J'y ai mis tous les blancs

Didier Dessus et Pierre-Yves Magerand
Exposition
Arts plastiques
le quai 294M9 / la gare Saint-Maurice-lès-Châteauneuf
On pourrait penser, qu’à notre époque hautement technologique, le dessin à la mine traditionnelle, de plomb ou de carbone, voir à l’encre, est une pratique désuète. C’est pourtant bien à ce médium, à ce faire intemporel qui participe au travail de la plupart des artistes, que sera consacrée cette exposition. Nous y découvrirons les travaux de deux artistes contemporains, Didier Dessus et Pierre-Yves Magerand . "Le dessin que nous pratiquons d’après des éléments empruntés au réel, qu’ils soient pérennes ou éphémères, revendique une dimension exploratoire. L’observation précise et lente nous conduit parfois jusqu’à la structure même de l’objet, au cœur d’une arborescence aux ramifications et aux connections surprenantes. Notre sujet, touché par le regard, rejoint notre mémoire corporelle et s’en trouve du même coup chargé de fragments anthropomorphes. Dans le dessin des pierres et des fleurs fanées, la ligne irrigue alors la surface blanche, devenant tour à tour veine, membre, figure. La tâche, ou le pigment, met au jour des scènes multiples et mobiles, des paysages intérieurs qui peuvent s’évaporer dans l’espace du papier et dans le temps de l’observation. La maison, lieu d’exposition, est un espace marqué, loin du "white cube". Inhabitée depuis des années et délestée de son mobilier, elle en conserve, au travers des surfaces et des matériaux, le style d’une époque (le 19e) et le goût des propriétaires. Chargée de cette mémoire vive, elle est cependant assez légère pour recevoir des œuvres, les accueillir pleinement et dialoguer avec elles. Lors de la découverte des lieux, la déambulation prend la forme d’une promenade, ponctuée par d’heureuses coïncidences. Temps d’arrêt devant certains motifs (papiers peints floraux), découverte d’espaces dérobés, de passages étroits, d’ouvertures délicates sur la nature environnante. Ici, l’accrochage des dessins prend d’emblée une résonance particulière. Que se soit au travers des formes et des thèmes, comme des différentes temporalités dans lesquelles nous sommes conviés à voyager. Dans l’économie actuelle et face aux réseaux de communication, la question du temps et de la perception est primordiale pour nous. Nous faisons, il est vrai, parti d’une génération marquée par une réflexion sur l’espace, et nous sommes conscients de l’importance des événements et des gestes accomplis dans l’histoire. Ces données influent sur notre conception d’un travail artistique comme sur sa lecture. Pour nous, une rapidité excessive, une affirmation immédiate voire péremptoire, un déni des références, ne permettent pas un ancrage réel, distancié, et une appropriation personnelle des choses. Notre dessin est vécu comme une respiration, à la fois contemplative, analytique, rêveuse, et inquiète. Jeux permanents, multipliant les rebonds et les renvois, les dessins, souvent conçus par série, sont autant de fragments d’un ensemble ouvert à réinterpréter en permanence. Une durée se déploie. Les gestes se superposent. Tissage serré de liens et de trouées, à l’image du monde, oscillant entre réconfort et incertitude." Pierre-Yves Magerand et Didier Dessus, Dijon novembre 2009 Le travail de Didier Dessus Reviennent régulièrement dans mes dessins ou peintures, des formes biomorphiques, organiques souvent végétales ouvertes à l’interprétation, à l’imaginaire. Ces formes sont apparues dans les peintures végétales ou animales multicolores des années 90, dans les biches dansantes des peintures murales du début des années 2000, elles ont évolué en devenant les poissons aux traits foisonnants dans les dessins de pure imagination qui ont suivi. Jamais auparavant, elles n’ont été employées dans le travail d’observation d’après modèle que je produis aussi à partir de motifs divers (cabanes, figurines, tableaux classiques, punks iroquois…). Cet été, lors de mes promenades en quête de motifs, j’ai été attiré par des fleurs à structure complexe : passiflores, ombellifères, roses… Suite à une première série de dessins de fleurs, j’ai ramassé des pommes pourries que j’ai laissé se décomposer sur ma fenêtre en une sorte d’élevage, non pas de poussière, mais de pourriture. Il en est résulté des dessins complexes, ambigus, donnant à voir des fragments de corps humains, des drapés, des paysages de montagnes molles, alors que l’intention de départ était une volonté scrupuleuse de représentation des fruits et des fleurs. Puis les roses ont fané et les dessins qui ont suivi ont été comme des vanités citant sans détour la thématique des natures mortes classiques. Cependant, j’ai choisi d’isoler les végétaux de leur contexte paysager ou familier (vase table support), je ne représente ni les ombres ni les tiges des fleurs qui acquièrent ainsi une forte dynamique de vie ; formées de l’énergie gestuelle du dessin, elles flottent dans un espace abstrait. Étrangement, c’est en cherchant un rendu fidèle des apparences des objets réels, que les formes de mon imaginaire le plus intime peuvent s’exprimer pleinement. Le froissement des pétales de rose, l’infinie complexité des plis de la chair des pommes en décomposition, sont à proprement parler, impossible à représenter dans une technique d’encre directe à la plume qui ne permet aucun repentir. L’image que l’on forme mentalement quand on à pense à une pomme n’est jamais celle de la pomme en état de décomposition. De ce fait, le dessin du mouvement des chairs vers la disparition produit un trouble quant à la reconnaissance d’un objet dont l’original est à peine nommable. D’une certaine façon le dessin comme représentation exacte est condamné dès le départ à son propre échec. Quelque chose advient qui est un écart très grand entre le modèle et le résultat dessiné, cet écart est classique dans la représentation (peinture ou dessin), il est simplement très accentué par le dispositif que j’ai choisi. En conséquence, l’imaginaire du « regardeur » est libre de donner un autre sens aux formes, il les prolonge en interprétant les traits du dessin selon son imaginaire propre. Notes de Pierre-Yves Magerand à propos des séries de dessins sans titre débutés en 2007 « …Je savais sourdement que la perception globale traversait et utilisait mon regard, le caillou m’apparaissait en pleine lumière devant les ténèbres bourrées d’organes de mon corps… » (5) M. Merleau-Ponty On peut aisément voir dans les pierres que je récolte patiemment à l’occasion de flâneries, de promenades orientées ou de simples trajets quotidiens, autant de signes extérieurs pérennes et concrets de la réalité d’un temps vécu. Le choix de ces cailloux ne se fait pas sur la base de particularités exceptionnelles. Au contraire, il se fonde avant tout sur la capacité de ces éléments à apparaître comme quelque chose de l’ordre d’une évidente simplicité. Discrète mais bien là, chaque pierre est une infime partie d’un tout qui saura résonner le moment venu. Portant en eux les traces parfois infimes bien qu’incrustées des transformations et manipulations diverses, ils sont de tailles et de dimensions différentes, mais tous sont en attente d’une main qui les recueille et en explore les contours. La somme des cailloux trouvés aurait-elle pour vocation de tracer les prémices d’un chemin qui nous conduirait vers notre propre intériorité ? Quoi qu’il en soit c’est un voyage en profondeur, pour explorer les régions où l’infime révélera sa part de merveilleux, de trouble et d’étrangeté qui se profile lors de chaque observation et qu’il faudra préserver comme une nouvelle pépite. A la promenade initiale se substitue ainsi une déambulation intérieure peuplée de paysages sans cesse renouvelés : Méandres où des figures organiques et incarnées croisent des réminiscences végétales, et où la ligne se fait arborescence, rhizome et réseau. Dans cette plongée où chaque facette d’une même pierre ouvre sur un horizon nouveau, le dessin en couleurs, épuré et traité en séries apparaît comme le révélateur le plus intime et le plus sensible pour tenter de fixer ces apparitions. Dépôt fugace et fragile du pigment sur le grain du papier : Un seul détail est traité dans l’espace d’un format déjà réduit puis vient ensuite en rappel la discrète inscription du contour de la forme observée. La date du jour d’exécution parachève de matérialiser cet acte et rend visible le processus d’élaboration du travail. Dans cet itinéraire singulier, chaque série (13 à ce jour, comprenant de 13 à 46 dessins), s’égrène apportant une nouvelle pierre à une fondation où les prises et les failles s’intercalent dans un joyeux vertige. P-Y Magerand, juin 2008 Notes de travail mars 2007 C’est en marchant et en scrutant l’horizon et le sol que l’idée d’œuvres à la fois extrêmement plates en même temps que modelées s’est imposée. Face à une étendue qui se déroule et se dévoile au fur et à mesure de notre avancée, la perception de tâches, de flaques, d’accidents divers de surface, ménagent subitement dans cet espace des ouvertures et des profondeurs insoupçonnées. Si l’expérience en est généralement fugace (un pas de côté ou une projection concrète nous ramène vite à la réalité), elle déclenche par un jeu libre d’associations d’images une simultanéité dans la perception du réel qui le rend indissociable d’un sentiment d’imprévisibilité. Dans cet échange ou les composants fusionnent, se transforment, se dissolvent pour mieux renaître ailleurs et autrement, l’extériorité et l’intériorité dialoguent de façon ininterrompue. Dès lors comment aborder un paysage (partie visible et émergée) sans l’envisager de façon concomitante avec sa face cachée et immergée dans notre conscience : les images et les représentations mentales que nous lui associons. Si ces questionnements étaient déjà présents dans certaines œuvres (1), les sculptures en bois peint réalisées notamment depuis 2006 abordent sous un angle nouveau cette problématique. Dans le cas présent, nous sommes face à chaque fois à une forme découpée dans une même plaque de bois. Les contours bien que précis et définis semblent empreints d’une certaine souplesse. On peut imaginer aisément une possible expansion latérale de l’œuvre. La position horizontale que cette dernière occupe dans l’espace contribue dans un premier temps à convoquer chez le spectateur l’image d’un territoire (cartographie). Placée juste au-dessus du sol, cette flaque réserve à la faveur de notre déplacement un événement inattendu :une partie de la matière (le plus souvent en son centre), a subi une transformation qui en accentue du même coup l’impression d’instabilité de la forme. En effet, la substance dont elle est composée paraît en effervescence comme en témoignent les boursouflures et les sillons qui émergent sur la surface. Cette même matière stabilisée dans son pourtour est soumise à quelques agitations et soubresauts dans son intérieur même, comme si elle était la condensation de deux états différents et opposés réunis au sein d’un même espace et dans un même temps. Dès lors, la figure sous-jacente d’un paysage cartographié, vu à une autre échelle est-elle à elle seule envisageable, ou ne faut-il pas également lui associer l’image de la pensée en action s’échappant et modifiant cette géographie initiale ? Dans D’où jaillissent tant de murmures (2006), ou dans Ce qui flotte dans l’air suffit (2006), le travail du modelé dans l’œuvre n’est pas sans évoquer une coupe opérée dans une boîte crânienne.(2) Cette soudaine béance nous entraîne alors, au-delà des plis et des replis, dans les méandres d’un territoire qui déborde largement de la configuration présente. Au cours des différentes transformations opérées sur la plaque de bois initiale (découpes, ponçages successifs, applications des couches picturales), la trace des gestes et des outils sans être mis en avant n’est jamais oblitérée. Cette facture qui nous ramène au temps d’effectuation de l’œuvre en est une des composantes essentielles. Elle nous rappelle à l’image du galet trouvé sur la plage, que son aspect poli n’est que l’empreinte du temps, des chocs et contacts successifs face aux événements et aux éléments qui ont jalonnés son parcours. Dans ces œuvres récentes, la sculpture s’affirme plus que jamais comme le lieu de la pensée en acte et de l’organique mêlés, nous rappelant que notre immersion dans le monde est sans cesse travaillée par les représentations de notre propre histoire. P-Y M, mars 2007

Autres artistes présentés

Didier Dessus - Pierre-Yves Magerand

Partenaires

Drac Bourgogne, Conseil Régional de Bourgogne, Conseil Général de Saône&Loire, Pays Charolais-Brionnais, Commune de Ligny en Brionnais, Banque Populaire de Bourgogne Franche Comté, Chocolats Bernard Dufoux, Trois petits pains...

Horaires

ouvert les samedis et dimanches de 14h30 à 19h ou sur rendez-vous

Accès mobilité réduite

Oui

Adresse

le quai 294M9 / la gare Le Quai(294M9) la Gare 140 route de la gare 71740 Saint-Maurice-lès-Châteauneuf France
Dernière mise à jour le 2 mars 2020