Bruno Kladar
Bruno Kladar, Palette (dépouilles), 2011
La galerie Alberta Pane s’est entendue avec Bruno Kladar afin d’ouvrir ses portes pendant 24 heures pour un vernissage qui se présentera sous la forme d’un happening : Le regard de Chacun.
Les seules fois où Bruno Kladar participa à cet happening se situaient dans des lieux éphémères à Paris, la première fois en 1998, puis en 2001.
Le procédé est de réaliser préalablement une œuvre de 300 x 400 cm à partir de récupération d’affiches en circulation (parfois à quatre mains avec un artiste de rencontre), puis de la présenter, le soir du vernissage, avec le souhait secret qu’elle « s’ouvrira » (au sens propre) en pièces, débouchant ainsi sur un autre espace, un autre fait, commun cette fois-ci, aléas des regardeurs invités.
Un prix démocratique est alors fixé au cm2.
Comment se positionner devant cette -catastrophe ?- qui viendrait (comme la possibilité de ne jamais venir) ? Comment regarderait-on ? Pourrait-on encore parler d’artistes ? et qui seraient les artistes ? et les regardeurs ? Ne
verrait-on pas mieux le monde par les yeux des autres ?
Ci-dessous, un texte de Philippe Madec sur ce moment (extrait d’une monographie, KLADAR Le moment où cède ce qui resterait de certain, Ed. Sujet/Objet, Paris 2004)
« Kladar à quatre mains
jamais les mêmes
selon ses passagères amitiés esthétiques,
repeint tout en puissance
le souvenir de Hains pour le sacrifier
ce vaste rectangle horizontal de quatre
mètres par trois
du collage épais et déchiré d’affiches
publicitaires superposées récupérées.
Le jour dit, la pièce est accrochée seule.
Elle appelle ; de bouche en oreille
les « gens » viennent arrivent pénètrent
en silence ; ils la regardent ; une étrange
intensité emplit dès lors le lieu ; rien
n’est dit, tout semble connu de l’événement
en cours ; quelque chose se passe.
L’un ou l’une d’entre eux en vient
à s’avancer irrésistiblement, désigne
un endroit précis de la pièce et y prétend.
Du doigt tendu
il attente à l’œuvre par une catastrophe
plus violente que les tirs à la carabine
de Niki de Saint-Phalle.
Exactement sous sa dictée, Kladar
délimite puis s’exécute,
il incise découpe, désunit ce bout-là
de l’ouvrage initial, invente une étrange
pièce, et le trop-plein de signes devient
une éruption lyrique.
Voilà la pièce véritablement abstraite.
Elle est signée, au dos, par les auteurs,
celui qui l’acquiert réglée au centimètre
carré,
et celui qui ne veut pas qu’on le nomme artiste.
D’autres viendront recueillir
les fragments de cette totale occasion
plastique,
pièces d’angle
pièce du centre
pièce écornée
pièces contenant le vide d’une pièce déjà
envolée, possédant ainsi la matière
et la procédure à la fois.
À la fin d’un long temps où Kladar
a donné à rebours le ballet de l’œuvre,
loin proche haut bas attentif évasif au sol
perché,
à la demande non pas à la commande
du seul regard de chacun,
la pièce originelle est minée,
par le trop-plein du désir d’œuvre
de l’autre,
et par l’aubaine de le satisfaire.
Voilà maintes pièces collectives
absolument appropriées et une œuvre
mère, impensée mais bien là, exténuée
de tout ce qu’elle a accordé.
Les vides du squelette apparu inventent
une nouvelle géographie, un autre
rapport à l’espace pictural portant le face-
à-face ailleurs, dans une étendue faite
d’absence, de dissémination,
de correspondance, d’appartenance
à une origine commune, bientôt impossible
à réincarner ».
Bruno Kladarest né en 1967 à Paris, où il vit et travaille. En 2010, il exposa son travail au
Spazio Thetis à Venise et participa à « Stratifications », commissaire Daniele Capra à la Galerie Alberta Pane. « Plus surface que surface » (2009) et « La matière surface » (2008), deux expositions personnelles présentées à la galerie Alberta Pane. En 2008 et 2009, il est présenté par la Galerie 1900-2000 à Art Basel (Bâle) et à la FIAC (Paris).