Mottes
À l’hôtel Le Quetzal, bâtiment assez bas longeant le littoral, subsiste quelques souvenirs de l’Architecte. Sur une vieille photographie, on le voit assis devant sa table à dessin, l’air d’avoir été interrompu dans son travail par le déclenchement de l’appareil.
Derrière lui, au mur, on devine dans une certaine pagaille les croquis et les plans de son ambitieux projet. Une autre photographie, prise alors qu’il réalisait des mesures dans le paysage désertique et broussailleux caractéristique de la région de H***, le montre bataillant dans la poussière avec ses instruments aujourd’hui dépassés, dans une posture concentrée où il semble invoquer les forces telluriques en présence. C’est comme cela que je me le rappelle. Quand enfant j’avais accompagné mon père sur les grands chantiers, j’avais considéré cet homme plus en chamane qu’en bâtisseur, lui octroyant le pouvoir de communiquer avec les éléments pour faire émerger de l’intérieur du pays des formes incisives, rectilignes et envoûtantes qu’un millier de personnes s’apprêtaient à habiter. Aujourd’hui la ville est encore là, en un bloc immuable, même si quelques fissures entachent son prestige passé. Les habitants ont peu à peu poncé les angles et laissé proliférer les herbes invasives. Sur les surfaces lisses des murs, ils ont pris possession de leur territoire et marqué aux feutres de couleur le passage de leur vie. Sans doute l’Architecte s’il était encore en vie aujourd’hui aurait vu dans l’intrusion de leur indocilité molle et dans leurs installations erratiques le signe de la déliquescence lente mais certaine de sa création.