Nina Childress - Elle aurait dû rester au lit

Exposition
Arts plastiques
Galerie Bernard Jordan Paris 08

ELLE AURAIT DÛ RESTER AU LIT

Pourquoi placer une exposition sous l’augure de cette exhortation paradoxale, suggérant qu’il eut été

plus sage de ne pas en faire, d’exposition ? Avec ce titre, Nina Childress fait sa maligne, et nous avise

qu’elle aurait dû choisir le droit à la paresse plutôt que la peinture, rester au lit impliquant peut-être le

farniente, peut-être des jeux plus érotiques, peut-être l’accès d’un spleen pessimiste. Car tout cela – la

peinture comme le reste — à quoi bon au fond ? I would prefer not toaurait murmuré Bartelby.

Comme seule pirouette face à la difficulté du réel, tel Alexandre le bienheureux ou Bardot dans

l’ouverture du Mépris, il nous resterait alors le retrait du monde et les troubles du corps, troubles que

Nina Childress s’évertue à traduire, entre autres choses, dans ses toiles. Les dernières oeuvres

explorent davantage ce qui se joue justement non loin du lit, derrière les portes closes de nos espaces

domestiques : une écriture incisive de l’intime dérangé.

 

GOOD VERSUS BAD

Pour cette nouvelle exposition, quatre grandes toiles prennent place dans la galerie selon un système

d’accrochage recto-verso, une manière d’occuper à plein ce lieu de surface modeste, et de déjouer

les dispositifs de cimaises, plus classiques. Au-delà de cette mise en espace, l’artiste instaure une

approche singulière de l’oeuvre, invitant à poser un double regard sur une succession de doubles

tableaux. Depuis quelques années, par intermittence, l’artiste produit en effet des duos qui dérapent :

elle commence par élaborer une version qu’elle nomme good, à savoir fidèle au document

photographique à partir duquel elle travaille. De cette composition photoréaliste, Nina Childress tire

alors une version bad, qui intègre de multiples possibilités de glissement vis-à-vis de la version

première. Un traitement BD, une réminiscence d’action painting, des déformations monstrueuses,

l’extraction d’un détail, des simplifications graphiques, quelques coulures ou de croûteux

empâtements : l’artiste s’autorise tout, et de toutes les manières, sans jamais être prisonnière d’un

style, et en les exacerbant tous à l’extrême.

 

MÉCHANTE

Séduisants, les tableaux de Nina Childress intègrent toutes les directions de la peinture sans en

favoriser aucune, ils épousent une diversité concomitante, où le bien peint et le mal peint se

regardent, tout comme la période vache de Magritte ou les Monstres de Picabia se mesurent au reste

de l’oeuvre. Ces confrontations, qui font trembler les notions de bon et de mauvais goût, structurent la

progression dans l’exposition. Dans ce va-et-vient, Nina Childress se réinvente et se bat : elle donne

en spectacle la liberté plastique de son médium, elle accentue aussi beaucoup sa méchanceté. Un

credo : peindre salement, pour intensifier encore la dimension grinçante et désagréable déjà présente

dans les good paintings. Laisser venir la cruauté, l’impudique, l’étrange.

 

IDENTIFICATION DES CORPS

D’où débarquent ces femmes qui courent nues ou farfouillent dans leur dressing, cet homme

suspendu ou ces voyeurs domestiques ? Tous proviennent du cinéma d’exploitation américain des

années 60. Ces films photographiés par Nina Childress sont des nudies, qui mettent en scène des

corps nus dans le but d'exciter le voyeurisme du spectateur, avec des prétextes scénaristiques

récurrents, comme le camp de nudistes, l’atelier de l’artiste avec son modèle ou le quotidien d’une

danseuse de cabaret. Dans ce vaste vivier de récits anémiques, d’acteurs approximatifs et de décors

bricolés, Nina Childress a prélevé des scènes énigmatiques, où l’érotisme, le kitsch, le malaise et le

comique involontaire font souvent bon ménage. De cette genèse filmique low culture au cadrage

photographique, de la version good à la version bad, la peinture s’affirme en une succession de

déplacements, autant d’étapes d’appropriation et de lâcher prise pour mieux saisir le rapport du corps

à son environnement.

 

ÉROTISATION FLUO

La couleur joue ici un grand rôle : par l’usage des peintures fluorescentes, Nina Childress exacerbe

les sensations, façon peplum Technicolor. Cette palette ardente ne doit pas occulter le lent travail

qu’effectue l’artiste sur une très ancienne problématique, la frontière entre la forme et le fond, cette

limite qui taraude les grands peintres, ceux qui aspirent à peindre et dessiner en même temps. Dans

les jus ou les pâtes, dans le « peu peint » ou l’accumulation des couches qui se focalise plutôt sur la

représentation des corps, Nina Childress explore la magie de la peinture à l’huile, ses possibilités

illusionnistes de relief et de profondeur. Dans ses tableaux, l’examen des lisières entre corps et décor

s’avère profondément sensuel : la technique picturale se met au service du fantasme, les peaux

palpitent, le désir circule.

 

Eva Prouteau

 

À PARAÎTRE

Tableaux fluos, monographie, textes de Vanina Géré & Ramon Tio Bellido, graphic design Bizzari &

Rodriguez, coproduction Galerie Bernard Jordan, centre d’art La Chapelle du Genêteil (Château-

 

Gontier), le Parvis – centre d’art contemporain (Tarbes).

Artistes

Adresse

Galerie Bernard Jordan 2Bis Av. Franklin Delano Roosevelt 75008 Paris 08 France

Comment s'y rendre

 

 

Dernière mise à jour le 13 octobre 2022