Confins

Northern Exposure (Jennetta Petch & Szymon Kula), Sarah Duby, Alisha Wessler, Félix Lachaize
Exposition
Arts plastiques
Galerie Tator Lyon
Visuel extrait du film "High Life" de Claire Denis, 2018

Fabriqué sur terre par des humains1

2001 l'Odyssée de l'Espace, Solaris, Alien, Interstellar, Ad Astra, ...

Dans ces grands films du genre science-fiction , les explorateurs des confins de la galaxie expérimentent les affres d'un huis-clos dont l'alternative est le vide et le dénouement souvent la mort .

Le huis-clos ne se passe pas entre cour et jardin mais dans un vaisseau ou une capsule. Tout objet plongé dans un espace indéfini, sans échelle, sans figure humaine, isolé de son contexte connu prend une dimension sculpturale. Des ailes, des paraboles, des prismes, un fuselage, une lentille rouge, parfois des fragments de bêtes qui tentent de se soustraire au regard.  L'optique empreinte à l'abstraction. L'astrologie, la biologie, la robotique et l'anthropologie véhiculent nos fantasmes. 

Survivre confiné demande une aptitude à composer avec les moyens du bords. Répertorier ce qui est à disposition, produire le nécessaire en combinant des éléments restreints. Un morceau de savon, un crayon, un bout de corde. Un canon à plasma. Enfiler une cagoule, une combinaison. Etre créatif. Tenir bon.

Pour le film "High Life"(2018) au casting international, la réalisatrice française Claire Denis a fait appel aux services de l'artiste néerlandais Olafur Elliasson pour la conseiller dans le design d'un vaisseau à la silhouette géométrique étonnamment austère et minimaliste, d'une installation végétale brumisée, des patrons de combinaison spatiale, d'une sculpture érotique dérangeante, des fonds stellaires irisés..... Le recours à l'expertise d'un artiste contemporain est si rare que cette initiative mérite d'être félicitée. L'artiste aime à s'inspirer dans ses créations de technologies de pointe et de phénomènes naturelles et scientifiques. La fiction ne s'embarrasse pas à développer les fonctions et l'autonomie des accessoires, la surface des choses prédomine. Derrière un écran, derrière une vitre, il faut du vide et de l'imagination.

Astronautes, spationautes, taïkonautes, cosmonautes2. Chaque puissance aérospatiale a joint ses efforts pour des projets ambitieux et démesurément onéreux, comme la station MIR ou Alpha  mais le fait de n'avoir pu s'entendre sur la dénomination d'un corps de métier révèlent que l'esprit de collaboration scientifique et économique des états a secondé la course à l'espace3, un souci de primauté de la découverte et un désir de colonisation sans partage. Cependant, une fois confronté au monstre, car monstre il y a toujours, il ne s'agit plus de conquérir, mais de résister, de survivre et dans le meilleur des cas de dominer. Le monstre, c'est l'intrus, l'hôte indésirable, le parasite, l'aliéné, celui qui s'invite à bord, zoomorphe ou anthropomorphe, robotique ou bactérien, ignorant les frontières, l'ordre et les rapports de forces établis. Parfois invisible, souvent inconnu.

Le suspense est l'art d'étirer le temps de la révélation du monstre, de la découverte de sa vulnérabilité, de l'incertitude du retour sur terre, que l'on espère retrouver dans le même état que lorsqu'on l'a quitté, un peu comme des toilettes publiques, celles de l'humanité. Etre confiné dans l'espace demande une résilience, de voyager dans le temps. Les cornées vieillissent de manière accélérée, le corps s'allonge, les muscles s'atrophient, le système immunitaire s'affaiblit. Un suspense en apesanteur, au ralenti. Eprouver la dilatation du temps.

Si l'on se réfère aux initiatives réelles visant à explorer et communiquer aux  confins de l'espace, il faut nommer les golden records, à bords des sondes Voyager, lancées par la NASA en 1977. Sur les disques sont inscrites, entre autres, une image de musée, de l'intérieur d'une maison avec foyer et artiste peintre, des musiques de Bach, Mozart, Chuck Berry et Louis Armstrong. Voici un extrait de la déclaration du président américain Jimmy Carter qui y figure: 

"We are attempting to survive our time so we may live into yours. We hope some day, having solved the problems we face (...) This record represents our hope and our determination, and our goodwill in a vast and awesome universe."4. 

40 ans plus tard, l'excentrique milliardaire Elon Musk sembla estimer nécessaire d'ajouter sa participation en propulsant sa nouvelle voiture en orbite héliocentrique, via son entreprise SpaceX. De ces disques, nous sommes sans nouvelle. Dans le future, espérons que les artistes auront encore une place pour s'inscrire sur de nouveaux sillons. Le site "whereisroadster.com" nous informe en temps réel des déplacements de la Tesla électrique décapotable 2 portes, partie polluer l'espace entre Mars et Jupiter, mais  cela m'indiffère: en cas de crise, les prouesses industrielles ne tiennent plus leurs promesses.

L'art semble une option bien meilleure lorsqu'il s'agit d'exploration, toute nationalité confondue. Joindre ses forces. Quitter sa capsule. Retrouver sa planète. Les pieds sur terre. Vivants. 

1. "Made on Earth by humans" est gravé sur la carte électronique du tableau de bord de la Tesla Roadster, charge vide pour le lancement inaugural de la fusée Falcon Heavy, en orbite héliocentrique en 2018.

2. dans l'ordre respectif: noms américain, français, chinois et russe.

3. La course à l'espace (en anglais : Space Race, en russe : Космическая гонка) désigne la compétition à laquelle se sont livrés les États-Unis et l'Union soviétique, dans le domaine astronautique entre 1957 et 1975. Cette lutte pacifique a concerné d'abord l'envoi des premiers satellites artificiels, puis les premiers vols humains dans l'espace, l'envoi de sondes spatiales pour explorer les planètes les plus proches, et a culminé avec l'envoi d'astronautes sur la Lune.

4. "Nous essayons de survivre à notre temps de sorte que nous puissions vivre un peu dans le vôtre. Nous espérons un jour, ayant résolu les problèmes auxquels nous faisons face (...). Ce disque représente notre espoir, notre détermination et notre bonne volonté dans un univers vaste et impressionnant." message du Président des Etats-Unis Jimmy Carter gravé sur les sondes Voyager.

 

Simon Feydieu, mai 2020

 

 

https://cargocollective.com/petchkula

https://sarahduby.com/

http://www.alishawessler.com/

http://felixlachaize.net/site/

 

 

 

Crédits photographiques : visuel extrait du film "High Life" de Claire Denis, 2018

Horaires

Visible en vitrine 24/7

Adresse

Galerie Tator 36 rue d'Anvers 69007 Lyon France

Comment s'y rendre

Métro Saxe-Gambetta (Ligne D)

Dernière mise à jour le 1 juin 2020