Mother's Milk

Exposition
Arts plastiques
In extenso Clermont-Ferrand

ZOE BARCZA
MOTHER'S MILK

Du 12 octobre au 16 décembre 2017
Vernissage le jeudi 12 octobre à 18h30

En Résonance avec la Biennale de Lyon, 2017/ FOCUS.


BRUXELLES, 2012.

Un labrador retriever était couché près d’une table, considérant attentivement les deux hommes qui y étaient assis. Elle s’appelait « Elle ». Un nom qui lui venait de sa mère Catherine, renversée et tuée par un taxi alors qu’Elle n’était encore qu’un jeune chiot. Les hommes étaient Théo et Vincent. Théo buvait du vin dans une petite tasse en os qu’il enveloppait dans ses mains, et qu’il dirigea en direction du verre de Vincent.

« Cette eau est imbuvable, tu sais, dit-il. » D’une chiquenaude, il jeta la fin de sa cigarette et commença immédiatement à s’en rouler une nouvelle. « Il y a des particules microplastiques dans l’eau. Elles s’infiltrent dans ton système sanguin, se mèlent à tes os. Elles se logent quelque part dans ta gorge, et ta respiration se détériore rapidement. »

Vincent inspectât son verre, perplexe : «  Et l’eau en bouteille ? demanda-t-il.

— Pire encore. Cela donne la diarrhée dans le meilleur des cas.

— Mais on utilise bien cette eau aussi pour cuisiner ?

— Oui, et alors ? Que faudrait-il faire, mourir de faim ? dit Théo.

— Il y a du plastique « partout », répondit Vincent mimant des guillemets avec ses doigts, si tu cherches bien.

—  Et je cherche bien. Alors tu manges des calamars ?

—  Mm-hum

— Tu manges des fruits de mer, mais tu ne manges pas de « viande », dit Théo, renversant ses
guillemets.  

— Je mange des animaux marins parce que je ne peux pas me les représenter en train de crier.

— Ok, donc la voix est le seul moyen d’exprimer la souffrance ?

— Quoi qu’il en soit, ce n’est pas une question morale pour moi.

— Je mangerais n’importe quoi, dit Théo, mes ancêtres mangeaient de la viande grâce à quoi tu existes aujourd’hui. »

 


20 MINUTES PLUS TARD ...


« …et les canalisations sont habituellement composées de plomb, l’eau qui s’y écoule est lourdement fluorée. Le Fluorure calcifie la glande pinéale. Cela te rend stupide, diminue ta vision, te prive de sommeil, avance le stade de la puberté ». Theo inspirât une longue et douloureuse bouffée de cigarette avant de reprendre : « Nous serons bientôt une espèce d’insomniaques impotents. Forniquant les uns les autres dès l’âge de dix ans. Les prochaines décennies ne seront pas vraiment jolies à voir. Nous vivrons dans une sorte de démocratie soviétique pervertie…

— Soviétique, ou mue par ton obscur individualisme, dit Vincent. Personnellement, j’aime vivre dans une société qui prend soin de moi, qui me laisse la possibilité d’exister simplement, sans avoir à tout remettre en question.

— Je n’aurais jamais pensé être de ceux qui regrettent le passé. Mais je peux au moins choisir de vivre dans mes souvenirs.

— Tu es un être de confort. Théo, regarde-nous. La planète meurt. Nous la privons des dernières plantes et des derniers animaux qui existent. »  

Théo inspectât ses ongles à travers la table : « Et la guerre froide est de retour, dit-il. Des gens tuent, mutilent et violent dès qu’ils le peuvent. Cette fois-ci le monde sombre bel et bien en enfer. Tout le monde le sait, quoique personne ne le sache vraiment.

— Au moins nous ne sommes pas seuls, dit Vincent, faisant un signe de tête vers Elle.

Elle se leva et pensa en elle-même « Mon dieu. Des singes humains, obsédés par la dystopie. Et plus ils l’imaginent, plus ils s’en rapprochent.»

— Savais-tu que les canalisations d’eaux usées mesurent 6 cm de diamètre ?, demanda Théo à Vincent. Elles sont deux fois plus larges dans un pays normal. Ici tu ne peux même pas y jeter le papier toilette. Tu dois le plier et le mettre à la poubelle.

— D’une certaine manière, ça me plait, dit Vincent. »

Ils regardèrent tous les deux Elle sortir de la pièce nonchalamment. Quand elle disparut dans un coin, Théo se pencha au-dessus de la table, s’assurât qu’il n’y avait personne autour, puis dit d’une voix  rauque :

— « Vincent, je crois qu’elle … nous écoutait. »

Ecrit par Erik Lavesson pour Zoe Barcza, Mother’s Milk, Octobre 2017
Traduction Marina James-Appel

Complément d'information

Zoe Barcza est née en 1984 à Toronto (Canada) et diplômée de la Städelschule de Francfort (Allemagne).

Elle vit et travaille aujourd’hui à Stockholm (Suède).

Artistes

Adresse

In extenso 12 rue Gault Saint Germain 63000 Clermont-Ferrand France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022