Le Retour

Œuvres du Centre national des arts plastiques (Cnap) en dialogue avec la collection du Musée régional d’art contemporain Occitanie / Pyrénées-Méditerranée (Mrac)
Exposition d’œuvres du Cnap
Exposition
Arts plastiques
MRAC - 34410 Sérignan
Anthea Hamilton

Cette exposition de collections est le nouvel épisode d’une série en cours : la longue complicité qui lie le Cnap et le Mrac. Une nouvelle sélection d’œuvres issues du Fonds national d’art contemporain, pour la plupart acquises tout récemment, vient prendre ses quartiers dans les salles du musée, en dialogue avec la collection régionale, pour une année. Les vingt-neuf artistes réunis, de toutes générations, travaillent en Europe – en France pour la moitié d’entre eux. Beaucoup d’oeuvres sont présentées pour la première fois en France et/ou dans un contexte muséal.

Sous le lit. Au placard. Dans le miroir. Ils reviennent.

À rebours des expositions thématiques ou de l’apparente neutralité des accrochages de collections muséales, "Le Retour" s’organise comme un délire paranoïaque, un cauchemar ou un trip : à partir d’une lacune centrale. On ne saura pas pour qui, pour quoi, ronflent les tambours hollywoodiens du titre. Cette histoire n’a cependant « rien de personnel ». Pour paraphraser Jim Shaw, un des artistes de l’exposition, nous espérons que ce que nous faisons à partir de nos rêves ne dépend pas de nous. Le récit suit le procédé de l’association libre, à la base de l’activité onirique et de la cure psychanalytique. À l’invitation du grand mural de Nora Turato, partons pour a creepy little walk (« une petite balade flippante »).

Les œuvres rassemblées nous sont familières par certains aspects. Beaucoup tirent leur matière du quotidien, de l’univers domestique et commercial (Bernard Bazile, Jean-François Boclé, Nina Childress, Lubaina Himid, Nora Turato). Elles se nourrissent de la surproduction contemporaine de clichés, de mots et de choses, via, notamment, la publicité et les réseaux. Plusieurs s’ingénient à détourner, voire à saboter, la façon dont les images circulent dans les tuyaux numériques (Bill + Horni, David Horvitz, Pierre Joseph).

Nouvelles technologies, certes, mais vieilles lunes. L’exposition s’ouvre ainsi sur un film de Yuyan Wang, One Thousand and One Attempts to Be an Ocean (2020), monté à partir de centaines de séquences vidéo Youtube dites #oddly satisfying / étrangement satisfaisantes – des scies qui se révèlent, à la longue, moins inoffensives qu’il n’y paraît. Ce qui persiste, c’est leur étrangeté, inquiétante évidemment2. Nous assistons, hypnotisé·e·s, à « l’évolution du surréalisme en tant que force révolutionnaire œuvrant à l’intérieur d’un truc publicitaire » – pour dévoyer à nouveau les propos de Jim Shaw. Les grands-papas des Champs magnétiques3, lecteurs passionnés de Sigmund Freud, hantent d’ailleurs toute l’exposition jusqu’à la dernière salle, qui leur fait les poches.

À travers le ressac des images et la glu des objets, « Le Retour » laisse sourdre souvenirs, peurs et désirs, à peine sont-ils refoulés que les revoilà. « Les rejetons de l’inconscient4 », lui-même nourri de culture pop, surgissent au détour des rêves, de l’écriture automatique et des hallucinations psychédéliques (Abdelkader Benchamma, Bruno Botella, Achraf Touloub, Caroline Tschumi). Au rayon symptômes et transferts, on trouve toute la panoplie clinique : fétiches (Andrea Büttner), doppelgänger (Jim Shaw), fixette libidinale (Robert Crumb), terreur de l’autre et, surtout, beaucoup de mélancolie (à peu près tout le monde – et vous ?).

Aucune des œuvres rassemblées ne témoigne pourtant de complaisance pour le tourment intérieur du sujet. L’ironie est un premier garde-fou. Sous des titres trop explicites pour être honnêtes, les œuvres Mood Disorder (« troubles d’humeur »), de David Horvitz, ou Death (« mort »), d’Özgür Kar, se révèlent narquoises à souhait. Ainsi le squelette soliloquant mis en boîte par le second nous interpelle-t-il : « Hey ! Hey, toi là ! Es-tu naïf ? N’est-ce pas une question effrayante ? » On peut aussi en rire, à gorge déployée, comme la chauve-souris de série Z peinte par Bruno Botella. L’autre moyen de conserver son flegme serait peut-être une certaine absence du sujet à lui-même. C’est le vide que l’on contemple au cœur de l’enclos d’Élisabeth Ballet, une sculpture « comme soustraite à l’espace qu’elle occupe ».

La dissociation n’est toutefois pas l’antagoniste du trop-plein. « Ça » déborde. Sous les surfaces séduisantes – écrans LED et glaçures –, tout est en réalité corrompu, tendancieux, joyeusement dysfonctionnel : peinture et pixels se contaminent (Bill + Horni, Achraf Touloub), le papier peint et la céramique parent le white cube5 (Laëtitia Badaut Haussmann, Nathalie Du Pasquier, Anthea Hamilton), les sculptures sont tendres, voire flaccides (Nicolas Deshayes, Cécile Noguès, Studio GGSV). Entre autres facéties, les œuvres réunies pour « Le Retour » n’en finissent pas de taquiner les grands préceptes modernistes, la pureté du médium et tout le tralala.

Au-delà de l’art, il s’agit d’élan vital. Les stratégies d’hybridation, le désir de transmutation semblent courir d’une pièce à l’autre : artiste-oiseau (Anne-Lise Coste, Dado), ange-poulet, (Caroline Tschumi), homme-femme-ordinateur (Judith Hopf), bidet-fesse (Nicolas Deshayes). Échapper à la forme figée, à la catégorie (y compris celles de la race, du genre et du sexe) apparaît comme une stratégie de résistance face à une réalité aliénante. Ni régression, ni retraite : « Le Retour » tente un pas de côté, une petite balade. À la fin, tel·le le·la Petit·e Poucet·te6, nous retrouvons, bien alignés par Andrea Büttner, tous nos cailloux.
 

1. Les citations de Jim Shaw sont tirées d’« Une conversation entre Jim Shaw et Mike Kelley », in Collectif, Jim Shaw. Everything must go, cat. exp., Luxembourg, Casino, et Genève, Mamco, Santa Monica, Smart Art Press, 1999, p. 43 et p. 49.
2. « L’Inquiétante Étrangeté » est un essai clé de Sigmund Freud, paru en 1919 en allemand, sous le titre « Das Unheimliche », dans le volume V de la revue Imago.
3. Les Champs magnétiques sont un ouvrage élaboré à quatre mains par André Breton et Philippe Soupault au printemps de 1919, publié en 1920, et considéré comme un des écrits fondateurs du surréalisme. Les deux auteurs y expérimentent l’écriture automatique.
4. « Abkömmling des Unbewussten » dans le texte, expression fréquemment utilisée par Freud, notamment dans « Das Unheimliche » / « L’Inquiétante Étrangeté », op. cit.
5. Le White Cube/ cube blanc est le paradigme de l’espace moderne d’exposition, supposément neutre. L’expression a été popularisée notamment par l’artiste et critique d’art Brian O’Doherty.
6. Moins connue que le conte de Charles Perrault, La Petite Poucette a été écrite par Hans Christian Andersen et publiée en 1835. Il est vrai que si la Petite Poucette naît d’une fleur magique, connaît de multiples aventures, elle ne s’embarrasse guère de cailloux.

Commissaires d'exposition

Accès mobilité réduite

Oui

Adresse

MRAC - 34410 146, avenue de la Plage - BP4 34410 Sérignan France

Comment s'y rendre

En voiture: sur l’A9, prendre sortie Bézierscentre ou Béziers-ouest puis suivre Valras/ Sérignan puis, centre administratif et
culturel. Parking gratuit.
En transports en commun: TER ou TGV arrêt Béziers. À la gare: bus ligne E, dir. Portes de Valras-Plage, arrêt Promenade à Sérignan.

Dernière mise à jour le 22 décembre 2023