B.A.-BA Un choix dans la collection du Frac Bretagne

Exposition
Arts plastiques
Domaine de Kerguéhennec Bignan
Le titre choisi, comme par enfantillage, à cette exposition est emprunté à celui donné par Étienne Pressager à sa première vidéo d'artiste. B.a.-ba constitue la première incursion de Pressager dans le domaine de l'image... animée. Et il vient à la vidéo après avoir acquis une solide expérience de manipulateur de l'image, tout court. B.a.-ba est donc une pièce de maturité en même temps que d'initiation, de par son titre et son statut. Les lettres y jouent un rôle important, comme toujours, mais elles ne peuvent plus, comme habituellement chez cet artiste, s'assimiler à des lettrines (lettres exemplaires) ou entrer dans la composition d'une légende. Ce sont des pièces indépendantes (celles du jeu de Scrabble en particulier) qu'il ne convient pas d'assembler pour former des mots mais pour retrouver un ordre géométrique idéal. L'alphabétique et le mathématique entrant en conflit et faisant obstacle à son projet. L'outillage de la langue se révélant incompatible avec l'idéalité de tout projet, même élémentaire. " Le principe de cette vidéo, dit l'artiste, est de montrer qu'il est fort difficile, sinon impossible, de créer une construction géométrique parfaite avec les vingt-six lettres de l'alphabet : une lutte contre son autorité. " (É.P., correspondance, 21.VIII.2003.) La relation entre une collection et son exposition n'est pas une relation de nécessité. D'ailleurs on n'hésite jamais autant à qualifier d'exposition ou d'accrochage les rendez-vous avec une collection. Le terme d'exposition revient en général à un événement exceptionnel. Celui d'accrochage suggère un pli pris par habitude. Selon cette opposition, une même collection serait donc " exposée ", lorsque présentée hors de " ses " murs, dans un cadre temporaire. Et elle serait simplement (!) " accrochée ", lorsque montrée en ses murs habituels. Or cette distinction, qui irait à l'avantage des Frac (les fonds régionaux d'art contemporain) est spécieuse. Elle ne permet pas de distinguer musées et Frac, même si on eut le tort de qualifier ces derniers de collections sans mur, à leurs débuts. D'autres arguments plus sérieux n'y suffiraient pas, d'ailleurs. Et force est de constater que les Frac les plus ambitieux sont aujourd'hui à la tête de collections muséales, et de nous en réjouir. (C'est un ex-directeur de Frac qui l'écrit.) Bien sûr, il faut montrer les collections publiques. Rien n'oblige le collectionneur privé à en faire autant. Mais une collection publique n'a pas lieu d'exister sans visibilité. Seulement, cette visibilité peut prendre des formes très différentes selon les lieux qui y concourent, et selon - c'est plus important - la sélection des oeuvres et le jeu d'associations dont cette sélection est le fruit. Car si l'on peut parler alors de visibilité, celle-ci ne sera que toujours partielle, jamais intégrale. La réalité " anatomique " d'une collection, c'est son inventaire, si tant est que celui-ci puisse être vraiment exhaustif, et c'est son " plus simple appareil ". Autrement, même le plus complet de ses accrochages, même la plus complète de ses expositions ne proposeront jamais qu'une représentation de la collection. D'où leur importance. La sélection exposée à Kerguéhennec en ce début d'année a été réunie selon un critère prépondérant, qu'on ne peut faire plus simple. Il s'agissait de ne retenir que de récentes acquisitions - s'appuyer sur de récentes acquisitions ayant une conséquence immédiate : celle de donner à voir le spectacle de la collection en pleine action. Puis, bien sûr, avec la très réjouissante lecture de l'inventaire du Frac Bretagne, d'une oeuvre à une autre, suscitant engouements et stimulant la réflexion, une représentation s'est dégagée, qui n'a plus rien à voir avec l'ordre alphabétique ni celui, historique, dans lequel ces oeuvres ont été produites ou acquises. Les noms d'artistes sont plus prégnants que les titres de leurs oeuvres dans les inventaires. Ce qui, d'une collection comportant plusieurs Picasso, même s'ils sont passables (un Picasso passable, ce n'est déjà pas si mal, ses tableaux juste passables sont d'ailleurs plutôt rares !), laisse présumer que cette collection est d'une grande richesse, quelle qu'elle soit par ailleurs en vérité. Revenant donc à l'inventaire du Frac Bretagne, dans la section des récentes acquisitions je citerai en vrac les noms de : Richard Baquié, Amy Bessone, Mel Bochner, Hannah Collins, Larry Deyab, Noël Dolla, Piero Gilardi, Jean Hervoche, Shirley Jaffe, Paul Klee, Jean-Pierre Le Bars, Hervé Le Nost, Vera Molnar, N.E. Thing & Co, Bernard Piffaretti, Pascal Rivet, Étienne Pressager, Johannes Schwartz, Stephen Shore, Daan Van Golden, Ian Wallace, Lawrence Weiner... Certains de ces noms sont connus, d'autre pas. À coup sûr, aucun n'est familier du grand public, sauf peut-être celui de Klee - mais c'est chez Vera Molnar qu'il faut voir un hommage au peintre et théoricien allemand, comme chez Ian Wallace un hommage au peintre italien Giorgio Morandi, qui peignit toute sa vie de petites natures mortes crémeuses et solides comme des silex. Et même avant d'en arriver là, deux artistes ont déjà posé un problème de taxinomie élémentaire. Où, par ordre alphabétique faut-il, en effet, placer N.E. Thing & Co et Daan Van Golden ? Une lecture plus fine de cette liste mènera vers d'autres impasses. Par exemple Gilardi et Weiner, puisque c'est par des meubles de leur conception que sont représentés ces artistes. Le premier révélé au milieu des années soixante par ses tapis de mousse faussement naturalistes. L'autre, l'un des fondateurs de l'art conceptuel, devenu incontournable pour avoir proposé une autre voie à la sculpture : sa disparition physique pour commencer ! Des meubles, donc, registre inhabituel pour eux deux... Mel Bochner, autre artiste conceptuel américain ne sera dès lors pas invoqué par affinité avec Weiner. Il sera sollicité parce que son oeuvre récemment acquise pose une question universelle : Photography cannot record abstract ideas [la photographie ne peut enregistrer les notions abstraites], et qu'il pose cette question avec autant de pertinence que d'impertinence par le truchement de la photographie, justement. Rien n'étant impossible en art sinon, en principe, la médiocrité. On verra aussi un très inhabituel portrait de Noël Dolla. Des dessins de sculpteurs (Baquié, Walter), qui ne sont pas des dessins de sculptures. Des photos de peintre (van Golden), qui ne sont ni des études pour de futurs tableaux ni de simples pirouettes en hommage à l'" acrobate " qu'était Yves Klein. Des dessins de sculptures aussi, qui n'en sont pas les esquisses (Bessone). Des tableaux de photographes (Collins, Le Nost, Le Bars, Wallace) qui ne sont plus tout à fait des photographes. Des cyclomoteurs en bois qui sont des images en mouvement arrêtées (Rivet). Des tableaux d'histoire réduits à l'état de graffitis, à moins que ce ne soit l'inverse (Deyab). Des maisons d'écrivain tournées complètement vers l'intérieur ou complètement vers l'extérieur (Hervoche). Des objets de la vie quotidienne transformés en pépites (Shore). Des vues de cabinet de psychanalystes, les uns sèchement cliniques, les autres cosy comme l'appartement de nos grands parents (Schwartz). Etc. Des ensembles logiques, des " blocs " se constituent ainsi. Mais il y en a bien d'autres, qui peuvent communiquer d'une façon ou d'une autre. Et c'est pourquoi on ne disposera pas nécessairement les unes à côté des autres les oeuvres qui ont entre elles le plus de rapport objectifs, soit historique ou thématique : N.E. Thing & Co près de Bochner, ou Piffaretti près de Jaffe - j'attire l'attention sur l'ensemble exceptionnel de neuf gouaches retraçant, depuis 1962 le parcours remarquable de cette artiste. On ne brouillera pas les pistes à dessein. On insistera sur la polysémie des oeuvres, qui autorise toutes sortes d'entrées, en commençant par le plaisir qu'elles procurent, et on sollicitera la curiosité du visiteur en l'invitant à dégager ses propres associations dans le respect des artistes mais selon son bon plaisir. Enfin, une fois de plus, on insistera encore sur le croisement des moyens d'expression. - L'art n'est pas la peinture, la sculpture, la photographie, la vidéo, etc. ni leur réunion ; pas plus que peinture, sculpture, photographie, et vidéo ne sont art ! Le grand art qui serait la réunion des arts majeurs, cette idiotie a toujours cours, on se demande comment c'est possible, malgré l'apport du XXe siècle à cette réflexion. Le Frac Bretagne donne rendez-vous au public tout au long de l'année dans le parc du Domaine de Kerguéhennec. Sa collection s'y expose tous les deux ans dans ses salles d'exposition, à l'invitation du Centre d'art contemporain. Ce qui revient à dire que, pour le prochain rendez-vous, en 2007, elle se déploiera dans plus du double de la surface actuelle d'exposition disponible à Kerguéhennec. On ne prend aucun risque à dire que le château, en restauration actuellement, sera inauguré d'ici-là. On attend doublement cet événement ! Frédéric Paul.

Accès mobilité réduite

Oui

Adresse

Domaine de Kerguéhennec Kerguéhennec 56500 Bignan France
Dernière mise à jour le 2 mars 2020