Pulleys, I & The Supposed Half of a Day &...

Exposition
Arts plastiques
Galerie Thomas Bernard - Cortex Athletico Paris 03

Propos de l’artiste pour l’exposition

 

Dans cette exposition, sans doute plus que dans les autres, je poursuis mes recherches sculpturales pour surligner la dichotomie entre intérieur et extérieur; pour insister, par extension, sur cette « membrane », que chaque individu forge ou développe entre lui et les sollicitations et contraintes du monde socioculturel. 

Je conçois souvent une exposition comme une table de dissection métaphorique où convergent le quotidien qui m’entoure et différents niveaux de mes pensées. Je tente de comparer des mécanismes sociaux actuels et des phénomènes esthétiques et d’incorporer des équivalents passés en cherchant leurs traces et symptômes dans diverses disciplines. C’est ainsi que je tente de m’expliquer le quotidien. 

Pour moi, les artefacts assemblés à partir d’objets du quotidien activent des pensées collectives qu’il est possible de partager. Les objets portent la patine de l’histoire. Ils peuvent être utilisés, réexaminés et activés en lien avec différents contextes culturels et différentes situations historiques. Leur langage est susceptible de devenir plus subtil au cours du temps. Dans cette exposition, la combinaison des matériaux constitutifs de ce que je nommerais des « situations sculpturales » et leur arrangement dans l’espace, pourraient révéler ce phénomène.

L’œuvre « Pulleys, I » se déploie dans l’espace d’exposition comme une tentacule.  Les œuvres voisines et en lien avec elle semblent évoquer une version différente de la même histoire, seulement depuis différents points de vue. Les répétitions – pièces pour ainsi dire quasi dédoublées – mettent en exergue que les mêmes pensées pourraient être incorporées à maintes pièces, mais chaque fois énoncées avec des mots différents. Je crois que les œuvres d’art sont sources d’idée – non pas seulement une seule, mais plusieurs – plutôt qu’un vecteur pour une seule pensée ou un concept. Elles parlent par définition une langue qui ignore les poncifs. Pour moi, l’artiste révèle les multiples zones grises, mystérieuses, du langage artistique et  souligne qu’elles sont plus fortes laissées inexprimées. Et j’envisage le spectateur en personne aimant se joindre à une discussion ouverte.

Vittorio Santoro, Paris, octobre 2016

 

… et le temps, plus long encore, incomparablement plus long

 

Les objets peuvent-ils avoir une vie comme nous humains ? Peuvent-ils agir, sentir, vieillir, communiquer ou penser ? Bien qu’ils paraissent dépourvus de vie et de volonté, passifs et manipulables, les objets crient leur existence : on ne traverse pas un mur comme s’il n’était pas, on n’échappe pas à se faire mouiller quand la pluie nous tombe sur la tête. Les objets ne se laissent pas ignorer. Ils nous affectent et revendiquent ainsi leur droit à l’existence.     

Dans ses travaux récents Vittorio Santoro s’intéresse davantage aux objets et à leurs histoires. 

Dans ses oeuvres s’exprime une fascination pour les objets, pour leurs formes et textures, mais aussi pour ce qu’ils évoquent selon le contexte, l’époque et la personne. Il explore leurs histoires individuelles, comme si les objets à l’exemple des hommes avaient le passé qui les a modelés. Ces histoires restent souvent latentes mais elles cachent des mystères avec lesquels Santoro, sans les dévoiler, joue dans ses pièces. 

C’est en même temps une archéologie et une nouvelle grammaire, une nouvelle syntaxe artistique : car il se peut que les objets n’existent pas uniquement pour nous, mais aussi pour eux-mêmes, qu’ils puissent entrer en relations réciproques. Cela reviendrait peut-être à dire que les objets, tout comme les hommes, pensent et sont capables de ressentir : de s’aimer ou se haïr. Ils ont peut-être même une sorte de vie intime où à notre insu ils s’accouplent ou s’entretuent. La logique selon laquelle les objets existent et coexistent entre eux, leur intelligibilité interne selon laquelle ils agissent, est ce qui intéresse Santoro. Mais il ne s’agit pas pour lui d’associer les objets pour en construire de simples agrégats, des assemblages dans lesquels chaque élément reste au fond séparé des autres, indépendant, et dans lesquels la communication entre eux se révèle imparfaite ou, du moins, forcée. Il s’agit plutôt de les associer pour qu’ils fusionnent immédiatement et de manière magique. Ils se dissolvent les uns dans les autres, ils cessent d’être séparés et deviennent unis comme s’ils étaient faits d’une seule et même matière. 

Les pièces de Santoro sont composées d’objets (masques, échiquiers, bougies, textes) et de leurs conducteurs (cuivre, argent, aluminium, lumière, poulies, cordes etc.). Combinés, ces deux types d’éléments entrent en réaction, on les imagine se mettre aisément en marche comme les rouages dans un mécanisme bien huilé. Cependant, par ses propres forces, leurs mouvements cessent d’un coup d’être fluides et évidents. La présente exposition en donne un bon exemple. 

Les œuvres présentées dans l’espace de la galerie sont souvent doublées, sans pour autant être identiques, comme si elles étaient vues de différentes perspectives. On remarque d’abord les ressemblances qui les lient, puis les dissemblances qui les différencient. Trois pièces parmi celles exposées n’ont pas de doubles :

« Pulleys, I », « Beginning/Conclusion » et  « Plateau (Antemeridian/Postmeridian) », pourtant elles semblent contenir les éléments qui les rendent instables et comme si dédoublées de l’intérieur. 

Deux photographies Giovanni Drogo’s Surreal Delay (Pulsar CP1919) exposées perpendiculairement à deux autres, permettent de dévoiler davantage les intuitions qui poussent Santoro à créer : la perception du temps qui change d’un objet à l’autre, d’une personne à l’autre, mais également les différentes manières de vivre l’écoulement ou la suspension du temps. Au premier abord Giovanni Drogo, le héros du roman « Le désert des Tartares », et la radiation du Pulsar CP1919, découverte en 1967 par Jocelyn Bell-Burnell et Antony Hewish, n’ont rien en commun. Toutefois, la transcription des périodes de rotation du Pulsar rappelle mécaniquement la forme des plaines et des montagnes que Drogo a dû voir depuis le Fort Bastiani, lieu de son interminable service militaire. La conjonction de ces deux éléments, si dissemblables, produit un effet inattendu d’une communication fulgurante qui semblait auparavant ne pas avoir de raison d’être. Cependant le temps que Drogo a sacrifié à attendre des Tartares – le temps de sa vie – et le temps, plus long encore, incomparablement plus long, parcouru pour arriver sur terre par le rayon du Pulsar CP1919, qui n’est aujourd’hui qu’une étoile morte, ouvrent l’abîme qui baye entre ces deux échelles du temps. Le regard de Drogo dirigé vers un futur indéfini et le signalement du Pulsar provenant d’un passé plus qu’indéfini – millénaire, infini – ne font que creuser plus encore l’abîme entre les deux.   

La pièce charnière de l’exposition « Pulleys, I » est un arrangement des cordes, attachées les unes aux autres par des nœuds et articulées grâce aux multiples poulies. A ses extrémités sont attachées d’un côté sept bougies blanches, de l’autre une poulie. L’arrangement des éléments produit d’abord un sentiment d’un tout harmonieux, proportionnel et en parfait équilibre. Les poulies et la corde s’appareillent immédiatement comme si les deux éléments étaient faits l’un pour l’autre et comme si la résistance entre eux était nulle. Toutefois, les nœuds qui attachent les cordes et qui sont nécessaires pour permettre au mécanisme de fonctionner, empêchent en même temps son fonctionnement en bloquant les poulies. Le mécanisme s’arrête, il s’avère figé et immobile comme une sculpture. Comme résultat de cette balance sans équilibre, la poulie suspendue à une extrémité du mécanisme semble peser plus lourdement que les bougies blanches suspendues de l’autre. La pièce en même temps qu’elle produit un mouvement fluide et l’équilibre recherchée, arrête le premier et perd la seconde. 

Santoro conjugue les objets en les forçant à entrer en interaction, pour examiner les potentielles réponses qu’ils peuvent donner. Les éléments hétérogènes qu’il met ensemble s’appareillent souvent à merveille. Il les observe attentivement pour comprendre leur intelligibilité interne, la logique selon laquelle ils interagissent entre eux. Guidé par l’intuition, il y retrouve un élément qui est à la fois nécessaire et en trop. Ainsi, les travaux de Santoro s’approchent de l’impossible : l’équilibre et l’instabilité, le futur et le passé, la finitude humaine et l’infini de l’univers etc. s’y rencontrent en produisent en nous un sentiment étrange – mais est-il injuste ? – de notre propre dépendance et place instable au sein d’un réel composé de résistances et de flux. Comme il le disait lui-même une fois : « I am interested to know what this world looks like when I’m not watching. That’s why I make art ».

 

Monika Marczuk, 10/2016

Vernissage en partenariat avec la Fondation d’entreprise Ricard.

Artistes

Adresse

Galerie Thomas Bernard - Cortex Athletico 13 rue des Arquebusiers 75003 Paris 03 France

Comment s'y rendre

Métro :

ligne 8 - Saint-Sébastien Froissart

ligne 5 - Richard Lenoir

 

Dernière mise à jour le 2 mars 2020