Ernesto Neto

Exposition
Arts plastiques
Domaine de Kerguéhennec Bignan
Le Brésil a souvent été cité comme un modèle de démocratie multi-raciale, mais il a connu plusieurs dictatures militaires au xxe siècle, et les écarts sociaux y demeurent extrêmes. Ce terreau politique, la bipolarité qui oppose Rio de Janeiro et São Paulo, la situation géographique et climatique, la très jeune histoire de ce pays découvert en 1500, et bien d’autres facteurs ont donné naissance à trois mouvements artistiques majeurs depuis les années vingt : le Modernisme, le Concrétisme et le Néoconcrétisme. L’oeuvre d’Ernesto Neto, né en 1964, entretient un lien intime avec ces deux derniers mouvements, tout en étant imprégnée de l’esprit de l’« anthropophagie » qui caractérisa l’attitude des modernistes à l’égard des influences étrangères (où ils puisèrent sans compter). Elle poursuit à sa manière le Néoconcrétisme des personnalités majeures que furent Lygia Clark ou Hélio Oiticica dans les années soixante et soixante-dix, et elle entretient la controverse avec le Concrétisme des années cinquante, marqué par une abstraction froide et une géométrie émancipée du seul angle droit, comme l’architecture de Brasília en donna l’exemple le plus caractéristique. La dimension corporelle est prépondérante dans les sculptures de Neto, qui évoquent en effet des organes, des membres, et dont la surface joue à plus d’un titre le rôle d’une peau, qui maintient et qui contient. Le lycra et la mousse sont ses matériaux de prédilection, préhensibles et ou extensibles à souhait. Les environnements qu’il réalise sont à parcourir, à traverser, comme certains « pénétrables » cinétiques, mais ils incitent plus à s’installer, à éprouver de tout son poids la résistance de leurs matériaux, et à humer les senteurs des épices que l’artiste introduit souvent dans ses oeuvres afin d’élargir le champ de sensations générées et sollicitées par la sculpture. Ernesto Neto a conçu pour Kerguéhennec un projet complètement original, à la mesure des écuries du Domaine, bâtiment du xviiie siècle classé monument historique, dont la salle d’un seul tenant fait plus de 40 m de long ! Trois salons y sont juxtaposés, tendus de tissus blanc, vert, rouge et brun, où les visiteurs, admis en groupes limités, sont invités à circuler et s’installer après s’être déchaussés et avoir revêtu des vêtements de circonstance. En vis à vis, dans les salles plus intimes de l’autre bâtiment, disposé parallèlement aux écuries, six projets distincts ont été imaginés au tout dernier moment par l’artiste pour les six salles de la bergerie : des dessins réalisés au mur, une vidéo, et des environnements. Nous ne pouvons en dire plus à l’heure où nous publions ce journal... Venu en repérage à Kerguéhennec en 2004, l’artiste avait examiné différentes hypothèses, y compris celle d’une importante réalisation éphémère en extérieur. Or sollicité entre temps pour un projet de commande publique au Japon, la réalisation d’une oeuvre permanente vouée à l’espace extérieur, qu’il soit urbain ou paysager, entre aujourd’hui dans ses préoccupations et renouvelle fondamentalement son approche de l’objet d’art. À Kerguéhennec, qui s’est d’abord fait connaître par son parc de sculptures, un tel tournant prend une résonance particulière. Et l’exposition offrira les conditions idéales pour l’élaboration d’une commande pérenne venant enrichir la collection d’oeuvres spécifiquement conçues pour le site depuis 1986. Frédéric Paul. « La vie est très dure, très violente. La télévision, je devrais dire le journalisme, est tout simplement ridicule. On n’y parle que de tragédies. [...] Je ne comprends tout simplement pas cette apologie de la souffrance, je suis en désaccord avec elle, et je préfère me placer à un autre point de vue. C’est peut-être propre aux Brésiliens, ou aux habitants de Rio de Janeiro, mais nous adorons détacher la poésie du chaos. Je ne sais pas. Au fond, il y a au Brésil une volonté de créer un espace confortable et protecteur qui permet d’engendrer un état de réflexion silencieuse et de se tenir à l’écoute de son propre corps. Cela permet également d’accéder à une libération sociale provenant de la surprise que suscite cette expérience et qui conduit à un échange ludique avec des inconnus. [...] La vie est merveilleuse, même si elle est très dure, même si elle tourne parfois à la tragédie. Personne ne m’a jamais offert quelque chose de supérieur à la vie. J’aime les êtres humains, tant pour leurs bons que pour leurs mauvais côtés, parce que ce sont des êtres humains et parce qu’ils font partie de la nature. Mais je suis surtout attiré par leur drame intime. La seule autorisation requise pour faire de l’art est d’être vivant. L’art est à la portée de tout le monde. Nous sommes tous des artistes et nous sommes tous des dieux. Je crois à cette dimension des choses. C’est étrange d’être vivant. Exister est étrange. En quoi cela consiste-t-il exactement ? » Ernesto Neto. Extrait de « La fragilité du monde », entretien avec Cecilia Pereira, cat. Ernesto Neto, O Corpu, nu tempo, Centro Galego de Arte Contemporánea, 2002, Saint-Jacques de Compostelle, trad. Richard Crevier.

Accès mobilité réduite

Oui

Adresse

Domaine de Kerguéhennec Kerguéhennec 56500 Bignan France
Dernière mise à jour le 2 mars 2020