RUSTIQUE

«Rustique» est le titre d’une série de peinture. C’est aussi le titre de l’exposition. Dans un lieu dédié à l’art contemporain, ce mot crée un écart. Il n’a rien à voir avec la modernité et cette distance peut se retrouver dans ma pratique. Peindre aujourd’hui est en premier lieu s’inscrire dans une histoire, prendre en compte un héritage. Le mien se situe dans une histoire de la peinture abstraite, d’où mon utilisation récurrente du monochrome et de la grille. Le deuxième élément puise dans un univers plus collectif et famillier qui passe par l’utilisation de matériaux utilisés pour le mobilier comme le simili-cuir, le velours de Gênes….


Tout comme le titre, ce qui m’intéresse c’est de produire un écart, de brouiller les pistes entre Art Majeur et Art Mineur, être dans une problématique qui tient compte de l’objet peinture, «l’objet accroché au mur»…
Les peintures accrochées au mur renvoient finalement à des objets, dans la mesure où dans une exposition, elles sont transportées dans des caisses. Dans un intérieur, elles font parties du décor. Dans la fabrication même, il y a un cadre en bois, un châssis, une toile qui vient recouvrir le châssis... En prenant un peu de distance, cela ramène à l’idée d’une armature en bois et d’un matériau qui vient l’envelopper comme un siège ou un canapé.

Comme je fabrique tous mes «objets», la question du châssis a toujours été très importante pour moi. J’ai toujours exagèré la dimension sur la tranche, affirmant ainsi que sous le support, il y a un matériau et que faire un châssis c’est déjà faire de la peinture. Avec tous ces paramètres, on arrive à un objet qui est presque dans l’idée d’emballer le châssis.

Ma pratique passe par l’atelier et beaucoup de choses arrivent par les matériaux.
Le «simili-cuir» fait déjà sens pour moi, il est à la fois le support de la peinture et renvoie à l’espace domestique, de la même façon que les couleurs que j’utilise existent déjà. Je ne les invente pas. Ce glissement m’intéresse, les matériaux ramènent à quelque chose de très figuratif. Rien n’est codifié dans l’usage des matériaux. Il y a une référence au familier qui se fait par leur utilisation.

Si mon travail fait référence à l’objet, il passe d’abord par les gestes du peintre : peindre un monochrome,le découper et le recoudre. Le monochrome est un héritage, et c’est une façon de le recomposer. Les intentions préfigurent à la construction d’une peinture avec une prise en compte des matériaux.

La couture inscrite sur la peinture, introduit à la fois un dessin, un geste et une déformation dans la géométrie. Ma peinture n’est pas une peinture expressionniste. J’utilise la géométrie pour me tenir à distance d’une subjectivité trop présente mais la question du geste m’intéresse. Il passe par la fabrication, par la machine à coudre. La couture va laisser une trace. Ce n’est pas une ligne faite à la main mais à la machine. Elle inscrit une fragilité, une pertubation dans la géométrie.

Jean Marie Blanchet / Pollen / Extrait d’un entretien, 08 octobre 2010