Garde fou

exposition personnelle d'Amélie SCOTTA
Exposition
Arts plastiques
under construction gallery Paris 03

En architecture, le garde-fou est la rambarde qui prévient la chute. Au sens figuré, il désigne ce qui préserve de la démence. Par le dessin, je tente d'exprimer l'influence, parfois violente, de l'architecture et de l'urbanisme sur le comportement des individus, mais aussi comment la folie humaine s'exprime à travers ces formes. Partant d'archives, je dessine de manière lente et minutieuse, opérant des prélèvements du réel qui, par une légère transformation, nous font basculer dans la fiction. Un déplacement, une répétition, un changement d’échelle nous confrontent à une situation étrange mais possiblement réelle : une prison ouverte, un escalier en boucle, un trou dans la ville. L'imperfection du geste, les hésitations et la fragilité du papier sont aussi là pour nous rappeler que nous avons davantage affaire à une matière qu'à une image.


A travers la fenêtre, motif récurrent dans mon travail, le cadre est la source lumineuse qui permet de s'immiscer du dehors au dedans, et inversement. Le dessin Centrale est percé d’une ouverture qui rappelle l’oculus au sommet de nombreuses coupoles et notamment celle du Panthéon romain. Cet « œil », selon le terme latin employé par les architectes, est la seule lueur qui nous parvient depuis l'intérieur de cette tour de refroidissement, et aussi celle qui nous raccroche au ciel, au divin.

Le rectangle blanc de Plasma correspond à l'espace vide laissé sur les « mockup », des fichiers disponibles sur le web où graphistes et publicitaires viennent apposer leur affiche. Cette « percée », lumineuse et énigmatique, est aussi un clin d'œil aux célèbres Theaters de Hiroshi Sugimoto, où le temps de pose d'une pellicule photographique sur la durée d'un film donne un résultat similaire.

Dans la série Windows, des personnages se découpent dans la lumière de cadres de fenêtres. Sans autre contexte que celui de cette ouverture, le regardeur ne sait plus vraiment discerner s'il observe depuis l'intérieur ou l'extérieur de la pièce. Tantôt le jour contraste avec l'obscurité de l'appartement, tantôt la lumière artificielle se découpe dans la nuit.

Enfin, dans le dessin au graphite Presidio, une prison en ruine laisse passer les rayons du soleil à travers les encadrements de ses cellules, dessinant les jeux d'ombres d'un après-midi ensoleillé. Les « petites cages » deviennent alors de grandes fenêtres ouvertes sur le paysage.


Presidio est un dessin au graphite inspiré d'une ancienne maison de détention construite à Cuba dans les années 20 sur le modèle du Panopticon. Pensé par Jeremy Bentham à la fin du XVIIIe siècle, le panoptique est une tour centrale où se trouve un surveillant et autour de laquelle des cellules sont disposées en cercle. La lumière pénètre du côté du prisonnier et le surveillant peut ainsi le voir se découper en ombre chinoise dans sa cellule. Il a une vision constante sur l'ensemble des détenus, qui ignorent quant à eux s’ils sont surveillés ou non. « Autant de cages, autant de petits théâtres, où chaque détenu est seul et constamment visible. »1 Le vrai but de Bentham était de concevoir une architecture qui influence le comportement des détenus afin qu'ils deviennent eux-même leur propre gardien. Michel Foucault approfondira deux siècles plus tard cette théorie philosophique, esquissant les grandes lignes d’une société de contrôle qui deviendra plus que réelle avec les nouvelles technologies : caméras de surveillance, réseaux sociaux, smartphones etc. Grâce à ces outils, l'utopie sécuritaire peut se développer et nous rendre acteurs de notre propre enfermement. Il est alors difficile de ne pas comparer les cellules surexposées des prisonniers de Bentham à nos milliards d'écrans lumineux ; autant de petites fenêtres qui nous permettent de voir et d'être vus en permanence.


« Nous vivons dans un monde surexposé. Et elle vient de loin cette lumière qui est à la fois celle d'un supermarché et celle d'un laboratoire. »2  Voir plus, voir mieux, telle semble être la devise de nos sociétés contemporaines, où la brillance promet d'aller de pair avec une forme de maîtrise et de puissance. La lumière clinique, blanche, traquant « l'ultime refuge de l'ombre »3, est celle qui ne laisse rien passer, au risque d'y perdre l'atmosphère et l'âme des lieux. Je pense à la Colonne-soleil, ce projet de Jules Bourdais « qui aurait pu être le monument-symbole de la ville de Paris »4. En compétition avec celle de Gustave Eiffel pour l'exposition universelle de 1889, cette tour de 360 mètres promettait d'éclairer tout Paris grâce à un immense réflecteur redistribuant de la lumière vers la ville et jusqu’à l’intérieur des édifices et des maisons. Même si le projet n'est pas retenu, le comité de l'époque n’est pas insensible à l’idée d’éclairer ainsi tout Paris depuis un emplacement central. Ce rêve de phare urbain, sorte de lumière omnisciente, devient particulièrement réel en chine où les programmes « Filet du ciel » et « Yeux perçants » visent à équiper l'ensemble du continent de caméras dont les images seront accessibles à tous.


Amélie Scotta - janvier 2019


1. Michel Foucault, « Surveiller et punir » - 2. Mona Chollet, « Beauté fatale » - 3. Junichirô Tanizaki, « Eloge de l'ombre » - 4. Quid sit Lumen (blog), « Tour soleil », Olivier Balagna, 5 mars 2015


Née à Nantes en 1983, diplômée en design graphique à l’HEAR de Strasbourg et en art à l’ENSAV La Cambre, elle vit et travaille entre Paris et Bruxelles. Elle est ancienne résidente de la Fondation Moonens à Bruxelles et de la Casa de Velázquez à Madrid.


EXPOSITIONS PERSONNELLES

2018 : Casa de Velázquez - open studio - Madrid

2017 : Drawing Room 017 - Salon du dessin contemporain - Montpellier

           Éléphants blancs - exposition personnelle -  under construction gallery - Paris

           Moonens Foundation - open studio - Bruxelles





 

Artistes

Horaires

Du mercredi au samedi de 14h à 19h

Adresse

under construction gallery 6 passage des Gravilliers 75003 Paris 03 France
Dernière mise à jour le 2 mars 2020