Thomas FOUGEIROL Collapsing Fields

Exposition
Musée de la Photographie
Galerie Praz-Delavallade Paris 03

THOMAS FOUGEIROL
Collapsing Fields


31 janvier - 23 mars 2019


Entre la réalisation par Joseph Nicéphore Niépce de la première image stable
et permanente de toute l’histoire de la photographie – l’héliographie intitulée
Le Point de vue du Gras, opérée au solstice de l’été 1827, dans sa maison
de Saint-Loup-de-Varennes, près de Châlon-sur-Sâone, en Bourgogne –,
et l’annonce par François Arago, le 7 janvier 1839, à Paris, à l’Académie des
sciences, du procédé mis au point, à la suite des travaux de Niépce, par
Louis-Jacques-Mandé Daguerre – le daguerréotype – comme invention de la
photographie, il ne s’est pas déroulé qu’une petite douzaine d’années, mais
tout un temps de fascination, d’effrois et de controverses qui ont marqué
toute l’histoire du médium et qui perdure encore aujourd’hui.


La position de l’écrivain Honoré de Balzac est, à l’époque, l’une des plus
ambiguës. Dans une lettre à Mme Hanska, il déclare ainsi : «Je reviens de chez
le daguerréotypeur [les frères Bisson], et je suis ébaubi par la perfection avec
laquelle agit la lumière. Vous souvenez-vous qu’en 1835, 5 ans avant cette
invention, je publiais à la fin de Louis Lambert, dans ses dernières pensées, les
phrases qui la contiennent ? Geoffroy-S[ain]t-Hilaire l’avait aussi pressentie.
Ce qui est admirable, c’est la vérité, la précision !» Il fait ainsi référence au
paragraphe : «Toutes les choses qui tombent par la Forme dans le domaine
du sens unique, la faculté de voir, se réduisent à quelques corps élémentaires
dont les principes sont dans l’air, dans la lumière, ou dans les principes de l’air
et de la lumière [...] ainsi les quatre expressions de la matière par rapport à
l’homme, le son, la couleur, le parfum et la forme ont une même origine ; car
le jour n’est pas loin où l’on reconnaîtra la filiation des principes de la lumière
dans ceux de l’air.»


Pour l’écrivain, reprenant ainsi au sens strict le terme de Niépce – héliographie,
autrement dit «écriture de soleil» –, la photographie, avant tout, n’est que de
la lumière qui se matérialise sur une surface tout à la fois tangible et presque
impalpable, d’une précision descriptive sans égal et dans le même temps
totalement mystérieuse. Néanmoins Nadar, dans son livre de souvenirs,
rapporte une conversation avec Honoré de Balzac bien plus surprenante
et inquiétante, et que d’aucuns ont nommé ultérieurement la Théorie des
spectres : «Selon Balzac, chaque corps dans la nature se trouve composé
d’une série de spectres, en couches superposées à l’infini, foliacées en
pellicules infinitésimales, dans tous les sens où l’optique perçoit ce corps.
L’homme à jamais ne pouvant créer, – c’est-à-dire d’une apparition, de
l’impalpable, constituer une chose solide, ou de rien faire une chose, – chaque
opération Daguerrienne venait donc surprendre, détachait et retenait en se
l’appliquant une des couches du corps objecté. De là pour ledit corps, et à
chaque opération renouvelée, perte évidente d’un de ses spectres, c’est-à-dire
d’une part de son essence constitutive.» Aussi, à force d’être photographié,
nous errerions pour l’éternité comme des spectres sans apparence, sans
substance et sans essence constitutive, alors que nos représentations
photographiques demeureraient, elles, solides à jamais. Ce que confirme ces
quelques phrases du Cousin Pons: «Si quelqu’un fût venu dire à Napoléon
qu’un édifice et qu’un homme sont incessamment et à toute heure représentés
par une image dans l’atmosphère, que tous les objets existants y ont un
spectre saisissable, perceptible, il aurait logé cet homme à Charenton […] Et
c’est là cependant ce que Daguerre a prouvé par sa découverte.»


Aussi l’arrivée de la photographie, et plus précisément du daguerréotype,
incite Honoré de Balzac à considérer le monde autrement, à voir le monde «à
partir de la photographie» ; l’invention bouleversant non seulement le rapport
de chacun au visible et à l’invisible, à la lumière et à la matière, mais surtout
la relation de chacun au monde comme à sa propre image. Aujourd’hui peuton
toujours considérer que les arts dans leur ensemble, et la peinture en
premier lieu – il ne faut pas oublier que Daguerre est à l’origine peintre et
décorateur de théâtre –, s’en trouvent toujours bouleversés. La photographie
n’a pas simplement remise en cause la puissance et la précision descriptives
que la peinture possédait auparavant, elle lui a également ouvert un champ
de possible où elle peut venir concurrencer la photographie : celui de révéler
l’essence constitutive des choses, de matérialiser les couches superposées
à l’infini que possède chaque corps dans la nature. Car, en se saisissant
des spectres invisibles, le daguerréotype fait «tomber par la Forme» ces
corps élémentaires dans le champ du visible. L’oeuvre de Thomas Fougeirol,
en particulier dans la série des Collapsing Fields, en est l’exemple parfait,
tant chaque tableau semble y surprendre, y détacher, y retenir une couche
spectrale, afin de mieux la métamorphoser en un événement saisissable et
perceptible.


Mais allons plus avant, et reprenons le fil de la pensée de Louis Lambert selon
Balzac :


«I. Tout ici-bas n’existe que par le Mouvement et par le Nombre.
II. Le Mouvement est en quelque sorte le Nombre agissant.
III. Le Mouvement est le produit d’une force engendrée par la Parole et par une
résistance qui est la Matière. Sans la résistance, le Mouvement aurait été sans
résultat, son action eût été infinie. […]
IV. Le Mouvement, en raison de la résistance, produit une combinaison qui est
la vie […]»


Chez Thomas Fougeirol, la peinture peut être parfaitement définie selon cette
combinaison entre la force engendrée par la parole de l’artiste, son geste, son
mouvement fondateur, et la résistance de la matière picturale elle-même. Si
ce n’est que Thomas Fougeirol dans son oeuvre fait rejoindre les deux parties
du texte : la matière picturale proprement dite n’est pas envisagée ici comme
une masse, mais comme des couches successives aussi souples et élastiques
qu’une peau, aussi denses et nervurées qu’un épiderme, et résistantes au
mouvement, à la force du peintre. Fondé tout à la fois sur l’héliographie
et sur la dermographie, chaque tableau de l’artiste en est dès lors qu’une
occurrence sans cesse renouvelée, sans cesse réitérée, et cela jusqu’à l’infini
de la lumière, de la vie, de l’espace et du temps. À nous, comme Balzac chez le
daguerréotypeur, d’en saisir l’«admirable», d’en être «ébaubi par la perfection
avec laquelle agit la lumière» tout comme «les quatre expressions de la matière
par rapport à l’homme, le son, la couleur, le parfum et la forme». Autrement dit
l’expression même de la «peinture à partir la photographie»…


— Marc Donnadieu

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Dernière mise à jour le 13 octobre 2022