Restitution de l’œuvre Les Internés de Saint-Sauveur de Jecheskiel David Kirszenbaum au Cnap
Jecheskiel David Kirszenbaum, Les Internés de Saint-Sauveur, 1941. Peinture, huile sur toile. 55 x 46 cm (hors cadre). Collection du Centre national des arts plastiques
Le 23 octobre 2025, le Centre national des arts plastiques se verra restituer le tableau Les Internés de Saint-Sauveur de l’artiste juif polonais Jecheskiel David Kirszenbaum, qui constitue un rare témoignage artistique de la vie dans les camps de travail français pendant l’Occupation. Cette œuvre, recherchée depuis plusieurs années, a pu être localisée à Salzbourg, au Museum Kunst der Verlorenen Generation (Musée d’Art de la Génération Perdue), qui a souhaité la restituer à l’État français.
L’œuvre sera exposée pour une période de cinq ans au sein du musée autrichien avant de trouver un nouveau lieu de présentation.
De la disparition à la restitution : un dialogue exemplaire
À l’occasion du récolement (vérification régulière des œuvres déposées) à l’Ambassade de France à Bucarest, le Cnap a constaté l’absence de l’œuvre Les Internés de Saint-Sauveur dont seul le châssis était conservé sur site. En 2024, poursuivant ses investigations, il a retrouvé sa trace dans une vente parisienne organisée par la maison Millon en 2022, lors de laquelle l’œuvre a été acquise par le Museum Kunst der Verlorenen Generation (Salzbourg). Son fondateur, le Professeur Dr. Heinz R. Böhme, souhaitait alors enrichir la collection du musée de cette œuvre réalisée par l’artiste sur le lieu même de sa détention.
Depuis, un travail rigoureux de vérification, d’échanges et de coopération entre le Cnap, la maison de vente et l’acquéreur a permis d’identifier la toile dont la propriété relève de l’État français. À compter de cette identification, la restitution de l’œuvre a été le fruit d’un dialogue fructueux entre le musée détenteur et le Cnap, animés par une volonté commune de rendre hommage à la mémoire des artistes persécutés, marginalisés et parfois oubliés.
La redécouverte d’un artiste fortement affecté par la guerre
Jecheskiel David Kirszenbaum (1900-1954) s’est formé au Bauhaus de Weimar, auprès de Paul Klee, Wassily Kandinsky ou encore Lyonel Feininger, avant de rejoindre Berlin, où il s’est intégré dans les milieux d’avant-garde. Après avoir assisté à la destruction d’une grande partie de ses œuvres à Berlin, il a fui le nazisme et s’est réfugié en 1933 à Paris avec son épouse Helma. Sa carrière y a connu un véritable essor : il a participé à de nombreuses expositions, comme le Salon d’automne ou le Salon des Surindépendants, et a acquis une réelle reconnaissance artistique.
Sous l’Occupation allemande, son atelier a été à nouveau pillé, plus de 600 œuvres ont disparu. Sa femme est arrêtée, déportée et morte à Auschwitz, tout comme les membres de sa famille restés en Pologne. Lui-même a été interné dans plusieurs camps de travail français, dont celui de Saint-Sauveur près de Bellac (Haute-Vienne), auquel fait directement écho la toile Les Internés de Saint-Sauveur (1941).
Bien plus qu’une simple scène hivernale, ce paysage enneigé aux teintes froides déploie une composition d’une grande économie de moyens pour représenter le camp de Saint-Sauveur. Les silhouettes fragiles des internés, presque transparentes, avancent sur un chemin bordé d’arbres dépouillés. La lumière diffuse traduit à la fois le froid et la solitude des internés.
À la fin de la guerre, anéanti et démuni, Kirszenbaum est revenu peu à peu à la peinture grâce à l’accompagnement fidèle de la mécène Alix de Rothschild. L’État français lui a également apporté son soutien dès 1946, en acquérant notamment trois aquarelles et la peinture Les Internés de Saint-Sauveur, déposée immédiatement à l’Ambassade de France à Bucarest.
Après la guerre, durant ses années de convalescence, Kirszenbaum a vécu encore en France avant d’entreprendre plusieurs voyages au Brésil, au Maroc et en Italie. Il s’est éteint prématurément en 1954. Son œuvre, longtemps méconnue, a été progressivement redécouverte grâce aux recherches entreprises par ses descendants, Nathan et Amos Diament, suscitant un regain d’intérêt et des rétrospectives.
Au-delà des collections du Cnap, certaines de ses œuvres sont aussi conservées au Musée Frans Hals (Haarlem), au Musée historique juif (Varsovie), au Musée d’Israël (Jérusalem) ou à la Bibliothèque Kandinsky (Paris).