Christine CROZAT

Christine Crozat, Jardin rouge 03, le ligneux, 2020
Aquarelle sur papier, 110 x 75 cm
Christine Crozat - Vit et travaille à Lyon et Paris
Représentée par la Galerie Françoise Besson, Lyon et la Galerie Éric Mouchet, Paris
« Est-ce la gémellité qui travaille sa généalogie ? Les images du monde créées par Christine Crozat possèdent toutes une double nature. Qu'il s'agisse de traces des corps – des hommes aux animaux, de sainte Émérentienne à la fée Mélusine - d'images saisies au passage – arbres, paysages, fragments de ville – de choses usées – pieds, chaussures, reliques - elles sont d'abord une réduction, et, toutes, elles s'inscrivent dans une histoire.
La représentation y est condensée par une opération du vouloir et de la mémoire, aux images rémanentes du monde le temps a fait subir une compression. Parfois, comme si la matière, ainsi que l'air sur les sommets, venait à manquer, la raréfaction s'attaque aux choses et à leur image, les grignote, les troue ou les gomme. Dans un cas comme dans l'autre, compression ou raréfaction, ce qui reste a gagné en intensité, l'intensité du dense d'un côté, et celle du ténu de l'autre. Les patins de Monsieur Van Eyck, les crânes à la mine de plomb, les os en verre, l'os écarlate particulièrement, pour le dense ; les paysages en T.G.V., les dessins de Prague, les savons, les empreintes de coiffes pour le ténu. Leur capacité à s'inscrire dans des histoires, ou à les générer, constitue leur seconde qualité. Pas un tracé qui ne soit portion de chemin. Tous les objets, la dent, la faluche de Rembrandt, les souliers de Minnie, les trois sandales de Saint Césaire, tous ont un avant, une histoire, obscure parfois, difficile à reconstituer mais qui les charge. Les estampes, les dessins, les empreintes aussi. Qu'on ne s'y trompe pas : il ne s'agit pas de l'histoire de leur conception, du récit de leur création. Non, une histoire autonome dont ils portent témoignage. Parfois, Christine Crozat a sorti un fragment de son contexte, fragment de tableau, fragment de corps, morceau de ville, nous obligeant à replacer la pièce dans l'ensemble, le miroir dans le cabinet des Arnolfini, l'os dans le squelette, le tram sur ses rails. Là commence l'histoire et son récit. Christine Crozat l'amorce avec des petites légendes, telles que : « dans les villes que je découvre, j'aime voir les gares, les cimetières et les grandes surfaces... » en sous-titre d'un dessin de la Gare centrale de Prague, ou par des titres qui renvoient aux mythes, à la patrologie, aussi bien qu'à la vie quotidienne, aux héros autant qu'aux amis. Il y a dans l'œuvre de Christine Crozat une sociabilité des choses et des êtres qui ne respecte pas l'habituelle autonomie des objets d'art. De l'une à l'autre de ses créations, ça communique, ça circule, ça échange, ça vit ensemble. Parfois, on se sépare, les socques de M. Van Eyck glissent de la lithographie vers le sol pour s'incarner en cire, l'os a quitté son squelette et la relique son reliquaire pour vivre l'un sa vie d'aquarelle auréoline, bergamote ou céruléenne et l'autre son existence de verre de Bohême lactescent ou sanguin, d'un sang épais et lourd comme la mine d'un crayon Koh-i-Noor. Ce lien entre la création plastique et le récit de nos vies - l'Histoire, les histoires – on peut se demander s'il n'appartient pas aux femmes de le développer avec une sensibilité et une pertinence aiguës. Nous pensons bien entendu d'abord à Louise Bourgeois mais aussi à Annette Messager et, ici, à Adriena Simotová ou à Bela Kolárová. Les œuvres s'imposent soudain comme des objets de famille, une théorie d'objets, de signes, de traces que le flot du temps avait roulés dans le lit de la rivière et dont la main orpailleuse vient tirer les trésors. »
De la nature des images, Alain Massuard
Publié dans le catalogue de l'exposition Tropismus, Institut Français de Prague, République Tchèque, 2006
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Christine Crozat - Lives and works in Lyon and Paris
Represented by Galerie Françoise Besson, Lyon ; Eric Mouchet, Paris
“Is twinship what shapes her genealogy? The images of the world that Christine Crozat creates all possess a double nature. Whether they are traces of bodies – human or animal, Saint Emerentiana or the fairy Melusine –, images captured in passing – trees, scenery, fragments of cities –, or worn-out things – feet, shoes, relics –, they are first and foremost reductions which all fit within a story. In them, depiction is condensed through an intervention of will and memory; time compresses the persistent images of the world. At times, as if matter, like air at the summit of a mountain, was lacking, rarefaction eats away at things and their images, wears them down, tears holes in them or erases them. In one case or the other – compression or rarefaction – what is left has become more intense: the intensity of density on the one hand, and that of tenuousness on the other. On the side of density, Mister Van Eyck’s slippers, skulls drawn in graphite, and glass bones, especially the scarlet bone; on the side of tenuousness, scenery going by in a high-speed train, sketches of Prague, soaps, and headdress imprints. Their ability to become part of stories or to generate them is what constitutes their second quality. There isn’t an outline that isn’t also a step of the way. Every object, whether it is the tooth, Rembrandt’s cap, Minnie’s shoes, or Saint Césaire’s three sandals, has an origin story, which, although it is sometimes obscure and hard to reconstitute, gives them additional weight. This also goes for the engravings, drawings and imprints. But do not get the artist wrong: this has nothing to do with the story of their conception or the narrative of their creation. Instead, the story that these objects bear witness to is a story of its own. Sometimes Christine Crozat takes a fragment out of its context – a fragment of a painting, a fragment of a body, a piece of a city –, forcing us to place this piece back into the bigger picture: the mirror in the Arnolfini’s closet, the bone in the skeleton, the tramway on its tracks. This is where the story and its narrative start. Christine Crozat initiates it with small captions, such as “in the cities I come across, I like to see the stations, the cemeteries and the shopping malls…” written under a drawing of Prague Central Station, or with titles that refer to myths, patrology, as well as daily life, heroes and friends. There is a sociability of things and beings in Christine Crozat’s work, which does not abide by the customary autonomy of art objects. There is a communication, a circulation, an exchange, a life shared between her creations. Sometimes there is also a separation: Van Eyck’s clogs slip from the lithograph down to the floor to materialise in wax, the bone leaves its skeleton, and the relic its reliquary in order for one to live its life as an Indian yellow, bergamot or cerulean watercolour, and for the other its existence as milky-white or blood-red Bohemian glass – a blood thick and heavy as the tip of a Koh-i-Noor pencil. Perhaps it is a woman’s prerogative to develop this link between plastic creation and the tale of our lives – History and stories – with acute sensitivity and pertinence. One thinks of Louise Bourgeois, but also of Annette Messager and, in this case, Adriena Simotová or Bela Kolárová. The works suddenly stand out as family heirlooms, a theory of objects, signs, and traces that the flow of time has rolled in the riverbed and whose treasures the gold-seeking hand pulls out of the water.”
De la nature des images [On the nature of images], Alain Massuard
Published in the catalogue for the exhibition Tropismus, French Institute in Prague, Czech Republic, 2006
Translated by Lucy Pons, 2022
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