaires

Les partenaires de l'exposition > Clermont communauté et la ville de Lyon le CREUX DE L'ENFER reçoit les soutiens > Le Ministère de la Culture et de la Communication, la Direction Régionale des Affaires Culturelles d'Auvergne, la Ville de Thiers, le Conseil Général du Puy-de-Dôme, Clermont Communauté, le Conseil Régional d'Auvergne, le Rectorat de l'Académie de Clermont-Ferrand, le Parc Naturel Régional du Livradois-Forez.

Horaires

tous les jours sauf le mardi de 13h à 18h

Adresse

Le Creux de l'Enfer - Centre d'art contemporain d'intérêt national 83-85, avenue Joseph Claussat 63300 Thiers France

Comment s'y rendre

Avion:Clermont Ferrand Auvergne Aéroport. Train: Gare SNCF de Thiers. Voiture: Accès par A89, sortie numéro 2 Thiers Ouest; suivre D906, direction Thiers; puis D2089 > avenue Léo Lagrange, direction «Thiers; jusqu'au rond point où est indiqué le centre d'art contemporain du CREUX DE L'ENFER, avenue Joseph Claussat; remonter la Vallée des Usines jusqu'au numéro 85. Parking le long de l'avenue, face au centre d'art contemporain (gratuit).
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022