Jacent, House call

Projet soutenu par le Cnap
Exposition
Arts plastiques
Sans titre Paris 03
Jacent, House call, 2022

"Peindre en dehors du cadre est une des grandes affaires des avant-gardes du début du XXe siècle, de même que pour celles des années 60 et 70 jusqu’à nos jours. Il semble que durant cette période, à la fois fatale et salvatrice pour la peinture, l’acte de peindre ait été contraint par différentes pressions liées aux contextes historiques, aux changements politiques et aux progrès sociaux. La peinture, loin d’être ridiculisée par Marcel Duchamp, est devenue cette zone de tension entre radicalité et conservatisme bourgeois, emancipation politique et marché de l’art, spéculation financière d’un côté et spéculation artistique de l’autre. La peinture ne se décide pas entre l’un ou l’autre, elle reste ce domaine des possibles qui n’appartient à personne. En s’extrayant de ses limites, elle devenait vulnérable mais un solide appui pour toutes formes d’expression, de la plus louable à la plus critiquable. 
 
Peintres insatiables depuis leur enfance, le duo Jacent (Jade Fourès-Varnier et Vincent de Hoÿm) a pris à bras le corps cette émancipation, en formulant depuis qu’iels travaillent en commun, une pratique picturale se déployant sur du mobilier, les murs, les sols... pour s’exprimer dans un environnement devenant lieu de vie davantage qu’espace d’exposition. Sans le rejeter pour autant, puisqu’il demeure dans bon nombres de leur œuvres, le cadre du tableau ne pouvait convaincre une approche et des personnalités trop attachées aux notions de partage et de générosité, pour circonscrire ainsi leur pratique. Si leur peinture investit souvent les murs de l’espace d’exposition, il s’agit pour eux de faire de l’autoritaire et inextricable white cube une zone accueillante, afin de transmettre ce plaisir qu’iels ressentent lorsqu’il s’agit de s’y confronter. Elle recouvre aussi des carreaux de faïence blanc de l’univers pictural des artistes, à la fois sur des tableaux et sur du mobilier (tables de salon, fauteuils, banquettes, lampes...) grâce auquel le visiteur est convié à se sentir « comme chez lui ». Il ne s’agit pas d’art participatif pour autant, mais bien de combler un vide, celui tenace de lieux où la pose, la fatigue et la possibilité de prendre le temps ne font pas partie du programme. Chez Jacent, la peinture est aussi faite pour s’asseoir, regarder autour, boire un verre, discuter, lire... afin que l’espace d’exposition devienne un lieu agréable sans pour autant essayer d’en faire un café, un salon, un restaurant, une chambre d’hôtel ou une boite de nuit. Car il y a certainement mieux qu’un lieu d’exposition pour faire tout cela. Et si Jacent a effectivement pu, par le passé, s’inspirer de ces lieux publics ou privés dans leur projet, ce fut simplement pour y insuffler un peu de ces ambiances convenant à tous.tes, dans ce but de rendre le white cube moins hostile, tout en y préservant ses caractéristiques propres. 
 
Cette approche concède une part importante à la convivialité et la peinture a pu devenir réceptacle pour des repas, pour lesquels des plats ont été savamment cuisinés et composés, servis dans des assiettes peintes, aussi pertinentes sur une tablée qu’accrochées aux murs. Selon l’usage et le contexte, les œuvres de Jacent changent de fonction: œuvres d’art par essence, elles servent de mobilier domestique chez eux, ou parfois dans les expositions d’artistes invités à Tonus, dont iels assurent la programmation. 
 
Ce va-et-vient est significatif d’une pratique artistique ne souhaitant pas différencier l’art et la vie, afin d’accueillir les visiteurs d’expositions comme on accueille des amis. Cette générosité se retrouve dans la touche picturale et l’environnement imaginaire de Jacent, plongeant le regardeur dans des paysages à la nature luxuriante, aux couleurs chatoyantes, où faune et flore cohabitent harmonieusement avec les corps humains et ceux des animaux. On y perçoit des enfants, des couples amoureux et non genrés, des situations familiales et des scènes de désir. Et tout pourrait dépeindre un monde parfait, d’un point de vue enfantin et insouciant, si ce n’est cette profondeur des coloris, la représentation de rêves mystérieux, la mélancolie ambiante nous rappelant que cet état de plénitude pourrait connaitre une fin prompte. 
 
À l’occasion de leur exposition House Call, Jacent poursuit cette recherche d'assouplissement entre zones intimes et publiques au sein de l’espace d’exposition chez Sans titre. House Call, c’est l’appel de la maison mais une maison ouverte, où la cellule familiale s’ouvre à d’autres types de famille, d’autres compréhensions et utilisations de l’espace domestique, pour des experimentations de partages dans lesquelles l’art a aussi son rôle à jouer. House Call reconfigure l’espace de la galerie en espace hybride avec, au sol, une composition colorée faite de moquette ; au mur des tableaux de carreaux de faïences peints, figurant des fleurs et des personnages semblant émerger d’une origine commune ; des pastels présentant des fenêtres ouvertes sur des paysages oniriques et ensablés, dont l'intense lumière transforme la plage en une étendue désertique à la fois infinie et inquiétante. Des lettres apparaissent comme H.O.U.S.E, mais aussi H.O., évoquant des ruines d’enseignes rappelant des lieux de vacances, ou encore des ambiances musicales associées à des instants de plaisirs permettant de se dépasser et de parvenir à l’harmonie. Des tableaux sont fixés aux murs tels des écrans plats tandis que des mini-peintures sont branchées en cours de chargement, questionnant avec humour l’influence des réseaux sociaux sur l’évolution de la peinture, de même que son statut troublé par la pléthore d’images digitales ou NFT. Une édition réalisée par les artistes réitère le sujet du bouquet de fleurs, déjà présent dans les tableaux, sous forme de dessins et de photographies decompositions florales inspirées de la série, privilégiant cette fois-ci le support papier. Elle peut être feuilletée dans un canapé, à la lueur de lampe-sculptures en carreaux de faïences découpés. Tout au fond, une dernière salle se dérobe à la manière d’un studiolo. Plus épuré, cet espace invite à l’étude et à l’analyse d’autres variations de bouquets de fleurs, et là, seule la peinture bénéficie de l’attention totale des sens. Ces répétitions de motifs floraux agissent telle une composition musicale, leur titre faisant souvent références à des chansons mélancoliques de Billie Holiday, de rap, de house ou de musique classique. 
 
Si l’on se trouve toujours « Chez Jacent », Jacent se trouve toujours chez les autres, et il importe peu que l’on soit chez quelqu’un en particulier tant que le duo trouve toujours les moyens esthétiques d’offrir et de partager quelque chose, qu’il s’agisse d’un repas, un sentiment, une conversation, une exposition ou un peu d’amour. "

Texte de Benoît Lamy de La Chapelle

Complément d'information

Cette exposition bénéficie du soutien aux galeries / exposition du Cnap

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Adresse

Sans titre 13 rue Michel Le Comte 75003 Paris 03 France
Dernière mise à jour le 26 avril 2023