Jasper Morrison... museum pieces (suite)

Exposition
Design
Galerie Kreo Paris 06

Un texte écrit par Laurence Mauderli, Paris, 2006 Pour sa première exposition à la Galerie kreo, le designer britannique Jasper Morrison présente deux projets distincts : les Carrara tables et les Museum Pieces. Ces deux séries de pièces originales apparaissent comme emblématiques et manifestes de sa vision du design - mêlant rapport à l’histoire, fonctionnalité et précision de réalisation, utilité et subtilité. Les Carrara tables, tables d’une extrême simplicité formelle, sont réalisées en marbre de Carrare. Jasper Morrison démontre une nouvelle fois qu’une forme archétypale peut engendrer une nouvelle typologie d’objet : la « table-banc » ou inversement le « banc-table », en différentes dimensions, composent plusieurs modèles d’étagères. Une vingtaine de compositions, toute singulière, sont ainsi présentées. Jasper Morrison donne également une autre lecture de ce matériau « référence », d’une pureté exceptionnelle, extrait depuis près de 2500 ans des carrières toscanes, et historiquement dédié aux sculptures... Les Museum pieces se présentent comme une « collection synthétique d’antiquités », composée de quatorze récipients et d’un pilon, placés à l’intérieur de vitrine en bois et verre. Les Museum pieces apparaissent telle une sorte d’archéologie du temps présent, une réunion de formes et silhouettes « iconiques » d’objets quotidiens d’un temps révolu. Ces pièces témoignent à la fois de l’intérêt récurrent de Jasper Morrison pour les formes du quotidien, et de son engagement à produire des pièces « justes». Elles questionnent également le statut de l’objet usuel antique, devenu ?uvre d’art. Cette exposition ? Quinze résines noire, quinze résines blanche, trente pièces qui mises en vitrines deviennent «pièces de Musée» comme l’indique le titre de l’exposition. Par ce premier geste d’enferment où Jasper Morrison va-t-il ? Déplace-t-il le territoire de ses pièces, ici, «museum pieces» ? est-ce dire que ces pièces quittent le territoire de l’usage attendu et que par ce geste d’enfermement, il en a suspendu l’usage, mis la fonction entre parenthèse pour les basculer dans le territoire exclusif du regard. Le second geste, celui-là de fabrication abolit tout usage possible, certaines de ces pièces sont pleines ou d’un seul bloc, les autres suscite cette impression qu’ici, il y a aussi, quelque chose qui cloche, quand bien mêmes certaines semblent maintenir une promesse d’usage. On pourrait commencer à décrire les premières en disant des vases au col obstrué, mais il faut aller plus loin, ces vases sont pleins, la fonction n’est pas seulement suspendue par l‘écran de la vitrine, elle est devenue impossible. Un bol ? à peine conviendrait-il de dire un réceptacle dont on ne voit pas nettement quel serait l’élément qui pourrait s’y loger, revient l’impression tenace d’une fonction suspendue et d’une fonctionnalité éloignée. Une boîte à bijoux, un réceptacle à pharmacée de nuit ? On pourrait encore y associer des pièces archéologiques, on pense aux accessoires pour les gestes de beauté des femmes ougaritiques, mais ce contenant et son couvercle clairement posé ne font qu’un seul bloc. Ces trente pièces enfermées en des vitrines de musée, que deviennent-elles exactement ? Pièces à poser, pièces à regarder à coup sûr. Ces pièces de musées ressemblent-elles par certains côtés à des Morandi, peut-être, à des objets présents dans les tableaux de la période métaphysique de de Chirico, peut - être également, on se souvient que le peintre disait ne pouvoir saisir ces objets que «surpris par certaines dispositions d’objets et que toute l’énigme de la question tenait pour lui dans ce mot : « surpris ». Avec ces pièces une nouvelle appréhension des objets, vus de près, vus de loin mais toujours enfermés dans une vitrine que sont-ils donc devenus ? Serait-il légitime d’envisager ici un possible retour de l’attention portée par Jasper Morrison aux figures archétypales, un objet enfin débarrassé de toute formalité ? Ces pièces de musées se comportent comme des ombres d’objets designés, la résine ombralise l’objet et ce faisant ces pièces perdent une dimension, on veut dire qu’elle rentre dans la deuxième dimension ; la résine ombralise l’objet pour le forcer, mis en vitrine, à rendre obscolescent le blanc et le noir résine qui se rapprochent d’une impression d’objet désincarné. Ces pièces de musée perdent une dimension en s’ombralisant, à distance et dans une vitrine elles ne paraissent plus posséder que les deux dimensions mais sans illusion ici d’une représentation plastique (...) Une leçon de design pour rappeler avec force ces exigences telles que les pose Jasper Morrison ? Ce pourrait être une partie de la réponse donnée par cette exposition ; stopper les dérives d’aujourd’hui, le designer déguisé en artiste et s’avançant masqué évidemment dans une galerie déguisée en musée. Une colère de Jasper Morrison, née d’une irritation devant la posture artistique de certains ? Il installe effectivement ici le « mur » mortifère dont il dénonce l’écueil et veut garder le design : Every thing but the walls selon l’injonction donné comme titre à son livre. C’est un fait que l’apparence physique d’un objet est pour la plupart des gens ce qui fait la présence des objets, mais peut-être qu’ainsi faisant on y attache beaucoup trop d’importance. Si nous pensions que la forme est moins importante nous pourrions développer une sensibilité nouvelle pour d’autres qualités de l’objet. Et ainsi, designer dans une voie qui ouvre sur d’autres aspects de l’objet, ce serait là faire un pas dans une direction juste. » «The unimportance of form », Ottagano, 100 Mai 1991

Artistes

Adresse

Galerie Kreo 31 rue Dauphine 75006 Paris 06 France
Dernière mise à jour le 2 mars 2020