Claude Closky, 'Multiplication par trois'

Exposition
Arts plastiques
Florence Loewy Paris 03

Claude Closky

Multiplication par trois

 

 

Exposition du 5 au 29 septembre et du 6 au 31 octobre 2015

 

Le propre d’un multiple est de se multiplier. Si les spécialistes achoppent sur les autres termes de la définition, car le multiple d’artiste brille surtout par la diversité de ses supports comme de ses techniques, sa reproduction en plusieurs exemplaires demeure un critère relativement incontesté. Ce simple fait (cette tautologie) entraîne cependant avec lui toute une philosophie, inscrite dans l’histoire des avant-gardes des années 60 et de la redéfinition de la notion d’œuvre. Le multiple représente, dès l’origine, une manière pour les artistes d’échapper aux circuits de la marchandisation et de l’institutionnalisation, en insérant leurs œuvres dans des réseaux de diffusion non artistiques, touchant un plus large public, à des prix abordables. Pour la Galerie Florence Loewy, Claude Closky présente une sélection de ses multiples créés entre 1995 et 2015, et déjoue d’entrée de jeu toute illusion d’unicité en multipliant par trois non seulement les œuvres, mais également tout l’accrochage de l’exposition. Comme on répète une idée, Claude Closky propose trois fois le même plan d’ensemble, donc la même circulation du sens d’une œuvre à l’autre : une manière d’associer les œuvres choisies comme les mots d’un texte, où prédominent les notions de protocole, de composition et de langage.

 

On cite souvent à propos de Claude Closky la formule du philosophe des médias Marshall McLuhan, pour qui « le message, c’est le médium » (the medium is the message). Et en effet, Closky aborde le multiple comme un médium en soi, constitué à la fois par son format (souvent économique), par sa multiplication et par sa diffusion. Chaque œuvre est l’occasion d’un jeu virtuose avec l’ensemble de ces paramètres qui en constituent, pour revenir à McLuhan, le « message » ou la raison d’être. Les multiples de Closky en sont d’autant plus simples dans leur forme qu’ils résultent manifestement d’un protocole qui se donne à voir comme le cœur même de l’œuvre. Pour la revue The Drawer, Closky crée en 2014 un dessin à l’intérieur d’une grille : de simples traits, verticaux et horizontaux, font apparaître les lettres HI HI HI - l’ébauche d’un langage (un rire malicieux, qui semble être celui de l’artiste). Aux éditeurs de la revue qui souhaitaient proposer le dessin original pour une vente aux enchères, Closky répond que le multiple, c’est la revue même, et propose de l’encadrer et de la vendre au prix d’un exemplaire normal, renouant là aussi avec l’esprit des avant-gardes.

 

Chez Closky, c’est dans l’énonciation que l’œuvre émerge, plus que dans son résultat. Aussi, un bon protocole est un protocole simple, sans détour. L’édition 16 Diamonds repose sur la distinction que l’on peut faire entre carrés et losanges à partir d’une simple différence d’orientation. Une ligne maladroite sépare les uns des autres, incarnant le rôle de l’artiste qui désigne une forme plus qu’il ne la crée – et fait naître des diamants d’une forme abstraite. Le dessin Formulaire vert repose sur la juxtaposition de deux feuilles A4 présentant une sorte de grille composée d’une ligne horizontale entrecoupée de petits segments verticaux disposés à intervalles réguliers. Sur la feuille de gauche, la grille seule ; sur la feuille de droite, la main de l’artiste vient tenter d’inscrire au stylo bille une série continue de « e » à l’intérieur des cases, les désignant du même coup comme celles d’un formulaire administratif. D’une forme abstraite se dégage, par la simple présence hésitante de cette ligne manuscrite, tout un dispositif de contrôle, de standardisation, de sacrifice de l’individualité sur l’autel de la rationalisation.

 

Claude Closky n’a pas été avare de moqueries envers un certain type de formalisation et de mathématisation du monde, aimant à remettre en cause l’absolu de leurs vérités, comme lorsqu’il tente par dix fois de multiplier 2 par 4 (Dix tentatives de multiplier 2 par 4, 1993). Qu’il force le trait (pour la série de cartes postales Inside a triangle, il contraint des paysages à rentrer dans un triangle) ou qu’il détourne une logique numérique pour en créer une autre (4,5,6), Claude Closky exploite la capacité des nombres et de la géométrie à nous faire basculer de façon instinctive dans une forme élémentaire d’abstraction. Nature parfaite, ou Beautiful Face, sont ainsi des images composées par dédoublement et symétrie, et soulignent avec ironie l’idéal classique de beauté qu’elles viennent mettre en échec.

 

Mais la logique de la multiplication n’est pas uniquement un jeu formel, car elle fait évidemment référence à l’idée d’ « en avoir trois fois plus ». Avec une forme de fausse naïveté, Closky semble suggérer que « plus » (plus cher, plus grand, plus beau) serait forcément mieux. Les multiples de Closky s’inscrivent ainsi particulièrement bien dans le mouvement global de l’œuvre de l’artiste, qui s’attache à faire émerger les modèles qui régissent notre quotidien « en suivant leur logique et en la faisant s’emballer jusqu’à l’absurde[1]. » Parodie d’un discours médiatique et d’un mode de représentation du monde obsédé par la croissance, le calendrier 2006 place ainsi les jours de la semaine en ordonnées, et les nombres en abscisses, donnant du passage du temps l’image d’une course à la surenchère. Quand il ne le met pas directement en application : en 2000, Closky met en vente dans le magasin Colette quatre types de briquets en plastique qui ne différaient que par leur prix de vente (Sans titre. 15 francs, 20 francs, 25 francs, 30 francs), et eu la confirmation de son intuition : il ne restait à la fin que des briquets à 15 francs! Est-ce à dire que la valeur affichée sur l’objet aurait le pouvoir de transformer l’objet même ? Ce à quoi semble également renvoyer l’Assiette à dessert, qui, même lorsqu’elle est désespérément vide, reste chargée de la fascination que suscite l’image de l’argent.

 

Camille Azaïs

 


[1] Claude Closky, propos recueillis par Elisabeth Milon pour Livres d’enfances, Centre national du Livre d’Artiste, 2001, cités par Michel Gauthier, « Un message dans le décor », in Prix Marcel Duchamp 2005, Un-deux… quatre Editions, 2006.

Artistes

Horaires

du mardi au samedi de 14h à 19h

Adresse

Florence Loewy 9-11 rue de Thorigny 75003 Paris 03 France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022