Les Corps purs

Exposition
Arts plastiques
Capa Aubervilliers
Les Corps purs

Il faut toujours suivre le désir de la ligne, le point où elle veut entrer ou mourir. Henri Matisse

Chaque trait est habité de sa propre histoire, dont il est l’expérience présente; il n’explique pas, il est l’évènement de sa propre matérialisation. Cy Twombly

Pensez au dessin de Cézanne, qui vise, disons cela d’un mot, l’apparaître sous l’apparence. Yves Bonnefoy,

Qui n’a jamais connu ou pressenti le plaisir de dessiner ? Ne serait-ce que celui de crayonner une ligne même fragile sur le coin d’une feuille de papier, ou celui de griffonner une forme chétive et aussi frêle que le geste non affirmé qui l’aurait ébauchée ? Dessiner, c’est la délectation de tracer, de croquer sans encore figurer, c’est le délice de traverser l’espace, de biffer le vide pour le rendre visible. Lorsque l’on dessine, on ne cherche pas tant à représenter mais on désire l’avènement d’une forme. On guette son impulsion, sa boursouflure, on piste son soulèvement, on épie son élaboration plus que son aboutissement. Et dans le dessin achevé, c’est encore un élan qu’on désire éperdument, une source vivante, un recommencement possible. La promesse d’un soubresaut, d’une aurore, d’une feuillaison.

Le dessin est aussi le passage vers un ailleurs. C’est le monde fécond détenteur d’un ravissement, celui de l’indéterminé. C’est une embrasure vers l’inconnu, peut-être même vers l’infigurable. Avec l’agilité de mimèsis plus ou moins scrupuleuse, les figures ou les formes dessinées ne sont pas étrangères aux choses et aux êtres de la réalité du monde, mais elles ont en elles un rayonnement étrange, un miroitement mystérieux, une apparence augurale. Le dessin bien plus qu’une ébauche est un interstice, il n’est pas un geste accompli parce qu’il est motivé par le désir inassouvi de se poursuivre. Il est l’inauguration de la forme, sa mise en perspective. C’est un prélude, une ouverture en tant que début, départ, origine, apparition. Le dessin est une saillie, une échappée, un geste lancé sur une trace qu’il faut toujours à nouveau découvrir, voire ouvrir, pour le moins entrouvrir. « Le dessin, c’est la forme non donnée, non disponible, non formée. C’est donc au contraire le don, l’invention, le surgissement ou la naissance de la forme »1.

Un des axes majeurs de cette exposition est donc le dessin, et plus ouvertement, la ligne. Même la présence de sculptures restent fidèle à cette idée car ces dernières sont le résultat d’un travail de courbes, de sillons, de veinures, ce ne sont pas des formes surgies des écorchures de la matière et il n’y a aucune empreinte de la main à leur surface. Toutefois le dessin n’est pas à prendre comme une thématique de l’exposition, cette posture serait beaucoup trop restrictive, scolaire. Le propos se veut plus libre et fluctuant car tout dépend de ce que nous entendons par dessin. Pour ma part, il s’agirait presque d’un mouvement vers. Ce mouvement énigmatique par lequel un artiste est amené à dessiner mais aussi le mouvement par lequel notre regard, notre pensée, notre sensibilité répond à celui dont la trace s’est déposée sur le papier. Nous gageons que ce mouvement est celui d’un plaisir éprouvé autant par le dessinateur que par celui qui le regarde. Bien davantage, nous parions que ce plaisir est intrinsèque au dessin parce que le dessin est une prise de liberté, une libération : celle de l’accès à la forme.

Par ailleurs, le dessin a à voir avec l’écriture. Une écriture fondamentalement poétique. Une écriture sans mot. Non pas parce qu’il raconte – bien qu’il puisse être narratif – mais parce qu’il tente de s’approcher de la réalité sans jamais en être sa totale ressemblance. Il demeure toujours une hésitation, un flottement. Comme un poème, un dessin est de la pensée conceptuelle mais travaillée par une intuition qui ne se résigne pas. Dans son mouvement même, il s’éloigne du discours, le transgresse, en multipliant et en intensifiant sa charge imageante. Le dessin est une métaphore pure et infinie, il est inscrit dans l’attente de la venue d’une forme, constamment aux aguets de ce qui peut advenir. C’est dans le dessin que surgit le mieux le parcours rapide de la pensée, il est la matière de sa fulgurance. « Errance ronde et sûre d’une courbe qui enlace, léger fouillis comme de brindilles, ou construction faite d’angles et de droites, peu importe, le dessin est toujours ce qui vient en premier, ce qui est supposé jaillir de rien »

Aussi, le titre Les Corps purs est à prendre dans son sens scientifique en évoquant une substance qui n'est composée que d'un seul type d'élément chimique. Chacun des artistes exposant travaille avec un unique médium. Katerina Christidi dessine sur de la toile au fusain souvent de très de grands formats. Catherine Geoffray dessine ses rêves avec un stylo à bille et sculpte de petites formes hybrides en une pâte céramique cuite sans glaçure d’un aspect mat. Avant et pendant la réalisation d’un de ses films, Camille Grosperrin dessine à l’encre de Chine des schèmes narratifs tout en finesse. Quant àPascal Teffo, graveur dans l’âme, il dessine à la mine de plomb des univers telluriques, des géographies presque cosmiques.

1. Jean-Luc Nancy, Le plaisir au dessin, Catalogue d’exposition, Musée des Beaux Arts de Lyon, 2007
2. Jean-Christophe Bailly, L’Atelier infini, Paris, Hazan, 2007

Commissaires d'exposition

Horaires

Entrée libre, seulement sur rendez-vous

Tarifs

Entrée libre
La date à laquelle le tarif devient valide

Adresse

Capa 27 bis rue Lopez et Jules Martin 93300 Aubervilliers France
Dernière mise à jour le 23 juin 2021