Florence Reymond
La vraie grandeur de l’homme, c’est de paraître heureux quand tant invite à l’être. Il en va de même
pour ces restes de nuages opalescents, changeants et fantaisistes, aux motifs souriants sous un ciel
ténébreux. Les tableaux de Florence Reymond rayonnent d’une énergie nouvelle ; l’artiste est
toujours prête, comme pour la montagne de son intitulé, à cent fois les recommencer, peintures d’un
roman inachevé. La culture, la création, accompagnent la vie humaine depuis la nuit des temps, et la
vie est belle dans une perspective et une gestuelle à réinventer. Les paysages sont des couleurs en
valeurs composées, des miracles ordonnés accessibles pour beaucoup, mais ressentis par trop peu.
La roche et le temps
Le paysage peint, sapin vert et sapinière, découpe en dents-de-scie les crinières végétales d’un
feuillage persistant, quand le nek à la pâte plus épaisse fractionne ses parois en surfaces distinctes.
Le rocher pétrifié, comme le monument antique pour l’abbé Delille, valide l’indestructible et la
permanence de l’art dans la durée. La pierre sera rabaissée (Stolperstein), dressée (menhir), stèle,
statue, monument, pour agir durablement sur le temps. Thiers 2012 est le nom du grand polyptyque
du rez-de-chaussée. De même que toutes les toiles de l’exposition, il répond à la nature troglodytique
du Creux de l’enfer — la roche surtout, à laquelle le bâtiment est adossé. Entre croyance religieuse et
légendes païennes, histoire sociale et fantôme de George Sand, le rocher n’est jamais loin. Mais
Florence Reymond évite le récit, et s’en échappe s’il le faut par la forme purement géométrique,
schématisant la frise et défrisant les schémas. Tel un diapason chromatique, nuancier de couleurs
variées, la figure géométrique abstraite resserrée en carré tamponne de sa marque la pâte picturale
sur la toile. Elle suscite ainsi, par sa confrontation avec la forme libre, une dynamique
expressive entre le sauvage et l’apprivoisé, le simplifié et l’élaboré, le pictogramme et le griffonné, le
spontané et le cogité, le chaotique et le strict. C’est une des particularités de ce travail que d’élaborer
son propre langage de signes sur une dialectique contrastée. Quand Matt Mullican associe couleurs et
motifs, les raisons sont rigoureusement définies. Le corpus des signes de Florence Reymond s’affiche
sur un registre plus syncopé, parfois primitif et compulsif tel celui, maculé, d’un Gérard Gasiorowski
dont on retrouve çà et là énoncé le coup de brosse rebelle.
U n rituel humain
D ans la paume d’une main
L’ artiste propose une vision holistique du paysage, dans un geste haché en feuillage de sapin. La vie
se découpe dans une lumière stratifiée, et se recoupe dans des masses ligneuses, des fleurs, des
surfaces terreuses. Elle perpétue sa joie première dans de simples motifs de création binaires, et
même dans le bras sec et tendu d’un arbre mort. L’œil, dans l’écho rebondissant des formes, s’amuse
de ces persistances rétiniennes ; et l’aplat, fragmenté/ parcellisé tel un drap de couleur rapiécé, traite
son fond d’un geste décidé qui ne se veut surtout pas innocent. Florence Reymond, dans le mystère
de sa jubilation, démontre que l’art de peindre répond à une tradition, est un rituel humain dont le
geste tient toujours dans la paume d’une main.
Frédéric Bouglé , commissaire de l'exposition
Complément d'information
Pour son exposition personnelle sur les deux niveaux du Creux de l’enfer cet été 2013 — qui a bénéficié de l’aide matérielle de Marin Beaux-Arts —, Florence Reymond a engagé une nouvelle série d’œuvres où le paysage l’emporte désormais sur les personnages. Les couleurs et la gestuelle sont franches, et le vocabulaire plastique est libéré, relevant autant de l’abstrait que du figuré. Le sujet s’installe volontiers dans la forme équivoque ou inaboutie, avec aussi des signes identifiables relevant de l’avant-garde d’un art historique. Les traitements de la matière picturale sont vivants, inventifs, parfois chaotiques et enchevêtrés, souvent amples et brossés.
Le grand polyptyque présenté au rez-de-chaussée s’intitule Thiers 2012. Comme pour d’autres tableaux dans cette exposition, les héros sont des rochers, des neks, des sapins, des cairns, des frises et textures dessinées, aux motifs plus secrets qu’avoués. L’œuvre s’inspire d’un art ornemental universel.