Reportage sur le Jardin Suspendu de Mona Hatoum par Camille Poirier

Réactivation d'une œuvre du Centre national des arts plastiques

Du 19 mars au 4 juin 2012, le CNAP pilote la réactivation d’une œuvre de Mona Hatoum au Domaine national de Saint-Cloud. Reportage.

Lundi 19 mars, sur la terrasse du Domaine national  de Saint-Cloud, des enfants au sourire malicieux enfouissent leurs petites mains dans la terre pour en remplir des sacs de jute. Ni la météo capricieuse, ni le froid ne parviennent pas à entamer leur détermination. Jardinage ? Non, arts plastiques ! Dans le cadre de l’édition 2012 du festival Effr’actions, plusieurs centaines d’élèves, de la maternelle au lycée, sont attendus pour participer à la réactivation de Jardin suspendu, œuvre de l’artiste libanaise Mona Hatoum. Prêtée par le CNAP au Domaine national de Saint-Cloud jusqu’au 4 juin 2012, cette pièce semble à première vue dépourvue d’existence matérielle. Elle peut néanmoins être « réactivée », en suivant un protocole précis élaboré par l’artiste.

Expliquons-nous. Les élèves, répartis en petits groupes, ont pour mission de remplir des sacs avec de la terre et des graines, puis de les assembler en respectant scrupuleusement les consignes de Mona Hatoum. Drôle d’idée, diront certains. Mais le résultat est à la mesure de l’effort fourni par les enfants. Composé d’une double rangée de sacs superposés, Jardin suspendu fait songer aux remparts érigés par les militaires, en période de guerre, pour se protéger des balles. A un détail près : les sacs ne sont pas remplis de sable, mais de terre et de graines. Au printemps, elles germeront, crèveront les parois de tissu et tapisseront la structure d’une végétation foisonnante. « Le but du festival Effr’actions est de confronter les élèves, quel que soit leur âge, à des œuvres contemporaines, explique Maria Bottero, Chargée de Mission pour les arts plastiques à l’Académie des Hauts-de-Seine. Les enfants ne sont plus seulement spectateurs, ils sont acteurs : ils construisent, observent, regardent. » Mais leur mise à contribution ne se limite pas aux deux journées passées au Domaine national de Saint-Cloud, les 19 et 20 mars. « Pendant plusieurs semaines, ils vont travailler, en classe, à partir de l’œuvre de Mona Hatoum. Les fruits de leurs réflexions – peintures, collages, sculptures, vidéos – seront ensuite exposés ici, au mois de mai. »

Sous l’œil vigilant de leurs accompagnateurs, les bouts de chou retroussent leurs manches, remplissent les sacs et y déposent des poignées de graines. Gazon, cardamine, cerfeuil, herbes à chat, fleurs sauvages… Impossible de savoir ce qui poussera dans les mois à venir, chaque occurrence de l’œuvre étant singulière, évolutive. « Avec le temps, l’installation va prendre un autre sens, atteindre une autre dimension », assure Richard Lagrange, directeur du Centre national des arts plastiques. Les petits jardiniers participent avec plaisir à ce jeu de hasard. « On se croirait dans Koh-Lanta, avec les épreuves ! », s’exclame Antoine, 11 ans. Si la bonne humeur est au rendez-vous, il faut tout de même être attentif et disposer les graines au bon endroit : certains sacs seront placés sur les côtés, d’autres aux extrémités, d’autres enfin au sommet de la structure. Sans oublier que la quantité de terre doit être la même dans chacun d’entre eux, afin que l’œuvre conserve sa symétrie.

Doucement mais sûrement, les sacs de jute s’empilent le long d’une barrière métallique, sur la terrasse du Domaine national de Saint-Cloud. L’emplacement n’a pas été choisi au hasard : c’est ici même que se trouvait le château de Monsieur, Frère du roi Louis XIV, avant sa destruction en 1870. « Ça prend forme, hein ? », demande un élève à ses camarades en désignant l’œuvre inachevée. « On dirait des tranchées ». Leur professeur ne manque pas de renchérir : « Tu ne penses pas qu’elle l’a fait exprès, la dame ? ». A midi, le soleil commence à pointer le bout de son nez et de nouvelles classes viennent prendre la relève. « En tant qu’établissement public, l’une de nos missions consiste à favoriser les rencontres avec tous les publics, souligne le directeur du CNAP. Pour les enfants, ce projet est l’occasion de découvrir une œuvre d’aujourd’hui, conçue par une artiste vivante qui partage notre monde. Les gens sont parfois hostiles à l’art contemporain, alors qu’une installation comme celle-ci nous dit quelque chose sur notre époque. Elle est plus parlante pour un jeune qu’une œuvre classique. » En associant visuellement une image de paix et une image de guerre, Jardin suspendu frappe l’imaginaire des jeunes et moins jeunes spectateurs : sa force symbolique abat les frontières générationnelles.

Vingt-quatre heures plus tard, la réactivation est presque terminée. Des élèves de tous âges se relaient pour finir de remplir et de superposer les sacs. Les plus petits font preuve d’un enthousiasme à toute épreuve, multipliant les allers-retours pour que le vernissage puisse avoir lieu en temps et en heure. « Ils sont contents d’être au grand air, de pouvoir courir librement », reconnaît l’une des accompagnatrices. Les lycéens, pour leur part, traînent un peu la patte mais font contre mauvaise fortune bon cœur. « On ne joue pas les artistes tous les jours, pas vrai ? », demande leur enseignant dans l’espoir de motiver ses troupes.

À 16h, tous les participants se réunissent autour de Jardin suspendu pour assister à son inauguration. Les danseurs Rodolphe Fouillot et Emmanuelle Huybrechts ont préparé une chorégraphie à cette occasion, effleurant l’œuvre au gré de leurs mouvements délicats. « Je voulais réaliser une chorégraphie qui soit liée à la grossesse d’Emmanuelle, à la transformation du corps d’une femme enceinte, à la manière dont elle se déplace... Et à ce que cela change pour l’homme, qui tâche de se relier à cet enfant en train de germer, raconte Rodolphe Fouillot. Il existait donc des similitudes amusantes entre notre travail et ce mur végétal, dominé par l’idée de la germination. La végétation va pousser et traverser les sacs de terre, aléatoirement : nous avons essayé de rendre compte de cela en privilégiant les courbes et les spirales dans le mouvement.

La journée prend fin, mais les élèves ont encore du travail devant eux : le 19 mai, ils devront présenter leurs propres œuvres, inspirées de Jardin suspendu, au musée du Domaine national de Saint-Cloud. En attendant, petits et grands jouissent d’un repos bien mérité. Tandis que les dernières classes quittent le parc, les jardiniers arrosent les sacs emplis de graines. Ne reste plus qu’à attendre les « Rendez-vous aux jardins », les 1er, 2 et 3 juin, pour pouvoir admirer l’œuvre recouverte de mille pousses d’herbe verte. 

Camille Poirier

Updated: March 2 2021