Geoffroy, peintre de l’enfance et illustrateur de l’idéologie éducative de la IIIe République

Par Cécile Escarbelt
Henri Jules Jean Geoffroy, Une leçon de dessin à l’école primaire, 1895

Henri Jules Jean Geoffroy, Une leçon de dessin à l’école primaire, 1895. Huile sur toile 185 x 230 cm (avec cadre). Signée et datée en bas à droite : Géo. 1895 (FNAC 535). Acquise par le Bureau des travaux d'art en 1895 et exposée au Salon de la Société des artistes français de 1895.

Déposée en 1902 par la Direction des Beaux-Arts à l’école normale supérieure d’Auteuil. Devenue l'Institut universitaire de formation des maîtres, l’œuvre s’y trouve toujours en dépôt, exposée dans la Salle des Actes, site Molitor (Paris).

Albert Ardail, Scène d’école primaire de filles, 1896

Albert Ardail, Scène d’école primaire de filles, 1896. Gravure à l’eau-forte d’après le tableau de Jean Geoffroy, Une classe primaire en Bretagne (Achat par commande à l'artiste en 1896, Inv. : FNAC 612).

L’huile sur toile de Geoffroy (165 x 235 cm) acquise par le Bureau des travaux d’art en 1896, fut exposée au Salon de la Société des artistes français de 1896, puis exposée en 1897 à Saint-Pétersbourg.

Déposée en 1902 par la Direction des Beaux-Arts à l’école normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, établissement d'enseignement supérieur réservé aux filles et destiné à la formation des institutrices, faisant partie aujourd’hui de l’ENS de Lyon (œuvre non localisée).

Ferdinand Florentin Froment, École franco-arabe, Vers 1896.

Ferdinand Florentin Froment, École franco-arabe, Vers 1896. Gravure d’ap. le tableau de Jean Geoffroy, Une classe franco-arabe à Tlemcen, (Achat à l'artiste en 1897, Inv. : FNAC 1137).

 

 

L’huile sur toile de Geoffroy (195 x 237 cm, avec cadre), acquise par le Bureau des travaux d'art en 1897, fut exposée au Salon de la Société des artistes français de 1896, à l’Exposition Universelle de 1900 (Paris) puis à l’exposition de l’Enfance de 1901 (Paris).
Déposée en 1902 par la Direction des Beaux-Arts à l’école normale supérieure de Saint-Cloud, faisant partie aujourd’hui de l’ENS de Lyon (œuvre non localisée).

La commande en 1893 envisageait une école primaire franco-tunisienne. Pour sa réalisation Geoffroy s’est rendu à deux reprises à Tlemcen. Une note adressée à l’artiste en 1894 par le Bureau des travaux d’art, précise que « l’esquisse primitive mériterait d’être étudiée de nouveau sur place [...] afin que vous puissiez vous pénétrez davantage des qualités de la lumière et de l’originalité des types qui sont propres à l’Algérie ».

Henri Jules Jean Geoffroy, École maternelle, 1898

Henri Jules Jean Geoffroy, École maternelle, 1898 (Achat en salon à l'artiste en 1898 (Salon de la Société des Artistes Français, n°898. Paris.), Inv. : FNAC 1298).

Acquise par le Bureau des travaux d'art en 1898 et présentée hors concours au Salon de la Société des artistes français de 1898, dans la Galerie des Machines. Elle figura à l’exposition Universelle de 1900 (Paris) puis à l’exposition de l’Enfance de 1901 (Paris).

Déposée en 1902 par la Direction des Beaux-Arts à l’école normale supérieure de jeunes filles dite Sèvres. Devenue l'Institut universitaire de formation des maîtres, l’œuvre s’y trouve toujours en dépôt, exposée dans la Salle des Actes, site Molitor (Paris).

Henri Jules Jean Geoffroy, École professionnelle à Dellys, travail du fer, 1899

Henri Jules Jean Geoffroy, École professionnelle à Dellys, travail du fer, 1899 (Achat à l'artiste en 1899, Inv. : FNAC 1380 , FNAC 8392). En dépôt au Musée national de l’éducation (Rouen).

Il y a de ces artistes ignorés, effacés, dont les œuvres nous sont pourtant familières. Henry Jules Jean Geoffroy (1853-1924) dit Géo, « peintre des humbles et des enfants », selon l’épitaphe lui rendant hommage, fut en son temps leur ambassadeur.

De l'initiation à la renommée

Dès l’âge de 18 ans, l’existence de Geoffroy se déroule dans un environnement lié à l’enfant. Cet univers va façonner son sens de l’observation comme il va nourrir son affection pour ce thème. Sa vocation s’affirme dès sa rencontre providentielle avec Pierre-Jules Hetzel, éditeur et écrivain convaincu, pour qui la formation de la jeunesse est le fondement assuré des républiques. Commence pour Geoffroy une abondante carrière dans l’illustration et la gravure de livres et magazines destinés à l’instruction publique de la jeunesse, de manuels scolaires, de planches didactiques, même de récompenses hebdomadaires (bons-points).
Reconnu par ses contemporains, puis peu à peu du grand public, il expose ses peintures dès 1874 au Salon des Artistes Français, où il reçoit plusieurs récompenses dans les années 1880. Imprégné par le naturalisme qui connaît alors un grand succès, Géo intègre à sa peinture un réalisme saisissant pour représenter fidèlement l’enfant tel qu’il est dans son milieu naturel. Il représente chaque être dans son unicité, le peint avec son regard bienveillant, tout en témoignant des changements profonds et fondamentaux s’opérant dans le système éducatif de cette jeunesse.
En effet, la conception de la société est alors bouleversée par les convictions profondes et la pensée de Jules Ferry qui considère l’enfant dès son plus jeune âge, comme l’incarnation de la Nation. Il donne l’élan décisif de l’instruction morale, civique et démocratique, en instituant l’enseignement gratuit, obligatoire et laïc.

Geoffroy ou l'apologie de l'instruction scolaire de la IIIe République 

Ce contexte et le regard humaniste de Geoffroy vont légitimer sa désignation en 1893 par le ministère de l’Instruction publique pour l’exécution de cinq toiles, chacune devant « perpétuer le souvenir de la vie scolaire à cette époque ». Le style de Geoffroy incarne pour Ferdinand Buisson1 le reflet de l’idéologie scolaire républicaine. Aussi, chaque toile devait être le miroir des fondements du système éducatif de la IIIe République et de son action.
Ainsi, Une leçon de dessin à l’école primaire (FNAC 535) représente une innovation de l’école républicaine : l’enseignement artistique par l’apprentissage d’une activité manuelle. L’éveil à la création - ici, le dessin et la sculpture - se réalise dans une classe pourvue de matériels où règne sérieux, concentration, ordre, autour d’un maître attentif, passeur d’un savoir.

Une classe primaire en Bretagne (FNAC 612) s’intéresse à la scolarisation des jeunes filles et à la politique régionale scolaire, indissociable de la notion de patrie comme de sa vocation à réduire l’inégalité sociale. L’école s’adapte aux convenances locales, se plie aux traditions. Cette souplesse est perceptible dans les plis des robes, la coiffe bretonne ou le sabot en bois.

Une classe franco-arabe à Tlemcen (FNAC 1137) souligne l’importance portée à l’instruction publique indigène par l’État colonial. Située dans une médersaalgérienne où Geoffroy s’est rendu, le sujet transcrit l’enseignement hybride arabe-français dans le respect des croyances et des traditions. Les enfants sont donc assis « à l’orientale », sur des tapis, vêtus des habits traditionnels devant un maître autochtone.

L’École maternelle (FNAC 1298) représente le premier contact des très jeunes enfants avec la maison d'éducation, au moment de la journée où ils retournent dans le monde environnant. L’introduction de la propreté est abordée par le lavabo et le rituel du lavage des mains, à laquelle la lumière fait écho. Les enfants baignent dans le bien-être, entourés des maîtresses rigoureuses et attentionnées.

École professionnelle à Dellys, travail du fer (FNAC 1380) témoigne de l’enseignement technique des jeunes hommes européens et algériens, mais aussi de leur devenir. La formation d’apprentis sert au besoin de main d’œuvre inhérent au développement de l'industrie.

L’instruction publique poursuit ce besoin d’exposer son action et l’idéologie républicaine, particulièrement lors de l’Exposition universelle de 1900. Son pavillon consacré aux progrès de l’éducation et de l’enseignement en France est orné des seules œuvres de Geoffroy, préalablement sélectionnées. Un paroxysme en adéquation avec l’emplacement éminemment symbolique de son pavillon : la Tour Eiffel.

Cécile Escarbelt
Chargée de la coordination, mission de récolement
 

Bibliographie

Claude Lelièvre, Histoire des institutions scolaires (depuis 1789), Paris, Nathan, Collection « Les repères pédagogiques », 1990.

Eliaou Gaston Guedj, L’enseignement indigène en Algérie au cours de la colonisation 1832-1962, Paris, Société des écrivains, 2003.

Christiane Hubert, Un peintre de l'enfance aux débuts de la llle République : Jean Geoffroy, « Carrefours de l'éducation » 1/2006 (n° 21), p. 95-112.

Catalogue de l’exposition Geoffroy, peintre de l’enfance, INRP, Musée national de l’éducation, Rouen, 1984.

Catalogue de l’exposition L’illusion de la réalité. Peinture, photographie et cinéma naturalistes, 1875-1918, Van Gogh Museum, Amsterdam, 8 octobre 2010-16 janvier 2011 et Musée des Beaux-arts de l’Ateneum, Helsinki, 18 février 2011-15 mai 2011.

 

1 Ferdinand Buisson, Directeur de l’enseignement primaire et collaborateur de Jules Ferry, à l’origine de cette commande.

2 Médersa, terme arabe désignant une école de fonctionnaires où la religion n’est pas dissociée de l’enseignement.

Dernière mise à jour le 17 mai 2021