Le Saint Jérôme de Buttura : tableau religieux ou peinture de paysage ?

Par Virginie Inguenaud
Eugène-Ferdinand Buttura, Saint Jérôme, vers 1850

Eugène-Ferdinand Buttura (1802-1852), Saint Jérôme, vers 1850 (FNAC PFH-5794). En dépôt depuis 1852 à la cathédrale de Moulins (Allier). Présenté dans la chapelle Benoît-Labre, le tableau a conservé son cadre d’origine.

Théodore Caruelle d’Aligny, Vue prise dans la forêt de Fontainebleau, 1852

Théodore Caruelle d’Aligny, Vue prise dans la forêt de Fontainebleau, 1852 (Commandé en 1850, achevé en 1852, FNAC 595). En dépôt au musée des Beaux-arts de Lyon (Rhône).

Vue de la forêt de Fontainebleau, par Théodore Caruelle d’Aligny

Théodore Caruelle d’Aligny, Vue de la forêt de Fontainebleau, 1842 (Inv. : FNAC PFH-5757). En dépôt depuis 1843 au musée des Beaux-arts Roger Quilliot de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme).

Les longs rochers de Fontainebleau, par Théodore Caruelle d’Aligny

Théodore Caruelle d’Aligny, Les longs rochers de Fontainebleau (Achat par commande en 1858, Inv. : FNAC PFH-2274). Transfert de propriété en 2006 à la Communauté d'agglomération de Metz Métropole.

L’iconographie de Saint Jérôme, personnage à l’existence historique avérée qui vécut au IVe siècle, fait pourtant essentiellement appel à sa légende, transmise depuis le Moyen Âge par « La Légende Dorée » de Jacques de Voragine. Pénitence au désert, retrait d’une épine de la patte d’un lion, tentation par diverses créatures ont alimenté l’imagination des artistes. Ainsi le Saint Jérôme d’Eugène-Ferdinand Buttura (FNAC PFH-5794), conservé dans la cathédrale de Moulins, est-il tributaire de cette longue tradition tout en faisant preuve d’une grande modernité dans l’appréhension du paysage qui sert de contexte, peint d’après nature.

La paternité de l'œuvre

L’État attribua l’œuvre à la cathédrale de Moulins en 1852, l’année même où, sur les instances de Mgr de Dreux-Brézé, l’agrandissement de l’édifice fut décidé et confié à Jean-Baptiste Lassus (Paris, 1807-Vichy, 1857), architecte-restaurateur qui fit du néogothique sa spécialité. Cette église, collégiale sous l’ancien régime, était devenue cathédrale en 1824. On ne connait pas la date d’achat du tableau à Eugène-Ferdinand Buttura mais on sait que l’artiste le présenta au Salon de 1850, dans le livret duquel il portait le n°425. L’œuvre achevée, une huile sur toile de 140x157cm, a été précédée d’une esquisse de petites dimensions (18x17 cm) apparue sur le marché de l’art parisien en 2004. Parmi le nombre restreint de publications concernant la cathédrale de Moulins, le tableau de Buttura, ni signé ni daté, n’a jamais retenu l’attention des érudits sauf un auteur qui l’attribue au XVIIe siècle, datation que l’on retrouve en 1924 sur l’arrêté de protection au titre des monuments historiques.

Le témoignage du talent d'un artiste oublié

Né à Paris en 1802, décédé dans la capitale en 1852, Eugène-Ferdinand Buttura bénéficia de l’enseignement de maîtres prestigieux à l’école des Beaux-arts (Jean-Victor Bertin, Jean-Charles Rémond et Paul Delaroche) et obtint en 1837 le 1er prix de Rome de paysage historique avec Apollon, gardant les troupeaux d'Admète, invente la lyre. L’artiste, qui avait commencé à exposer des paysages au Salon dès 1835, y montrera régulièrement des œuvres jusqu’à l’année même de son décès. Les titres, dont les livrets ont conservé le souvenir, révèlent quels sites ont inspiré le peintre : d’abord l’Italie avec Rome et sa province, puis, à la fin de sa carrière, la France méditerranéenne des environs de Cannes et de Nice. À sa sortie de l’école des Beaux-arts, l’artiste avait cependant parcouru l’Auvergne, le Dauphiné et la Savoie. Certaines de ses œuvres furent lithographiées par François-Louis Français (1814-1897).

D'après nature

Néanmoins, le paysage décrit dans le Saint Jérôme de la cathédrale de Moulins témoigne de la fréquentation que Buttura fit également de la forêt de Fontainebleau : on reconnait le front de taille des carrières et les importants rochers à la silhouette caractéristique, coiffés par la population typique des chênes et des hêtres. La composition structurée par les formes aigües des roches, l’alternance chromatique de tonalités chaudes et froides, confèrent au tableau de Buttura une certaine parenté avec les réalisations contemporaines de Théodore Caruelle d’Aligny (Chaumes, 1798-Lyon, 1871) qui puisait également son inspiration dans la célèbre forêt, au point de parfois aboutir à la confusion de l’œuvre des deux artistes. La scène religieuse, ici saint Jérôme accompagné du lion paisiblement étendu à ses côtés tel un gros chat, n’est qu’un alibi pour peindre un véritable portrait, non pas de personnage, mais de paysage. L’apparition de l’esquisse sur le marché de l’art montre cependant que sa version finale n’a pas été peinte « sur le motif » mais retravaillée en atelier.
 

Virginie Inguenaud
Conservateur du patrimoine, mission de récolement et responsable des collections historiques

Œuvres d’Eugène-Ferdinand Buttura ayant figuré dans les collections gérées par le Cnap

Paysage – site d’Italie (FNAC PFH-3898), huile sur toile, 148 x 197 cm, envoi réglementaire de Rome en 1841. Dépôt en 1854 au musée Fabre de Montpellier. Transfert de propriété
en 2012 à la Communauté d'agglomération de Montpellier dans le cadre de l’application de la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France.

Ulysse dans l’ile des Phéaciens (FNAC PFH-1298), huile sur toile, 124 x 194 cm, commandé en 1843, achevé en 1847. Dépôt en 1848 au musée des Beaux-arts de Carcassonne. Transfert de
propriété en 2012 à la Ville de Carcassonne dans le cadre de l’application de la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France.

Bibliographie sélective

Paul Mantz, Artistes contemporains. Eugène Buttura, Gazette des Beaux-Arts, t. XV, 1863, pp. 186-193.

Patricia Gaudissart. «La vie et l’œuvre d’Eugène-Ferdinand Buttura». Mémoire de maîtrise d’histoire de l’art soutenu en 1990 à l’Université de Clermont-Ferrand 2 sous la dir. de Jean-Paul Bouillon

Dernière mise à jour le 2 mars 2021