PERFORMANCE

Nestor Benedini, "B-Boy Kanti/Motion", 2024. Épreuve jet d’encre pigmentaire sur papier Awagami Unryu 55g, cadre en bois, 40 × 30 cm. Collection du Centre national des arts plastiques
Les relations dynamiques entre image et sport sont liées – entre autres spécificités – au développement de la notion de performance, en tous lieux de la société. Comment les impératifs de compétition et d’excellence, les valeurs d’universalisme portées par les Jeux Olympiques et Paralympiques peuvent-ils être figurés aujourd’hui ? Représenter le sport autrement, au-delà des schèmes habituellement liés à sa retransmission médiatique, est un enjeu toujours renouvelé. Pour la photographie, qui ne connaît pas de règles, c’est aussi un lieu d’entrecroisement d’esthétiques, de la communication visuelle à l’art, du reportage au tableau, de la mode aux nouvelles cultures urbaines. Dans la continuité des grandes commandes de l’État dans le domaine de la photographie, ce projet a pour but de reconnaître et d’encourager la vitalité de la création contemporaine dans le champ de la photographie.
Pour la commande PERFORMANCE ont été sélectionnés les projets de 10 photographes. Cette exposition est réalisée dans le cadre des Journées de la Photographie à Nantes.
Sport ancestral pratiqué dans des conditions extrêmes, l’escalade est envisagée par Laurence Aëgerter comme une allégorie du parcours d’une vie, parsemé de difficultés, où chacun doit trouver sa voie. Afin de réaliser son projet La Montagne allégorique, elle travaille avec des jeunes placés en foyers sociaux spécialisés, en France et en Allemagne. Le vocabulaire visuel de l’escalade est transposé en des compositions qui expriment le rôle essentiel du sport dans le développement de la personnalité et la multiplication des chances.
Nestor Benedini a connu et pratiqué le breakdance bien avant qu’il ne découvre la photographie. Désormais, il est passé de l’autre côté de l’objectif et représente cette expression de la culture Hip-Hop depuis son appartenance à cette communauté. Le breakdance devient une discipline olympique en 2024, à l’occasion des Jeux de Paris. Considéré comme un art ou un sport selon les sensibilités, le breakdance est révélé par Nestor Benedini à la fois comme exploit performantiel, prouesse physique, et expression d’une culture internationalisée, abolissant les frontières, porteuse de valeurs effaçant les identités sociales pour créer un collectif. Les images sont expurgées des codes accompagnant habituellement le break, pour se concentrer sur les gestes, figés ou montrés dans le déploiement du mouvement et de l’énergie qui irrigue les corps des B-boys et B-girls. La grande image Battle Scene montre les fragments de corps reliés et s’enchaînant dans une figure virtuose née de cette tension de « l’énergie du sol ».
Artiste performeur et athlète, Yassine Boussaadoun invente des sports imaginaires, dotés de règlements spécifiques et précis, à partir desquels il organise des compétitions. Le projet est né pendant les confinements, alors qu’il était vital de trouver les moyens d’exister en dehors de règles contraignantes. Ses vidéo-performances, réalisées avec le plus grand sérieux en collaboration avec ses compétiteurs, abordent la possibilité de l’échec ou l’impossibilité du geste, jusqu’à engendrer un sentiment de réussite. Ces sports de fiction, tel le championnat d’éternuement, le marathon de coucou ou le relais d’objets insolites,sont restitués en mimant les esthétiques audiovisuelles des retranscriptions sportives. À travers l’humour et l’absurde, les notions habituellement rattachées à la compétition sont détournées pour aborder la fragilité et la beauté de communautés rassemblées par le jeu. En offrant un exutoire aux contraintes exercées par la société sur les individus, le sport devient ici espace de liberté, de joie, d’amitié et de poésie
Pour réaliser son projet Roche ailée, Suzanne Hetzel a repris l’escalade, qu’elle avait pratiquée assidûment au début des années 2000. Depuis sa propre expérience de confrontation au vide, l’artiste observe au plus près la paroi, en la regardant intensément, pour la considérer comme un lieu habité d’une multitude de formes de vies. La main vient se glisser dans l’anfractuosité de la roche en faisant corps avec elle. Dans la fissure qui lui sert de prise, elle relève le moindre détail des végétaux, lichens, traces d’animaux et de ces autres animaux que sont les membres de l’espèce humaine. Des sculptures de céramique viennent s’articuler aux images pour nous faire approcher cette identification de la prise comme un lieu où d’autres vies viennent se loger et s’épanouir. Cette pratique d’un « slow sport », d’un sport au ralenti comme on parle de « slow food » (cuisine ralentie) lui autorise une photographie méditative, sensorielle, poétique qui exprime une philosophie de l’existence, compréhensive de la richesse et de la complexité du vivant.
L’équipe Smart ArM (Sorbonne Université) répare une prothèse de bras pour s’entraîner en vue de sa participation au Cybathlon Challenge 2023. Pour mettre en lumière les outils qui augmentent ou remplacent le corps, Mana Kikuta explore le monde de la recherche appliquée, où des dispositifs robotiques sont conçus et expérimentés. Dans le laboratoire des scientifiques et techniciens, elle observe les moments de mise au point et d’entraînement d’une personne équipée d’un bras artificiel. Cet athlète se prépare aux épreuves spécifiques d’une compétition sportive, le Cybathlon, visant à l’amélioration de ces dispositifs destinés aux personnes handicapées. À travers cette course à la performance chronométrée, elle met en évidence la beauté de ces gestes autorisés par une technologie qui transforme les vies. Par le jeu avec la profondeur de champ, elle met en parallèle la capacité de la photographie à créer intentionnellement des flous et la capacité de la technologie à créer de nouvelles possibilités de vivre librement avec ses manques.
À partir d’une recherche iconographique sur la pratique du cabrage de moto, plus communément appelée « roue arrière », Samir Laghouati-Rashwan investit d’un point de vue sociologique et anthropologique ce sport urbain non-officiel. En créant une imagerie inédite, actualisant dans le présent une longue histoire de figures masculines exprimant divers registres du pouvoir dans le cabrage d’un cheval, il dépasse les répartitions genrées et stéréotypées, pour approcher une histoire invisibilisée, celle des femmes cavalières, des hommes non-occidentaux et issus des diasporas. Par l’articulation du texte et de l’image, il invente une forme inédite issue du roman photo. Dans ces bulles de conversation s’affichant dans le ciel s’exprime la mémoire de vies oubliées, s’arrachant à la pesanteur terrestre.
Le corps, son apparence et ses compétences physiques sont au cœur de la pratique de Lila Neutre, artiste chercheuse. Elle travaille avec des pratiquantes du twerk, discipline abordée comme lieu d’émancipation et de lutte contre les stéréotypes. Le corps y est travaillé sur un double niveau : athlétique et symbolique. Les danseuses font l’expérience du pouvoir de la transformation et de la performance, comprise comme compétence physique et mise en scène de soi. « Être un objet de désir et travailler son apparence n’est pas synonyme de soumission à un modèle patriarcal, mais symbolise au contraire la femme forte, maîtresse de son corps », nous explique l’artiste. Cette affirmation de la dimension politique du concept de performance est mise en forme en s’inspirant de l’esthétique des compétitions mais aussi en décontextualisant les membres d’un collectif marseillais, la famille Maraboutage, par leur portrait dans des paysages rocailleux, pour mieux affirmer la dimension performative de la construction de soi.
Pour réaliser son projet Écho des rivages, Céleste Rogosin utilise une caméra spécifique permettant une prise de vue en 3D, afin de restituer la volumétrie des corps par l’enregistrement d’un nuage de points. Elle photographie des danseurs B-boys de la communauté breakdance calaisienne et inscrit leurs figures sur des paysages des rives de la Manche, entre Calais et Boulogne-sur-Mer, lieux d’où les personnes en exil tentent de passer vers l’Angleterre. La granularité de la photogrammétrie vient se confondre avec le sable des dunes, en donnant une apparence fantomatique aux corps, afin d’évoquer le paradoxe entre l’omniprésence des outils contemporains de captation des images et l’invisibilité des corps sur ce territoire de frontière.
Au plus près des visages et des gestes dessinés par les corps, Assaf Shoshan observe les émotions qui traversent les sportifs au cours de l’action. Par l’usage d’un objectif à longue focale et d’une vitesse d’obturation rapide, il capte et enregistre dans une fraction de seconde ce qui échappe au regard dans la rapidité d’un match. Les mouvements arrêtés, l’image se concentre sur les expressions, sur l’épiderme et les regards pour révéler l’absorbement dans leur concentration de sportifs tout entiers investis dans la recherche de l’adéquation de leur corps au but qui lui est fixé. Avant puis après l’effort, dans la suspension de l’instant au moment du geste décisif, dans le calme et la concentration, dans la déception de la défaite ou la joie de la victoire, se révèle l’énigme de la beauté qui innerve nos vies.
Photoreporter et skater, Robin Tutenges est allé en Ukraine à la rencontre de la communauté des pratiquants du skateboard. Découvrant une communauté soudée, il montre comment les jeunes skaters ukrainiens se réapproprient les espaces marqués par la guerre, en reprenant en main leur vie dans un contexte où tous les repères sont brouillés. Le skate devient un espace vital, véritable soutien psychologique, maillon essentiel de la vie de ces jeunes en temps de guerre. Les valeurs de ce sport, entré récemment dans la compétition olympique, sont renforcées en permettant de tenir le coup : inclusion, respect, solidarité, dépassement de soi, jusqu’à en oublier les fracas du monde.
L'ouvrage de la commande publique Performance
Parallèlement, une publication en co-édition Poursuite / Cnap rend compte de la commande. Chaque artiste a été pleinement associé à la réalisation de ce livre, en proposant les auteurs de son choix. Ils ont également, en complicité avec le designer graphique et photographe, Grégoire Pujade Lorraine, pu recomposer leur projet dans l’espace des pages.
Conférence-discussion avec Lila Neutre et Suzanne Hetzel - 6 février
Dans le cadre des Journées de la photographie à Nantes, une conférence-discussion se tiendra le 6 février à 18h30 à l’École des Beaux-Arts de Nantes Saint-Nazaire. Cette rencontre réunira Lila Neutre et Suzanne Hetzel, deux artistes dont le travail explore de manière singulière les enjeux de la photographie contemporaine. La discussion sera animée par Pascal Beausse, conservateur et responsable de la collection photographique du Cnap.
Artistes
Partenaires
Le Centre Claude Cahun (CCC) est un espace pour défendre les enjeux de la photographie contemporaine. Nous défendons une photographie à la fois documentaire et plasticienne qui s’appuie sur des photographes que nous voulons les plus diversifiés possible : photographes français et internationaux, émergents ou de renommée internationale. Attentif aux relations que la photographie contemporaine entretient avec les autres champs de l’art, notamment l’image en mouvement, l’installation, l’art numérique, le Centre Claude Cahun constitue un lieu de visibilité et d’expérimentation qui se veut un espace de réflexion sur la photographie en train de se faire.
Horaires
Du mardi au samedi de 13h à 19h
Dimanche de 11h à 13h30 et de 14h30 à 18h
Fermé le lundi et les jours fériés
Adresse
1 rue Chateaubriand
44000 Nantes
France