Les sculptures animalières du musée de Vernon

Par Stéphane Allavena
Joseph Constant, Le Bouc, vers 1957

Joseph Constant, Le Bouc, vers 1957 (FNAC 9142). Bronze. 33 x 36 x 20,5 cm. S. (pattes arrière gauche et arrière droite) : Constant. En dépôt au musée Georges Poulain de Vernon depuis 2015.

Ours blanc, sculpture de Hortense Begue

Hortense Begue, Ours blanc, vers 1950 (Achat à l'artiste en 1951, Inv. : FNAC 7436)
 

Le pélican, sculpture de Marcel Bodart

Marcel Bodart, Le pélican, 1974 (Achat à l'artiste en 1977, Inv. : FNAC 9979)
 

Vache flamande, sculpture de Henri Delcambre

Henri Delcambre,Vache flamande, vers 1952 (Achat en 1952, Inv. : FNAC 7623)


 

L’oiseau marin, sculpture de Victor Feltrin

Victor Feltrin, L’oiseau marin, 1966 (Achat à l'artiste en 1971, Inv. : FNAC 9759)
 

Hérisson, sculpture d'Eugénie Gregoire

Eugénie Gregoire, Hérisson, vers 1950 (Achat à l'artiste en 1950, Inv. : FNAC 7350)

Cynochéphale, sculpture de Georges-Lucien Guyot

Georges-Lucien Guyot, Cynochéphale, s.d. (Achat en 1970, Inv. : FNAC 9722)

La carpe, sculpture de André Lavaysse

André Lavaysse, La carpe, vers 1950 (Inscription à l'inventaire, Inv. : FNAC 8094)

Animal, sculpture de Sylvie Lejeune

Sylvie Lejeune, Animal, 1981 (Achat en salon à l'artiste en 1984 (Salon des Artistes Français), Inv. : FNAC 10356)

Grand oiseau endormi, sculpture de Christina Merchant

Christina Merchant, Grand oiseau endormi, 1971 (Achat à André et Henriette Gomès en 1974, Inv. : FNAC 9868)
 

Tête de cheval, sculpture de Tim Riley

Tim Riley, Tête de cheval, 1978 (Achat à l'artiste en 1983, Inv. : FNAC 10253)

 

Flamant, sculpture de Pierre Segeron

Pierre Segeron, Flamant, 1982 (Achat à l'artiste en 1982, Inv. : FNAC 10191)

 

Hérisson, sculpture de Marguerite Turgel

Marguerite Turgel, Hérisson, 1946 (Achat à l'artiste en 1946, Inv. : FNAC 6827)

Créé en 1862, le musée Alphonse Georges-Poulain de Vernon (Eure) abrite l’une des plus riches collections d’art animalier en France. Fruit de donations ainsi que de nombreuses acquisitions de l’État, cette dernière accueille depuis le 14 décembre 2015 cinq nouveaux dépôts issus de la collection du Centre national des arts plastiques.

Chronique d'art ancestral

S’il est une affirmation qui résonne bien comme une lapalissade, n’est-ce pas de rappeler que l’animal a toujours constitué pour les artistes une source d’inspiration majeure? Des chefs-d’œuvre de Lascaux aux réalisations cocasses ou provocantes de Jeff Koons et Damien Hirst, le sujet n’a jamais cessé de nourrir l’imagination des créateurs, quelles que soient les époques et les civilisations.

En Occident, bien qu’ils soient présents depuis les temps les plus anciens dans de nombreuses scènes historiques et mythologiques, les animaux n’en occupent pas moins, pendant fort longtemps, une place mineure dans l’iconographie. Aussi, malgré les admirables portraits animaliers exécutés dès l’époque moderne par Albrecht Dürer (Le Lièvre, 1502, Vienne, Albertina), Jean de Bologne (Dindon, 1567, Florence, Musée du Bargello) ou Jean-Baptiste Oudry (Levrettes de Louis XV, 1725, Musée national du château de Fontainebleau), ce n'est qu'à partir du XIXe siècle que le thème animalier fait réellement l’objet d’une représentation autonome, unanimement saluée par le public des Salons et des Expositions universelles.

La tenue en 1908 de la première exposition des artistes animaliers, puis la création en 1913 de la Société des Artistes Animaliers Français par Georges Gardet, confirment au XXe siècle l’intérêt des artistes pour le sujet. Traumatisés par l’expérience de la Première Guerre, révélatrice de la barbarie de « l’homme civilisé », ces derniers abordent la représentation des espèces d’une manière radicalement nouvelle. Soucieux de rompre avec la vision d’un être sanguinaire et féroce imposé par le romantisme, bon nombre  assimilent désormais l’animal à une figure placide et bonhomme dont la bestialité a cédé la place à un caractère équanime et pacifique. L’Ours blanc de François Pompon (Paris, Musée d’Orsay), présenté au Salon d’Automne de 1922, en constitue alors l’archétype le plus célèbre.

Après une relative éclipse entre les années 60 et les années 80, les bêtes font à nouveau leur apparition dans le répertoire des plasticiens qui se réapproprient le sujet à des fins très variées, tantôt comme support d’une critique sociale (Wim Delvoye, Sept Cochons tatoués, 2010), objet d’amusement et de dérision (Alain Séchas, Le baldaquin, 2002 ; Jeff Koons, Homard géant, 2008), ou encore symbole de la brièveté de la vie (Claire Morgan, Papillons Morpho-bleu, 2009 ; Miquel Barcelo, Tête de gorille, 2004).

L’État et la sculpture animalière

Quoique longtemps considéré comme un  genre mineur par les institutions académiques, les registres d’achats et de commandes de l’administration des beaux-arts témoignent d’un intérêt régulier de l’Etat pour l’art animalier. Dans le domaine de la sculpture, 432 œuvres, fruit de presque deux siècles d’acquisitions, sont désormais inscrites sur les registres du Fonds National d’Art Contemporain. D’Antoine Barye, dont le Lion au serpent (FNAC PFH-3248) présenté au salon de 1833 constitue l’une des pièces les plus anciennes, à Xavier Veilhan (Lion, 2005, AQ0502), amusante antithèse du premier, l’Etat a su réunir et convoquer les plus grands artistes : Joseph Caïn, Emmanuel Frémiet, Adolphe Geoffroy-Dechaume au XIXe siècle, Rembrandt Bugatti, François Pompon, Georges Guyot, Edouard Sandoz au XXe siècle ainsi que d’autres, qui sans appartenir au cercle des artistes animaliers, reprirent cette thématique pour mener à bien des recherches plus formelles. François Stalhy (Serpent de feu, FNAC 9751), Hans Arp (Siamois, FNAC 9725) ou encore Brassai (Femme-cygne, FNAC 9925) en sont les figures les plus significatives.

Soucieuse d’offrir une vision la plus vaste qui soit de la création contemporaine en la matière, l’administration favorise également dès les années 30 de nombreuses artistes femmes. Écartées pendant longtemps des rangs de la sculpture en raison des prétendus qualités physiques que le métier requérait, nombre d’entre elles manifestent pour le sujet un intérêt précoce. Jane Poupelet, fondatrice aux côtés de François Pompon du groupe des 12 en 1931, après la dissolution de la Société des artistes animaliers, en est alors la personnalité la plus marquante aux côtés de Simone Marye, Anne-Marie Profillet, Jeanne Piffard, ou encore Olga Yversen.

Si l’ensemble de ce corpus est aujourd’hui dispersé en une foule de musées et édifices publics, certaines œuvres habitent encore des lieux spécifiquement dédiés au monde agricole ou animal. C’est le cas du Museum d’histoire naturelle, riche de quarante-cinq dépôts ainsi que de l’Ecole nationale des ingénieurs des travaux agricoles de Gradignan et de l’Ecole nationale Vétérinaire de Toulouse, toutes deux dépositaires de six sculptures. D’autres pièces peuplent également des lieux à vocation cynégétique tels les domaines de Chambord (Michel Saint-Olive, Cerf, FNAC 10061), Rambouillet (Edouard-Marcel Sandoz, Canard femelle, FNAC 7606) ou Brunoy (Maurice Prost, Chevreuils et sangliers, FNAC 7489 et 9089).

Les dépôts du musée de Vernon

Le musée de Vernon accueille désormais treize sculptures issues de la collection du Centre national des arts plastiques, déposées entre 1987 et 2015. Il s’agit, après celui du Museum d’histoire naturelle, du plus important dépôt de sculpture animalière, bien avant ceux du Musée des années 30 de Boulogne Billancourt (6 dépôts) et du musée d’art André Diligent-La Piscine de Roubaix (4 dépôts). L’ensemble, où prédomine un bestiaire inspiré par les régions tempérées du globe, se  compose d’œuvres de petite taille, couvrant une période de 30 ans allant des années 50 aux années 80.

Une partie se rattache au style naturaliste né à la fin du XIXe siècle. Les caractéristiques physiques de l’animal (pelage, plumage, anatomie), sa démarche, son attitude, sont étudiées avec précision comme l’illustrent La carpe d’André Lavaysse, habilement replacée dans son milieu aquatique, le Flamant de Pierre Ségeron ou encore le Cynocéphale de Georges-Lucien Guyot (1885-1973). Un autre ensemble rejoint le courant incarné par François Pompon et Edouard-Marcel Sandoz dans les années 30. La forme du sujet est réduite à l’essentiel et les détails anatomiques gommés au profit d’une figuration stylisée. C’est le cas de l’Ours blanc d’Hortense Bégué, de la Vache flamande d’Henri Delcambre (1911-2003), du Bouc de Joseph Constant (1892-1969) ou encore du superbe Grand Oiseau endormi de la céramiste vénézuélienne Christina Merchan (Née en 1926). Dans un registre similaire, Marcel Bodart (1916-1997), second Grand Prix de Rome en 1946, pousse l’exercice à son paroxysme, réduisant son Pélican à un simple bloc de pierre habilement évidé tandis qu’Eugénie Grégoire transforme son Hérisson en un objet décoratif aux lignes élégantes inspiré par l’Art Déco.

Pour une dernière catégorie de créateurs, l’animal devient le prétexte à des recherches formelles plus poussées. Victor Feltrin (1909-1993), artiste d’origine italienne émigré en France en 1947, accorde à son Oiseau marin la forme d’un bloc abstrait, où la silhouette du bipède se résume à une succession de plans géométriques. Tim Riley, sculpteur anglais établi en France depuis 1981, offre à sa Tête de cheval hennissant, posée à même le sol, les yeux exorbités, une virulence saisissante proche de l’expressionnisme.

Pratiquée depuis des millénaires, l’art animalier connaît depuis plusieurs années un regain d’intérêt chez les historiens d’art comme l’illustre la tenue à Paris et en Province de plusieurs expositions destinées à questionner la place de l’animal dans l’évolution de l’histoire de l’art. Un événement qui ne manque pas d’être intimement lié aux questions environnementales qui habitent désormais notre monde contemporain.

Stéphane Allavena
Conservateur du patrimoine
Mission de récolement
Centre national des arts plastiques

Bibliographie

« 100 sculptures animalières : Bugatti, Pompon, Giacometti ». Exposition : Musée des années trente, 13 avril-28 octobre 2012, Boulogne-Billancourt. Paris, Somogy, 2012.

« Beauté animale ». Exposition : Paris, Grand Palais, Galeries nationales 21 mars – 16 juillet 2012 (Sous la direction d’Emmanuelle HERAN). Paris, Réunion des Musées Nationaux-Grand Palais, 2012.

« Bêtes off ». Exposition : Paris, Conciergerie, 16 novembre 2011- 11 mars 2012. Paris, Editions du Patrimoine-Centre des Monuments Nationaux, 2011.

« Le Zoo d’Orsay ». Roubaix, La Piscine, Musée d’Art et d’Industrie André Diligent, 1er mars-25 mai 2008. Paris, Gallimard. 2008.

« Un cheval, des artistes ». Exposition : Musée municipal Alphonse-Georges Poulain, 15 juin-15 octobre 2002. Vernon, Musée municipal Alphonse-Georges Poulain, 2002.

« Les sculpteurs et l’animal dans l’art du XXe siècle ». Exposition : Paris, Monnaie de Paris, 25 mars-24 mai 1999. Paris, Monnaie de Paris, 1999.

 « L’oiseau dans les collections municipales du musée ». Exposition : Musée municipal Alphonse-Georges Poulain, juin-septembre 1987. Vernon, Musée municipal Alphonse-Georges Poulain, 1987.

Dernière mise à jour le 17 mai 2021