Ficcionario

Sebastian Diaz Morales
Exposition
Arts plastiques
Galerie Catherine Bastide Bruxelles

"Insight", film still, 2012

La Galerie Catherine Bastide a le plaisir d’annoncer Ficcionario, exposition solo de Sebastian Diaz Morales, artiste né en Argentine (1975) et installé en Amsterdam. Elle présente trois œuvres ambitieuses en vidéo : Insight (avec un story-board d’accompagnement), Pasajes et Smoke Signals. Archéologue de l’image, Diaz Morales questionne la perception elle-même dans cette trilogie de ses films, actuellement les plus saisissants.

 

« Aujourd’hui l’abstraction n’est plus celle de la carte, du double, du miroir ou du concept. La simulation n’est plus celle d’un territoire, d’un être référentiel, d’une substance. Elle est la génération par les modèles d’un réel sans origine ni réalité : un hyperréel. Le territoire ne précède plus la carte ni ne lui survit. Dorénavant, c’est la carte qui précède le territoire – PRÉCESSIONS DES SIMULACRES – c’est la carte qui engendre le territoire. » (Baudrillard, Simulacres et simulation, 1981, p. 10)

 

Insight est l’abstraction totale. Une équipe de tournage soigneusement constituée se présente comme un tableau vivant face au spectateur. Puis elle vole soudain en éclats – comme si l’on perçait la surface pour révéler la simulation – un miroir explose lentement en mille morceaux. Tourné en haute définition admirablement travaillée, Insight est un hommage aux chambres noires à l’ancienne, mêlé d’esprit critique dirigé contre les mass media d’aujourd’hui – phénomène provoqué par un monde qui ne distingue pas entre réel et simulacre. Diaz Morales emprunte des tactiques d’industrie médiatique pour l’exposer et pour le saper de l’intérieur. Montrer les méthodes au lieu de les dissimuler permet l’irruption d’un moment de réalisation. Comme les morceaux de verre éclatent en minuscules galaxies, le contexte se déconstruit et la tendance universalisante de la pratique de Diaz Morales est représentée, au sens littéral du terme.

 

Imprégné de la philosophie de Jorge Luis Borges dans sa nouvelle Del rigor en la ciencia (« De l’exactitude dans la science », 1946), Diaz Morales présente ainsi une reformulation de la réalité. Chez Borges, un empire imaginaire établit une carte grandeur nature identique à cet empire, par une sorte de concept psycho-géographique : la carte devient le territoire, et réciproquement. La notion de « carte » comme réalité co-existant – et coextensive – est le pivot des travaux de Diaz Morales, qui croit réellement que nous habitons tous des cartes de ce genre et que le territoire est une relique depuis longtemps disparue. De même que la nouvelle de Borges se termine par la destruction de la carte du fait des générations qui suivent, l’alternance de construction et de déconstruction des réalités par Diaz Morales est symptomatique d’un monde où l’original n’existe plus, remplacé par une suite de simulations. L’artiste est l’inventeur de scénarios au potentiel infini. Récusant les limitations du récit au bénéfice de quelque chose de moins arrêté, l’absence de direction se présente comme un agent intemporel – assez inconfortable – d’une opportunité infinie autant que vaine.

 

Pasajes est une allégorie fondée de ces réalités infinies. Le spectateur y est invité à traverser, de porte en porte, des mondes sans connexions : une échoppe de cordonnier, un bâtiment abandonné, un gymnase, un musée. Une  démonstration labyrinthique de la versatilité de la réalité se déroule sous nos yeux. Des scènes de splendeur abandonnée suivent celles du quotidien, tandis que le promeneur reste contemplateur passif de son environnement constamment changeant – une progression qui ne s’arrête pas, mais sans qu’elle indique nécessairement un changement positif. On voit des villes qui négligent leur passé au bénéfice d’un avenir en panne. Cela se situe dans la ville de Buenos Aires, naturellement, mais Diaz Morales recherche l’essence même de la nature de toute cité. À aucun moment la porte ne pourrait s’ouvrir sur la réalité parallèle du spectateur, dans la pièce qu’il occupe et dans la carte qu’il habite – celle qui a mis en ordre et informé sa perception du monde.

 

Dans le même temps, en partant des « réalités » dangereuses créées par les mass media, Smoke Signals propose un choix de perception différent. C’est la représentation d’une manifestation de rue, dépouillée de toute spécificité au bénéfice d’un filtre de type papier journal, qui gomme les détails. Une tentative pour reclasser un motif largement popularisé par les médias, ou ce qu’on pourrait appeler un acte d’anti-propagande. En retournant la caméra sur elle-même, Diaz Morales se réapproprie sa fonction. Confronter le spectateur avec le regard indifférent de l’appareil devient le symbole troublant d’une réalité multipliée et magnifiée. Qu’on souscrive ou non à la philosophie des cartes co-existantes, Ficcionario laisse une impression durable : la réalité étant malléable, qu’elle est la votre?     

(traduit de l’anglais par Denis-Armand Canal)  

Horaires

Galerie ouverte du mardi au samedi, de 11h à 18h

Adresse

Galerie Catherine Bastide rue de la Régence 67 1000 Bruxelles Belgique
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022