Plateau 3 en ligne

« Inquiétances des temps »
Projection/Diffusion audio

III. Avant-dernières nouvelles du monde (archives, temps)
26 juin-23 juillet 2021

Tout au long de son œuvre, l’historien et journaliste allemand Siegfried Kracauer se livre à une opération très fine de « pesée » des notions de séries temporelles, de contingence, de fragment, de montage, de hors-champ, d’empathie, d’« estrangement », de général, de particulier, de gros plan, de détail, à l’œuvre dans l’histoire, la photographie et le cinéma. L’asynchronie comme modèle historique défait par principe toute linéarité de l’histoire et toute origine première aux constructions historiques, plaçant l’historien dans une zone intermédiaire pour ne s’attacher qu’aux avant-dernières choses. La représentation est bien cette zone intermédiaire, travaillée tout aussi bien par la fiction que par l’usage réflexif des archives, creusant toujours davantage l’ouverture d’une distance au réel et à ses constructions.

7 films

Yael Bartana, Degenerate Art Lives, 2010, 5’
L’œuvre engagée de la photographe et vidéaste israélienne Yael Bartana consiste à se saisir de moments historiques du passé pour les faire résonner dans le temps présent, à rebours de l’histoire officielle, en prenant le contre-pied critique des tragédies du XXe siècle. Degenerate Art Lives est une allégorie grinçante qui met en perspective les deux guerres mondiales du siècle passé. Évoquant par son titre la notion d’Entartete Kunst, « art dégénéré », formulée par le régime nazi, qui s’appliqua en particulier à l’œuvre de l’artiste allemand Otto Dix, qui avait dénoncé les désastres de la guerre de 1914-1918, le film met en scène un contre-défilé militaire, en une parade dérisoire peuplée de figures de soldats blessés, handicapés, en reprenant l’iconographie propre à Otto Dix, dont l’œuvre fut détruite dans l’exposition Art dégénéré à Dresde en 1937.

Yael Bartana, Degenerate Art Lives, 2010, 5’

 

Eric Baudelaire, L’Anabase de May et Fusako Shigenobu, Masao Adachi, et 27 années sans images, 2011, 66’
Dans son film L’Anabase de May et Fusako Shigenobu, Masao Adachi et 27 années sans images, l’artiste polygraphe Eric Baudelaire « expose » une triple enquête portant sur le leader de l’Armée rouge japonaise Fusako Shigenobu, sur sa fille May ainsi que sur le cinéaste Masao Adachi. Tournées en Super 8 mm, selon la fûkeiron, « théorie du paysage » d’Adachi, des vues de Tokyo et de Beyrouth d’aujourd’hui se mêlent à quelques images d’archives, de télévision, à des extraits de films, sur lesquelles s’exercent les voix de May et d’Adachi pour se réapproprier une mémoire oubliée.

Eric Baudelaire, L’Anabase de May et Fusako Shigenobu, Masao Adachi, et 27 années sans images, 2011, 66’

 

Shirley Bruno, Ombres (An Excavation of Us), 2017, 11’11”
Avec Ombres (An Excavation of Us), c’est l’histoire d’Haïti que la vidéaste haïtienne explore à travers un voyage en barque au fond d’une grotte, en élaborant un dispositif cinématographique puissant d’ombres portées évoquant les exactions et tueries des soldats napoléoniens. Tourné dans la grotte Marie-Jeanne à Port-à-Piment, en Haïti, le film évoque et célèbre la mémoire de Marie-Jeanne Lamartinière, qui prit part en 1804 aux combats contre l’esclavagisme et pour l’indépendance. Le film explore littéralement cette histoire et nos propres souvenirs ou nos non-souvenirs, comme le fit aussi le cinéaste Sharunas Bartas avec la mémoire de l’histoire lituanienne dans Few of Us.

Shirley Bruno, Ombres (An Excavation of Us), 2017, 11’11”

 

Willie Doherty, Sometimes I Imagine It’s My Turn, 1998, 2’50”
Dans son œuvre photographique et vidéographique, l’artiste d’Irlande du Nord Willie Doherty s’attache à revisiter d’une manière littérale ou métaphorique l’histoire du conflit irlandais, à travers l’évocation des lieux de son enfance aussi bien qu’à travers des lieux qui hantent toute mémoire historique nord-irlandaise, habitée par la remémoration des conflits sanglants qui ont opposé catholiques et protestants dans les années 1970. Artiste engagé, Willie Doherty ne cesse d’interroger l’actualité politique présente de l’histoire de la partition de l’Irlande. La notion de point de vue est centrale dans Sometimes I Imagine It’s My Turn, qui suggère la découverte filmée d’une scène de crime inexpliqué, interrompue par des inserts télévisuels sans relation avec la présence du cadavre, déstabilisant ainsi la signification de ce qui est filmé.

Willie Doherty, Sometimes I Imagine It’s My Turn, 1998, 2’50”

 

Deimantas Narkevičius, Legend Coming True, 1999, 68’
Tout le travail de Deimantas Narkevičius s’inscrit dans le champ documentaire de l’art contemporain. Comme d’autres vidéastes de l’archive et de la mémoire, tels que Harun Farocki, Hartmut Bitomsky, Alexander Kluge, notamment, Deimantas Narkevičius accorde à la description des faits, des traces, la principale valeur opératoire de son cinéma, comme possibilité d’un récit. Legend Coming True s’articule en trois parties : dans la première séquence, une petite fille lit la légende fondatrice de la ville de Vilnius, puis dans la deuxième séquence, une voix de femme raconte l’histoire de sa fuite du ghetto de la ville, enfin la dernière séquence donne la parole à une dernière survivante qui interprète le chant des résistants. Chaque séquence porte un fragment de récit, donne à voir un moment ténu de mémoire, sous la forme de trois portraits, qui témoignent pour le témoin.

Deimantas Narkevičius, Legend Coming True, 1999, 68’

 

Dania Reymond, La Tempête, 2016, 10’
Le film de la réalisatrice franco-algérienne Dania Reymond met en scène la reconstitution d’une première séance de cinéma, dans la classe d’une école de village. Les enfants apprentis régisseurs travaillent à occulter les fenêtres pour faire le noir afin de préparer la projection. Le film qui apparaît alors sur l’écran provisoire représente la venue d’un camion cinéma dans une campagne algérienne dans les années 1960 de la colonisation. Le cinéma est évoqué ici littéralement comme une tempête de sons, d’images, d’affects, d’idéologies, qui envahissent les spectateurs médusés.

Dania Reymond, La Tempête, 2016, 10’

 

Ana Vaz, Há Terra!, 2016, 12’47”
Les dialogues entre le présent et le passé, la place de l’archive dans la construction du récit, et les discontinuités du temps historique représentent les motifs principaux du cinéma d’Ana Vaz. Repenser la situation historique du Brésil et « redonner » langue aux voix des Indiens, sans viser un quelconque nouvel effet de domination qui serait dialectiquement prisonnier des anciennes constructions idéologiques, telle est l’ambition de son cinéma qui « expose » littéralement ce mouvement vers une altérité reconquise, et la mise en perspective des enjeux de notre temps, en mettant en tension des territoires divers, en faisant dialoguer des archives, des témoignages, maintenus sans résolution ni désir de totalisation dernière. Le mouvement de ses films est fait d’hybridations des références, de circularités et de répétitions des segments. La fluidité des séquences et du montage font de cette œuvre une machine cinéma, créant de véritables films-enquêtes.

Ana Vaz, Há Terra!, 2016, 12’47”

Ana Vaz, Há Terra!, 2016, 12’47” (FNAC 2017-0524).

Complément d'information

Du samedi 26 juin au vendredi 23 juillet sur la chaîne YouTube de l’Abbaye de Maubuisson et sur le site www.inquietances-des-temps.com

Hors-Champ, 3e épisode, samedi 26 juin à 18h

Projection spéciale de Mostafa Derkaoui, De quelques événements sans signification, samedi 26 juin à 20h30

Commissaires d'exposition

Dernière mise à jour le 24 juin 2021