Alice, son miroir et ses merveilles

Ecrits par le pasteur mathématicien Dodgson en 1865, Alice au Pays des merveilles et De l'autre côté du miroir entretiennent avec la réalité d'étranges relations où la logique du langage se substitue à celle de la réalité pour donner naissance à un monde merveilleux. Ces deux contes écrits pour les enfants ont d'abord été imaginés par le révérend pendant une ballade en barque en compagnie de fillettes, à la fois actrices de l'histoire et premières destinataires. « Alice, lasse de ses promenades, se laisse distraire par un lapin vêtu d'une redingote. En le suivant, elle tombe dans un trou qui la conduit dans un autre espace et une autre dimension. Dans ce nouveau monde peuplé d'animaux, elle ne cesse de se transformer et de rencontrer, au gré de ses déplacements, des situations incongrues et surprenantes. Avec des yeux et un esprit disposés à l'enchantement, elle découvre l'étrange et ses raisons. » (Alice au pays des merveilles, Lewis Carroll) Nourris d'images incongrues et d'un langage sophistiqué où l'absurde règne, ces deux contes ont séduit les surréalistes qui ont immédiatement tenu Lewis Carroll, écrivain et photographe, comme un de leurs pères spirituels. Cet univers plus merveilleux que fantastique fait surgir l'inattendu dans le réel comme autant de clés pour comprendre les phénomènes du rêve, de l'imagination ou de l'enfance. La nouvelle présentation des collections du musée des beaux-arts de Calais s'approprie ces deux contes pour éveiller et susciter une autre forme d'appréhension des oeuvres du musée. Grâce au miroir que constituent ces contes, un autre point de vue s'élabore. Il est ainsi possible de regarder une oeuvre avec l'oeil d'Alice, excluant tout jugement, pour laisser son esprit et son corps, libre et perméable à toute nouvelle surprise ou bien encore de regarder un lapin en bronze sans d'abord apprécier son caractère illusionniste mais en l'imaginant chassant un papillon. En suivant la trame narrative des deux contes, et au gré des rencontres d'Alice, l'exposition présentera des oeuvres de toute époque et de toute technique, qui évoqueront certaines de leurs caractéristiques : une faune épique, des objets qui vivent et qui parlent, des changements brusques d'échelles et la richesse visuelle et iconique du monde d'Alice dominé par l'image. Le jeu des faux-semblants, c'est l'objet de mon invention et le pays des merveilles, qui incarnent les trois parties de cette exposition attendent le visiteur pour les surprendre au détour d'une présentation muséographique originale et inédite. Des prêts réguliers d'oeuvres contemporaines accordés par des institutions, des particuliers ou des artistes, renouvelleront l'accrochage comme autant de nouvelles surprises artistiques :en premier lieu, le plaisir de découvrir l'exposition itinérante Beautiful people (et la blessure secrète) du FRAC Nord-Pas de Calais. Après Leeuwarden aux Pays-Bas et Lleida en Espagne, les photographies et installations vidéo qui composeront l'accrochage calaisien viendront surprendre les visiteurs et les faire entrer dans le monde merveilleux d'Alice, univers décalé et incongru. En questionnant la beauté, entre idéal et stéréotype, Beautiful People (et la blessure secrète) se fraie un chemin au coeur des images photographiques et vidéos. La dichotomie entre l'image et le réel ainsi qu'entre le corps idéalisé et le corps blessé, n'en est que plus apparente. Pourtant c'est bien ce quotidien, loin des artifices publicitaires et consuméristes, qui sublime les oeuvres du Fonds Régional d'Art Contemporain Nord-Pas de Calais et de l'exposition conçue par Miquel Bardagil. C'est lui qui crée l'extra-et-ordinaire. En marge de ses inventions contemporaines du quotidien, Alice, curieuse et avide d'aventures, s'imagine reine dans un jeu de faux-semblants. Les photographies sélectionnées à partir de l'exposition Beautiful People (la blessure secrète) évoquent l'univers de la petite fille, où transgresser la norme, se travestir et inventer des fictions merveilleuses l'aident à échapper à l'ennui du quotidien. Et le rêve éveillé de la jeune Alice n'est qu'une succession de transitions et de transferts entre réalité et imaginaire. D'autre part, le premier accrochage de l'exposition offre à Aurélien Imbert, jeune artiste de Fourmies, l'occasion de présenter pour la première fois son installation « La fête au village », inspirée du tableau éponyme d'Adrian Brouwer. Mêlant le bois, le plâtre, le métal, le papier, cette création déploie tous ses volumes pour faire renaître en trois dimensions et à une échelle monumentale une scène de liesse populaire, dans laquelle le spectateur pourra physiquement participer.