Entretien avec Claire Nédellec

Conseillère pour les arts plastiques à la DRAC Pays-de-la-Loire

Votre région semble riche d’œuvres issues de la commande publique artistique et du 1 % artistique ?

Elle l’est, notamment grâce à l’aventure d’Estuaire, un itinéraire entre Nantes et Saint-Nazaire ponctué désormais par une quarantaine d’œuvres. La DRAC a travaillé de manière attentive pour les éditions de ce musée à ciel ouvert en 2007, 2009 et 2012, et plus récemment pour les cinq sculptures de Daniel Dewar et Grégory Gicquel à Saint-Nazaire ; cela nécessite un dialogue constant avec les élus pour que les artistes puissent s’emparer des questions du paysage, de la déambulation, de l’usage ou du devenir de certains bâtiments. Nous devons aussi analyser l’équité territoriale en ce domaine pour que ce ne soit pas uniquement les grandes métropoles qui bénéficient de ces commandes. C’est ainsi que nous avons soutenu la réalisation des vitraux de Pierre Mabille en l’église Saint-Maurille à Chalonnes-sur-Loire en 2014 ou la future œuvre de Raphaël Zarka, « La Doublure », à la Manufacture des Allumettes de Trélazé (Maine-et-Loire).

La commande artistique est toujours une aventure humaine, elle regroupe des personnes qui ont le souci de l’aménagement du territoire, de la politique culturelle, des architectes et des artistes qui créent des œuvres pour faciliter la circulation et la mobilité des individus. L’essentiel est de trouver un langage commun pour un mieux être et un mieux vivre sur un site.

On pourrait penser que les commandes du 1 % se tournent uniquement vers de jeunes artistes mais ce n’est pas toujours le cas, elles permettent aussi de faire appel à des créateurs confirmés. À Nantes, ORLAN est intervenue à la Bibliothèque universitaire de la faculté de Pharmacie en 2010 et Claude Rutault au lycée Nelson-Mandela en 2015.

Quand débutez-vous le dialogue avec les habitants et les usagers ?

Dès que nous le pouvons, nous mettons les usagers dans la boucle en début de réflexion. Nous essayons de capter les envies, de les faire fructifier ou de les réexaminer si les éléments du contexte ne sont pas tous réunis pour une opération réussie. Nous le savons bien, la temporalité politique n’est pas celle de la création…

Le kiosque Fenouil de matali crasset au CHU d’Angers, qui sera inauguré en automne 2019, se situe dans le prolongement d’opérations plus ponctuelles de résidences d’artistes organisées depuis 2006 au CHU en partenariat avec le FRAC et les écoles supérieures d’art. Le projet est parti du travail d’un groupe de citoyens autour de la circulation des patients, de leurs familles et du personnel. Nous sommes intervenus pour faire en sorte qu’une œuvre en extérieur puisse offrir un lieu de pause sur leurs parcours.

La sonification du tramway du Mans par Delphine Bretesché et Martin Gracineau découle d’une résidence des artistes de sept mois en 2014 dans la ville pour enregistrer 250 personnes. C’est une commande qui n’est pas spectaculaire mais dont le résultat est étonnant puisque ce sont les habitants qui prennent en charge l’intégralité des annonces des stations. Ce projet a également permis de produire un catalogue sur le design sonore dans l’espace public, en lien avec l’école supérieure des Beaux-Arts qui propose une formation supérieure en design sonore. Pour l’inauguration, les industriels avaient mis à disposition une voiture de tramway dans un hangar et toutes les personnes qui avaient prêté leur voix étaient présentes. Ce fut un moment inoubliable sur le plan humain. Et la prochaine Biennale du son au Mans prouve bien qu’une commande publique peut essaimer.

Comment favoriser la rencontre de l’œuvre avec la population ?

Il faut être vigilant sur la rédaction des appels d’offres pour que chacun reste à sa place : l’artiste n’est pas un animateur culturel ! Dans le cadre du 1 % artistique au collège et au lycée, le travail est souvent facilité grâce à l’engagement des équipes pédagogiques. Lors des Journées du 1 % artistique de l’école à l’enseignement supérieur, dans le cadre des Journées européennes du patrimoine en 2016, la DRAC en collaboration avec le Rectorat a fait en sorte que les enseignants puissent déterminer sur quelle problématique ou thématique ils souhaitaient travailler avec les élèves. Nous cherchons aussi à réactiver l’intérêt pour les œuvres plus anciennes. Cela peut être l’occasion pour les élèves de se transformer en détectives et de redécouvrir des artistes jalons de l’histoire de l’art à travers des 1 % parfois un peu oubliés comme ceux remarquables de François Morellet ou les sculptures installées en 1971 par Yaacov Agam et Nicolas Schöffer au lycée Pierre Mendès-France à La Roche-sur-Yon. Parfois nous sommes alertés par les enseignants eux-mêmes sur l’état des œuvres. La question de la médiation sur le long terme est importante. C’est à la fois compliqué et passionnant.

La commande publique en milieu rural est fondamentale. Depuis 2008, tous les ans au moment des vendanges, les villageois se rassemblent autour de la fontaine en forme de globe imaginée par Claudio Parmiggiani à Aubigné-sur-Layon, qui fait alors couler du vin. Les interventions d’artistes au sein du patrimoine, comme celle de Pascal Convert pour les vitraux de l’abbatiale de Saint-Gildas-des-bois (2005-2008), sont également intéressantes car ce sont des lieux qui voient passer de nombreux visiteurs. Parfois ces œuvres provoquent des interrogations de la part des publics et opèrent des ruptures esthétiques dans les lieux de patrimoine, il faut donc faire preuve de beaucoup de pédagogie : organiser avec les élus des conférences de presse afin que l’artiste présente son projet à la population, placer les croquis d’élaboration en dépôt dans un lieu où ils peuvent être vus, etc. La DRAC doit créer un dialogue autour d’un savoir-faire, d’une technicité, et d’une pensée qui irrigue aussi bien tradition que modernité. Nous ne pouvons laisser l’artiste et le commanditaire seuls, ils ont besoin d’accompagnement et ce sont très souvent des moments d’exception.

De quelle manière travaillez-vous sur la présentation et la valorisation des œuvres ?

Dans la constitution d’un comité artistique, nous devons veiller à la présence de personnes qualifiées (FRAC, écoles d’art, artothèques, lieux de diffusion, etc.) mais aussi de représentants des organisations professionnelles des artistes, d’usagers, parce qu’un travail collégial permet la mise en œuvre du projet mais aussi et surtout de le faire connaître hors de la seule communauté artistique. La question de la médiation doit être abordée dès la rédaction du cahier des charges en prévoyant une édition, un site internet, des vidéos réalisées par des étudiants en art, etc. Au-delà de l’inauguration, les meilleurs outils à mes yeux pour accompagner la commande ou le 1 % sont les journaux ou livrets de petit format, et non les outils habituels des musées et centres d’art. Par exemple un document de 30 pages a été produit pour l’intervention de Didier Trenet sur les plateaux et les assiettes du restaurant scolaire du collège Julie-Victoire Daubié à Saint-Philbert-de-Grand-Lieu (Loire-Atlantique) dans le cadre d’un 1 % joliment intitulé « Sous la purée, le dessin ». Quand cela est possible il est important d’intégrer les commandes publiques d’art contemporain dans les objectifs des contrats locaux d’éducation artistique (CLEA), des dispositifs associant la DRAC, le Rectorat et les collectivités territoriales afin de faire bénéficier en priorité ces œuvres aux enfants, adolescents et jeunes adultes. En ce qui concerne la communication, nous avons établi sur le site de la DRAC une base de données et une cartographie des œuvres sur les cinq départements des Pays-de-la-Loire.

Dernière mise à jour le 21 décembre 2020