André-Antoine Crochepierre ou la nostalgie des maîtres anciens

Par Stéphane Allavena
André-Antoine Crochepierre, A la maison, 1894

André-Antoine Crochepierre, A la maison, 1894 (Achat en salon à l'artiste en 1894, Inv. : FNAC 289). Huile sur toile. 330 x 235 cm. Signé en bas à droite : A Crochepierre. En dépôt dans la salle des mariages de la mairie de Coulommiers (Seine-et-Marne)

André-Antoine Crochepierre, Dans l'après-midi, 1907

André-Antoine Crochepierre, Dans l'après-midi, 1907 (FNAC 2227)
En dépôt au Musée municipal de Draguignan

André-Antoine Crochepierre, Abbé Zimezanne, 1880

André-Antoine Crochepierre, Abbé Zimezanne, 1880.
 

André-Antoine Crochepierre, Dévideuse, 1901.

André-Antoine Crochepierre, Dévideuse, 1901.

André-Antoine Crochepierre, La couture.

André-Antoine Crochepierre, La couture.
 

André-Antoine Crochepierre, Autoportrait au foulard rouge, 1931

André-Antoine Crochepierre, Autoportrait au foulard rouge, 1931. 

Initié à la fin de l’année 2012, le récolement des collections placées en dépôt depuis le XIXe siècle en région Ile-de-France offre l’occasion de redécouvrir des œuvres inédites qui témoignent, à leur manière, du conservatisme esthétique de l’ancien Bureau des Travaux d’art. Il en est ainsi du spectaculaire tableau d’André-Antoine Crochepierre À la Maison accroché dans la salle des mariages de la mairie de Coulommiers (Seine-et-Marne).

Le peintre et sa carrière

Né le 1er juin 1860 à Villeneuve sur-Lot et mort en 1937, André-Antoine Crochepierre est un peintre d’obédience naturaliste dont le style, influencé par la peinture hollandaise du XVIIe siècle et le réalisme poétique de Chardin, se situe volontairement en marge des avant-gardes de la fin du XIXe et des débuts du XXe siècle. Sensibilisé aux beaux-arts de façon précoce par son père, Crochepierre s’initie à l’art du dessin dans sa ville natale auprès de Pierre-Léopold Philipes avant de fréquenter, entre 1882 et 1883, l’atelier du célèbre peintre William Bouguereau.
Auteur, au début des années 1880, de nombreux portraits de la bourgeoisie villeneuvoise, le jeune artiste se spécialise rapidement, à partir de 1886, dans la représentation de sujets de genre inspirés par le travail domestique féminin et la vie familiale. Partageant sa vie entre son atelier de la rue Molitor à Paris et sa ville natale, il expose régulièrement au Salon des artistes français jusqu’en 1926, où il fait parvenir une cinquantaine d’œuvres. Salué dès 1881 dans la revue « XIXe siècle » par le critique d’art Edmond About, il obtient également, tout au long de sa carrière, un vif succès auprès des galeries américaines. L’acquisition, en 1907, par le musée du Louvre d’un tableau intitulé Le travail interrompu, exposé du vivant du peintre, consacre pleinement sa reconnaissance.

L'œuvre

À la maison a été peint en 1894. Exposé cette année-là au Palais de l’Industrie sur les Champs-Elysées, le tableau est aussitôt acquis par l’État et attribué, le 1er avril 1896, au musée de Coulommiers installé dans les locaux de l’hôtel de ville. Réceptionnée par la municipalité le 18 juillet 1896, la toile ne semble avoir jamais quitté les salles de la maison commune, sans doute en raison de sa taille monumentale.

Incluse dans un remarquable cadre sculpté de style néoclassique, l’œuvre est une illustration émouvante des âges de la vie. Trois villageois dont les regards convergent vers un nouveau-né, étendu tel un Enfant Jésus sur un berceau irradié de lumière, incarnent ce thème hérité de l’âge classique : une grand-mère au visage bonace, une jeune mère, le regard amoureusement tourné vers sa progéniture et un grand-père, rejeté dans la partie droite, la main appuyée sur son bâton.
L’enfant et la grand-mère occupent le devant de la scène. La tête recouverte de la traditionnelle coiffe gasconne, l’aïeule tend les bras vers le bambin dont la blancheur du linge et des carnations s’accordent au vêtement de la vieille femme. Le modèle est une vieille gasconne du nom de Cécé, employée chez un métayer de Villeneuve, avec qui le peintre aimait, selon le journal de son épouse Amélie, échanger en patois. La jeune mère, à laquelle la femme du peintre a prêté ses traits, occupe une place secondaire. Sur le côté droit, le grand-père est absorbé dans une méditation profonde, comme étranger à la scène.

Comme dans bon nombre de tableaux de l’artiste, les quatre protagonistes évoluent dans un intérieur rustique baigné dans la pénombre, où l’artiste déploie son sens du clair-obscur, hérité des maîtres hollandais, son intérêt pour les objets quotidiens ainsi que son goût pour un coloris subtil dominé par une gamme de tons froids rehaussée de blanc et de rouge.

Fresque de la vie paysanne, peuplée de figures familières à l’univers du peintre, À la maison est un des tableaux les plus monumentaux jamais peint par Crochepierre, adepte des formats de taille moyenne. Il constitue à cet  égard une œuvre singulière dans la carrière du peintre qui élève ici une simple scène de genre, au contenu allégorique, au rang d’un véritable tableau d’histoire.

Crochepierre dans les collections du Cnap

Bien qu’il ait été reconnu de son vivant par les institutions culturelles comme un artiste de talent, André Crochepierre n’est représenté dans les collections du Cnap que par une seule autre œuvre intitulée Dans l’après-midi. Celle-ci illustre l’attention que l’artiste villeneuvois porta au thème de la vieillesse et de la confrontation entre les générations. Acquis en 1907 pour le musée municipal de Draguignan à l’occasion de son agrandissement, le tableau met en scène deux femmes, l’une âgée et l’autre plus jeune, placées dans un intérieur au fond sombre où la blancheur des coiffes contraste de manière saisissante avec le rouge de la robe portée par l’un des deux modèles.
Une partie des œuvres de Crochepierre est aujourd’hui conservée au musée de Gajac, où se tint en 2011, à l’occasion des 150 ans de sa disparition, une importante rétrospective consacrée à l’ensemble de sa carrière.

Stéphane Allavena
Conservateur du patrimoine
Mission de récolement

Pour en savoir plus

CABANE, Pierre ; SCHURR, Gérald. Dictionnaire des petits maîtres de la peinture, 1820-1920. Paris : Les Ed. de l’Amateur, 1996.
COURRECH, Marlyse ; LEMARECHAL, Marie. André Crochepierre (1860-1937) : éloge de l’instantané. Catalogue de l’exposition, Musée de Gajac, Villeneuve-sur-Lot, du 12 novembre 2010 au 20 mars 2011
LANVIN, Chantal. Présentation générale des collections. Villeneuve-sur-Lot : musée Gaston Rapin, 1975.
LANVIN, Chantal ; SCHURR, Gérald. André Crochepierre (1860-1937). Exposition Juillet-Septembre 1979. Musée de Villeneuve-sur-Lot.
PICOT, Charles. « André Crochepierre, peintre villeneuvois méconnu », Revue de l’Agenais, n°1, janvier-février-mars 2010.

Dernière mise à jour le 2 mars 2021