Lauréats des bourses de recherche curatoriale du Cnap

Session 5 - 2021
Annonce
Olga CHERNYSHEVA, Waiting for a Miracle, 2000

Olga CHERNYSHEVA, Waiting for a Miracle de la série Les Bonnets, 2000 (FNAC 01-366)

Le Centre national des arts plastiques a lancé en 2015 des bourses de recherche curatoriale. Ce dispositif propose à des chercheurs et commissaires indépendants de s’emparer de sa collection et de produire de la connaissance sur et avec celle-ci, en développant une recherche inédite.

Une quinzaine de projets ont ainsi été accompagnés depuis 7 ans. Les recherches menées dans ce cadre ont permis d’expérimenter de nouvelles méthodologies et de mettre en évidence des corpus, des lignes de forces, des ensembles conceptuels, historiques, critiques : autant de portes d'entrée sur une collection unique de par son ampleur et sa sédimentation historique. Certains de ces projets de recherche ont donné lieu par la suite à des ouvrages, publications en lignes, expositions et autres expériences discursives.

A la suite d’un appel à candidatures lancé en décembre 2021, deux nouvelles candidatures ont été retenues en mars 2022, pour la cinquième session de ce programme. Le jury, présidé par Béatrice Salmon, réunissait Alexis Guillier, artiste, Virginie Bobin, commissaire indépendante, Sandra Patron, directrice du CAPC, Aude Bodet, cheffe du pôle collection du Cnap et Juliette Pollet, responsable de la collection arts plastiques.

Les projets de Sasha Pevak et Chris Cyrille, qui se déploieront en 2022 et 2023, permettront de mettre en lumière des géographies et généalogies aussi peu étudiées au sein de la collection que cruciales pour penser le temps présent. Chaque lauréat touchera une bourse de 10 000 euros et travaillera en relation étroite avec l’équipe et les ressources du Cnap.

•  « “Janus à deux visages” – œuvres des artistes de l’Europe de l’Est et de l’Europe Centrale dans les collections du Cnap à la lumière des études postcoloniales soviétiques », par Sasha Pevak

L’expression « Janus à deux visages » renvoie d’abord à la figure de Janus, dieu des passages, des commencements et des fins dans la mythologie romaine. Dans un second temps, elle nous ramène à l’idée d’« empire au visage de Janus » que la penseuse décoloniale Madina Tlostanova développe depuis 2003. Elle part de l’allégorie de Janus pour s’adresser à l’impérialisme russe et à la colonialité soviétique et décrire la façon dont ils opèrent à l'intérieur et à l’extérieur de la région à travers le temps.

La recherche se développera autour d’un ensemble conceptuel d’œuvres des artistes de l’Europe de l’Est et de l’Europe Centrale dans les collections du Cnap, qui représentent des figures humaines et des paysages. Elle aura pour point focal un moment charnière dans l’histoire de la région : les années 1980-2000, marquées par la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc de l’Est, par le passage vers le capitalisme, ainsi que par la reconstruction des identités nationales. Ce processus est souvent accompagné d'une forme d'amnésie. La période d’influence soviétique est jugée comme oppressive, elle est donc souvent vouée à être traitée comme non-histoire. Mais cette période était elle aussi amnésique dans la mesure où la modernité soviétique annihilait elle-même les histoires précédentes et les identités. Là où la mémoire ne se transmet pas par des supports écrits, car ceux-ci ont fait objet de manipulation, elle trouve d’autres issues : elle s’imprime dans le corps humain, se transforme en post-mémoire, imprègne les lieux. Ceux-ci deviennent parfois les seules sources fiables d’une vraie histoire.

  « La nuit, l'aveu d'une collection. À partir d'une histoire de l'art antillais », par Chris Cyrille

Chris Cyrille se propose de travailler à partir des œuvres des quelques artistes antillais présents dans la collection du Cnap, pour penser « la nuit d’une collection ». 

La nuit d’une collection n’est pas qu’une absence ou un manque, c’est un espace souterrain qui pousse probablement toute collection à faire ses aveux, soit : révéler et dévoiler ses structures intimes, ses raisons, ses politiques, sa méthodologie et ses catégorisations, ses lignes incluantes et excluantes. L’intérêt ne sera pas seulement de « relire » une collection mais bien de la révéler comme espace/temps continental qui n’arrive pas à s’imaginer comme archipélique. Car, en effet, le continent s’éprouve plus facilement comme multiple et diffracté en ses bords qu’en son centre, il s’étend au-delà des eaux si bien que c’est la France continentale entière qui devient un « Outre-mer ». Cela nous pousse à préciser : la collection du Cnap ne sera pas notre centre, elle sera notre bord, cela, pour sortir des erreurs hexagonalisantes et centralisatrices. Les Antilles ne sont pas une succursale de la France. L'enjeu pour nous sera de vivre et de penser depuis le bassin caribéen qui s'éprouve en plusieurs langues, et qui éclabousse les côtes américaines pour venir converser avec elles et leurs histoires. Nous proposerons, à partir d'études en histoire de l'art et en esthétique menées depuis les Antilles, de penser collectivement une histoire de l'art antillais détenant une relative indépendance, elle-même au carrefour de plusieurs histoires dont celle de « l’art caribéen » et de l’ « Atlantique Noir ». 

Sa recherche entraîne d’autres questions : Comment délimiter, où commence et où finit notre espace géographique ? Comment sortir des histoires régionalistes pour penser une histoire de l'art trans-îlienne, soit mangrographique ? 

Dernière mise à jour le 1 avril 2022