L’ÉLARGISSEMENT DES FANTASMES

Exposition collective
Exposition
Arts plastiques
Maëlle Galerie Romainville

 

Au départ, il y a cette chose qui me fascine et qui est entrée dans mon travail : comment arrivons-nous à sentir, à connaître (plutôt que comprendre) des désirs autres — ceux des autres ? Des désirs autres que les seuls que nous sommes bien sûr-e-s de ressentir : les nôtres. Un mélange de notre plus intime, de notre plus unique, de nos rêves ; et de notre éducation, de notre culture, des mythes et des légendes, des injonctions de la société, de strates historiques.

Dans les premières pages de Boy-Wives and Female Husbands, Murray et Roscoe écrivent : « Parmi les nombreux mythes que les Européens ont créés au sujet de l’Afrique, le mythe selon lequel l’homosexualité serait absente ou négligeable dans les sociétés africaines est l’un des plus anciens et tenaces. [...] Si les peuples noirs africains étaient les plus primitifs de toute l’humanité [...] ils devaient être aussi les plus hétérosexuels. Les figures de l’ “homme naturel” et du “primitif ” se sont avérées indispensables aux projets occidentaux d’auto-définition depuis que les Grecs ont imaginé les non-Grecs comme des barbaros, plus foncés, plus poilus, plus grossiers et plus dissolus qu’eux-mêmes. [...] Comprendre les homosexualités africaines suppose non seulement d’abandonner ces mythes mais aussi de suspendre un certain nombre de convictions et de valeurs occidentales profondément enracinées sur la sexualité, l’amour et les relations intimes. »

Bien que j’aie été frappée de constater, au cours des années, à quel point cette dernière remarque était toujours d’actualité et à quel point beaucoup d’êtres humains (et surtout beaucoup d’Occidentaux/ales) refusaient d’accorder à ceux et celles d’une autre société des fonctionnements et des ressentis différents des leurs concernant la sexualité, l’amour et les relations intimes, il est évident que cette question n’est pas seulement une question post-coloniale. Le prisme post-colonial n’est qu’un appel pressant parmi d’autres, lorsqu’il est aujourd’hui question de féminisme, de genre et de sexualité, à être capable d’offrir toujours davantage de liberté d’être à ce que nous ne connaissons pas.

J’ai aussi été frappée de constater à quel point dans le champ de l’art, et de l’art contemporain, là aussi, presque toutes les représentations du genre et de la sexualité devaient être données avec des clefs de lecture évidentes — j’entends pour la société occidentale, le seul espace où tout est lu et vendu — dès qu’elles émanaient d’une autre société.

Dans C. (pour « Chatte »), Pasolini évoque un sexe — le sexe féminin, maternel — a priori universellement connu, et reconnu, évident, mais qui lui demeure totalement étranger, pour toujours. Alors qu’un autre monde sexuel pourra être le sien, pour la vie.
« ...et Tu es là, au Centre,

Commun Dénominateur de tous,
derrière un sale buisson sur la pente glissante,
AU TRAVAIL, AU TRAVAIL,
Œil de chair qui ne voit pas2 ! »
La question, exceptionnelle, incomparable, celle de Pasolini, est : chatte conformiste, chatte capitaliste — est-il possible de lui échapper ?

À l’heure où des peuples entiers croient voir chez les autres des signes de misère sexuelle, de misère féministe, de misère homophobe, autant de boîtes de Pandore qui s’épanouissent violemment (contre l’autre, son voile, son arriération), l’art devrait toujours permettre de faire voir et sentir des images et des imaginaires de ce qu’est un corps, une femme, un homme, ni l’un, ni l’autre, un sexe, des pratiques sexuelles, qui nous excèderont toujours, qui excèderont toujours ce que nous croyons connaître par leur créativité, leur puissance, leur sophistication, leurs structures inouïes, leur singularité — comme la salve contre la chatte de Pasolini, comme le récit du Kényan Kamau dans le livre de Murray et Roscoe.

Par chance, les corps et les esprits peuvent vouloir plein d’autres choses que ce à a quoi ils sont cantonnés et ils ont la mémoire de plein d’autres choses que ce que nous soupçonnons. Paul-Armand Gette, un explorateur unique du sexe féminin et de ses mythologies, disait que « (l)’élargissement des fantasmes serait un beau programme pour un artiste. » Cette exposition est faite par des et faite de corps d’hommes et de femmes, corps jeunes ou vieux, corps queer, corps racisés, sexes et imaginaires sexuels. Elle espère réussir une seule chose : simplement les laisser être.

Eva Barois De Caevel, Paris, septembre 2016 

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 12 Stephen O. Murray et Will Roscoe, Boy-Wives and Female Husbands: Studies of African Homosexualities, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 1998, p. 11. Pier   Paolo Pasolini, C., traduction d’Isabella Checcaglini et Étienne Dobenesque, Paris, Ypsilon, 2012, p. 45. 


Commissaires d'exposition

Autres artistes présentés

 

Yasmina Bouziane, Alain Faure, Marie-Claire Messouma Manlanbien, Miriro Mwandiambira Wura-Natasha Ogunji, Kelly Sinnapah Mary, Dani Soter 

Horaires

Du mardi au samedi De 14h00 à 19h00

Adresse

Maëlle Galerie KOMUNUMA 29 rue de la commune de Paris 93230 Romainville France

Comment s'y rendre

Métro : Belleville ( Ligne 11 - 2 ) Sortie : Boulevard de Belleville Bus : 96 - Couronnes
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022