L'ECLIPSE

En 1917, des troupes anglaises se regroupent dans un paysage déchiqueté. Le terrain, vallonné, n’est constitué que d’une surface uniformément boueuse. Aucun chemin ne s’y dessine. La végétation est entièrement absente. Une multitude de fûts verticaux s’y dressent : des arbres arasés mais qui sont peut être aussi des cheminées d’usines. L’image est décomposée en 32 fragments ; chaque élément étant fortement agrandi la densité et l’irrégularité de la matière argentique constitutive de l’image est révélée. Ces boues argentiques absorbent toutes les poussières à leur contact de la même manière que nombre d’éléments matériels sont pris par les forces de succions du terrain ravagé.

Cette œuvre de Tim Brennan « Fortress Europe » découverte dans les collections du centre régional de la photographie nous est apparue immédiatement être en adéquation avec notre souhait de réaliser, à partir de ces mêmes collections, une exposition de photographies à l’ERSEP.

Simultanément, les œuvres réalisées par John Davies autour de l’autoroute A 26 Calais-Reims nous ont interpellés. Le fait que cette autoroute puisse recouvrir le lieu même indexé par Tim Brennan s’impose à nous. Si, dans la série, une image magnifique du mémorial de Vimy confirme notre intuition, la densité même des asphaltes photographiées rend particulièrement sensible le fait que tous les sites restent imprégnés des humeurs qui y ont été déversées.

En Avril 1912 la foule photographiée par Eugène Atget regarde à travers un écran. Elle observe l’éclipse, elle regarde « ailleurs ». Le jeu des contrastes, respecté avec la plus extrême justesse par Berenice Abbott qui réalise le tirage en 1956, inscrit la foule dans un déroulement très cinétique. La spatialité mise en œuvre dans l’image caractérise nombre des enjeux encore en gestation dans la société. Le cinéma constitue ici le monde qui se crée.

Et pour clore la boucle initiée par l’œuvre de Brennan nous avons choisi le tombeau de Richelieu gravé à la fin du 17ème siècle par Charles Simonneau l’ancien. Si l’œuvre est puissamment photographique, elle parle ici d’une dissolution radicale dans l’indifférencié. La matière se résorbe complètement pour ne laisser subsister que les forces d’absorption.



Pascal DUTHOIT,
enseignant photographie, ERSEP