journal horsd'oeuvre n°30

Monumentalité
Parution
Arts plastiques
appartement/galerie Interface Dijon

Ce numéro 30 de horsd’oeuvre est le fruit d’une heureuse collaboration entre la Galerie Interface et l’Université de Bourgogne. Sa réalisation en a été confiée à des doctorants ainsi qu’à d’anciens étudiants devenus des acteurs de la vie artistique – critiques, écrivains d’art et curateurs d’expositions. Le thème retenu, celui de la « Monumentalité » fait écho à une actualité largement consacrée, cet automne 2012, à la sculpture, et particulièrement à François Rude célébré par le musée des beaux-arts de Dijon 1 à travers une exposition rétrospective, dont le chef d’oeuvre de l’artiste, Le Départ des Volontaires constitue le pivot. Prolongeant la manifestation, un colloque 2 se propose de réfléchir à l’éminente question du Monumental dans la sculpture des XIXe et XXe siècles. Dans ce riche contexte 3, le journal horsd’oeuvre apporte sa pierre à l’édifice en offrant un regard sur l’art actuel et ses relations avec le monument, une notion forcément mise à mal à une époque où les « grands récits » ont perdu leur légitimité (J-F Lyotard, 1986). Les sculptures-monuments de Rude font oeuvre d’histoire. Cependant, l’événement n’y est pas figé dans une identité essentialisée. À propos de La Marseillaise Rosalind Krauss observe qu’elle n’est pas la représentation d’un moment de l’histoire, mais qu’elle donne à voir « le mouvement du temps historique et la place de l’homme en son sein » (Krauss, 1977-1997), une différence qui inclut l’acte de conscience dans l’image, d’autant plus héroïsée qu’elle est animée d’un sentiment de liberté unificateur. La valeur commémorative et fédérative des monuments se heurte aujourd’hui à une inquiétude inlassablement répétée : « Est-ce la fin de l’histoire ? ». Dans le livre devenu culte, L’arc-en-ciel de la gravité, Thomas Pynchon réinventant l’immédiat après guerre, dépeint un monde en ruines, parcouru d’espions, de personnages improbables, de créatures baroques qui nous entraînent dans les méandres terrestres et sous-terrestres d’un univers dont les causes et les effets se confondent : « L’après-guerre allait-il être une succession « d’événements » sans liens entre eux ? Est-ce la fin de l’histoire ? ».
La fiction (ou science fiction) traduit les interrogations qui traversent notre temps et dont les artistes sont aussi les porteurs et les agitateurs. Confronté à l’incertitude, l’imaginaire interroge le monument et force parfois l’histoire à des réajustements : ainsi ces tipis d’Indiens installés au bas des figures des présidents taillés dans la roche du mont Rushmore pour rappeler, dans un geste aussi nécessaire que dérisoire, que les terres où se proclame l’union des Etats était et reste également la leur ; ainsi la narration approximative de l’histoire par Fischli et Weiss, qu’ils ne
peuvent envisager qu’à travers la dispersion fragmentaire de la sculpture et l’utilisation d’un matériau fragile, l’argile ; ainsi la restitution nostalgique par Robert Smithson des vestiges industriels érigés en monuments éphémères dont la fonction et la grandeur se soldent dans la promesse de l’effacement du passé dans le présent. Le slogan que Clay, l’étudiant paumé de Moins que zéro entrevoit sur l’autoroute de LA « Disparaître ici » et qui semble le menacer tout au long de son errance désenchantée dit aussi à sa manière l’impossibilité du monument remplacé par une ultime et sublime épitaphe publicitaire. Néanmoins, ce que disent ces oeuvres, c’est que si la valeur commémorative du monument ne résiste pas à la multiplicité des points de vue ni à la dérive du monde, le monument décliné dans ces interprétations contemporaines persiste à dire la vérité, mais dans ses différences plutôt que dans son unité. « Faire l’expérience du monument » ainsi que nous y invite le projet d’Elfi Turpin et de Kristina Solomoukha implique de prendre en compte des modalités propres au genre et dont la principale est celle de l’échelle. Réduire ou agrandir les dimensions de la sculpture fait toujours sens, soit par rapport à l’art lui-même, soit par rapport à une certaine réalité du monde. Dans l’expérience de la monumentalité, la relation de l’oeuvre avec l’espace qui la contient est souvent ambiguë. Le gigantisme assez récent des espaces d’expositions commande la taille des oeuvres autant qu’il génère une concurrence suspecte aussi bien entre les structures qu’entre les artistes. D’un autre côté, se confronter à la grandeur des lieux signifiait pour Joana Vasconcelos à Versailles être en adéquation au cadre, adapter sa mesure à la hiérarchie de l’histoire, des ors et des genres, sans parvenir toutefois à éviter l’absorption par la toute-puissance du décor. La difficulté consiste à défier l’idéologie de pouvoir qui sous-tend la monumentalité. Aussi, certains préféreront jouer avec (de) ses règles, tel Chris Burden, imaginant une sorte de mécano à grande échelle pour créer un chaos de poutres fichées en terre dont l’anarchie apporte un démenti aux lois et prétentions de l’architecture. Telle encore l’artiste numérique Claire Sistach dont les cyber-explorations redéfinissent une monumentalité virtuelle et fragile, menacée par la dissolution dans la reproduction sans fin du cyberespace. « Disparaître ici ».

Valérie DUPONT

 

 

 

1. Précisément, l’exposition du musée des beaux-arts de Dijon est consacrée au couple d’artistes François et Sophie Rude. En plus de l’attrait que représente le rassemblement inédit des productions du sculpteur, la découverte des oeuvres de Sophie Rude, peintre méconnue, accroît de beaucoup l’intérêt de l’événement. « François et Sophie Rude. Un couple d’artistes au XIXe siècle, citoyens de la Liberté », musée des beaux-arts de Dijon, du 12 octobre 2012 au 28 janvier 2013.
2. « Le Monumental. Une valeur de la sculpture, du romantisme au postmodernisme », colloque international organisé par le musée des beaux-arts de Dijon et l’Université de Bourgogne, les 6 et 7 décembre 2012.
3. Un autre manifestation de sculpture monument(ale) est actuellement visible à Dijon : dans le cadre des Nouveaux Commanditaires, Le Consortium présente l’oeuvre de Didier Vermeiren, « Etude pour le Monument à Philippe Pot », Eglise Saint-Philibert du 28 septembre au 28 octobre 2012.

 

 

 

Complément d'information

Edito - Monument, monumental, monumentalité... et puis plus rien...?, Valérie Dupont
Cyber-monumentalité, Franck Balland
Art, monumental(ité), et présence du/des genre(s), Servin Bergeret
Mount Rushmore / Crazy Horse Memorial : hommages et controversies, Julie Boisard
Du grand art ?, Bertrand Charles
Chris Burden, Nicolas-Xavier Ferrand
Champ de ruines, Guillaume Mansart
Napoléon s’éveillant à l’immortalité
À la mémoire collective, Claire Simon,
MOT NU MENT, Elfi Turpin
La sculpture monumentale de François Rude (1784-1855) : « une oeuvre de tous les temps »
Armelle Weirich

Couverture // Magdalena Jetelova -

Double page centrale // Pedro Cabrita Reis, the arm, 2012

Partenaires

Le monumental, une valeur de la sculpture du romantisme au postmodernisme. Colloque organisé par l'Université de Bourgogne et le musée des beaux-arts de Dijon 6-7 décembre 2012 à la Nef – Dijon

Adresse

appartement/galerie Interface 12 rue chancelier de l'hospital 21000 Dijon France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022