Nick Mauss, Close-fitting Night

Galerie Chantal Crousel Paris 03
Nick Mauss, "Close-fitting Night", vue d'exposition, Galerie Chantal Crousel, Paris (2024). Courtoisie de l'artiste et de la Galerie Chantal Crousel, Paris. Photo : Martin Argyroglo.

Évoquer la pratique de Nick Mauss pourrait prendre la forme d’un trait ininterrompu, ténu, tel un geste, un souffle, qui s’étendrait sans fin au fil des rencontres de l’artiste. Ce trait du dessin, médium avec lequel on pose les idées, l’artiste le fait courir sur différents supports et espaces. Il le trace entre des événements, des pratiques artistiques, des histoires personnelles tombées dans l’oubli. L’artiste les cherche dans les archives, les lie dans des espaces d’expositions et crée un lieu où se révèlent des affinités électives, entre les œuvres et les personnes. S’insinuer dans une exposition de Nick Mauss, c’est être saisi par une superposition d’images, par des entrelacs de relations, dans une forme de simultanéité évanescente. Ce serait comme voir des corps se mouvoir dans un espace, sur une scène, à se toiser, s’inspirer, s’enchevêtrer sans pour autant se fondre.

Pour sa première exposition à la Galerie Chantal Crousel, Nick Mauss poursuit ses recherches formelles. Il joue des effets et significations de matière, avec la réflexion de ses peintures inversées sur verre miroité, reflétant le mouvement des corps et de l’architecture, avec la sensorialité de ses tentures, ou encore avec la matérialité accentuée, malléable et inattendue de la céramique. Les images qu’il réalise vont apparaître ou disparaître au fil du processus de production, une fois le film miroitant apposé, la cuisson de la terre terminée, le tissu dévoré.

Le premier espace occupé par l’artiste a été celui de la page, du carnet de notes. Un espace intime qui s’est étendu à des espaces plus grands, auxquels le corps du visiteur vient se confronter. Ici, on retrouve le cadre de la feuille avec ses dessins sur papier. Les pages sont accolées, des ébauches d’images mises côte à côte, des traits esquissés. Des motifs, des figures abstraites côtoient des fragments de corps. Emmelyn Butterfield-Rosen, historienne de l'art, a écrit au sujet de la tension qui se joue entre la mémoire et l'acte de dessiner dans l'œuvre de Nick Mauss : « invariablement, ses dessins témoignent du fait qu'ils sont réalisés en séries de séances discontinues et déconnectées, souvent séparées par des intervalles de semaines ou de mois. Cette méthode de distanciation temporelle a pour effet d'aplanir et de produire de nouvelles relations imminentes — des marques spontanées et des motifs dérivés d'une « source » deviennent des options équivalentes dans un spectre de possibles, presque comme redistribuer les cartes d'un jeu mélangé. Ces intervalles d'oubli conditionnent évidemment d'une manière ou d'une autre la façon dont ses dessins se rapprochent d’une représentation mnémonique. La structure mnémonique du travail de Nick n'est précisément pas celle du « flat-bed » [lit plat] de Rauschenberg, qui considère la mémoire comme l'ordre aléatoire des données brutes classées dans l'esprit. Les informations visuelles qui apparaissent ont été traitées et sont donc plus proches des images rêvées, puisque ce qui est préservé et représenté a été précisément auto-construit et édité(1) ».

Nick Mauss s’est intéressé à des pratiques longtemps cantonnées aux arts mineurs, à l’artisanat ou encore au domaine des arts décoratifs. Depuis plus d’une décennie, il s’intéresse à la céramique, un matériau imprévisible. Travailler la terre et son émail, c’est imaginer le devenir potentiel d’un tracé, les interactions de couleur, le jeu des transparences. L’artiste a développé de nouvelles techniques en collaboration avec l’atelier de céramique Bottega Gatti à Faenza, connu pour son histoire séculaire de travaux menés avec des artistes. Avec le temps, ses céramiques ont gagné en matérialité, sont devenues plus sculpturales et architecturales, avec tout un répertoire d’empreintes, qu’elles soient peintes, imprimées ou entaillées, mêlant différents états de « cru » et « cuit ». Les deux panneaux muraux présentés, en grès et en terracotta, ont été réalisés quasiment « à l’aveugle » ; les terres utilisées, blanche et rouge, ont une couleur identique lorsqu’elles sont crues, ce n’est qu’après la première cuisson que les couleurs se révèlent. Une autre série de dessins a été réalisée avec l’application de cire sur du grès blanc. L’image n’apparaît qu’une fois recouverte d’émail noir, la cire sert de repoussoir et l’empêche d’imprégner la matière. Le dessin se révèle ainsi en négatif.

Le concept d’un pré-dessin comme état initial, momentané d’une performance perdue, est récurrent dans le travail de l’artiste. Il donne la priorité à l’étude, au croquis, à l’image émergente, à la limite du déchiffrable à la différence d’une œuvre « achevée ». La série de reliefs en argile texturés et très travaillés servent de support à des dessins submergés par une forme de physicalité, à des souvenirs dont les images sont remodelées par le corps. Certaines de ces pièces ont été cuites à plusieurs reprises, leur conférant l’aspect nacré de finitions industrielles. D’autres ne sont pas émaillées mais seulement vaporisées avec de l’oxyde de manganèse, matériau utilisé pour les peintures et dessins dans les grottes préhistoriques, rappelant également la patine des statues et des façades noircies des villes.

La légèreté et la volupté des drapés en satin et velours suspendus, suggèrent quant à eux un rapport plus délicat, plus intime au corps, en contraste à la fixité et à la pesanteur du grès. Ces tentures se déplacent avec le souffle. Elles ont été réalisées avec la technique du dévorage, empruntée au domaine de la couture. Celle-ci consiste à éliminer par réaction chimique certains composant du tissu suivant un dessin, qui apparaît alors en creux et par transparence. Nick Mauss met en œuvre ce qu’il qualifie « d’actes de traduction », tel un dessin sur le papier composé de souvenirs effondrés, de photographies et d’observations qui peuvent réapparaître, modifiés sur un autre matériau. À la manière du sgraffito sur l’argile humide, la réserve à la cire sur la céramique, les peintures à l’intérieur des miroirs, ou la gravure sur le satin avec le dévoré.

Les œuvres réalisées selon le procédé de la peinture inversée sur verre miroité en sont un parfait écho, confondant le regardeur et l’espace d’exposition avec l’œuvre. Les œuvres miroitées de Nick Mauss sont le résultat d’un processus élaboré, elles s’étendent dans la durée et créent une distance dans la manière de concevoir, de réaliser et de percevoir l’œuvre, tout en maintenant une forme d’immédiateté. Bien que la peinture semble avoir été appliquée à la surface du miroir, celle-ci se trouve sous le verre, exécutée en inversé. La peinture est ensuite couverte d’une surface miroitante révélant l’image et provoquant des réactions inattendues, des effets de brûlure, de solarisation.

Avec Close-fitting Night, Nick Mauss assemble pour la première fois dans un même espace l’ensemble de ces langages formels, développant la sensation d’une certaine matérialité, quasi fugitive et insaisissable. L’artiste tente de saisir l’expérience de voir quelque chose pour la première fois. C’est ainsi qu’il invente, emprunte des surfaces, des matériaux, des techniques pour soutenir l’étrange ressenti de la rencontre, rendu visible dans l’exposition par une forme de dessin, d’écriture tenue en suspension, qui se mêle à la vision et aux mouvements des corps.



1 Nick Mauss, Geschenkpapiere, avec des écrits de Kirsty Bell et de Emmelyn Butterfield-Rosen, 2010, Koenig Books Londres, Royaume-Uni, p.136.

Adress

Galerie Chantal Crousel 10 rue Charlot 75003 Paris 03 France
Updated: March 27 2024