ELIANE CHIRON

Exposition
Arts plastiques
Galerie du Crous Paris 06
TOUJOURS DES RENDEZ-VOUS J’emprunte ce titre à Marcel Duchamp : tandis qu’à Philadelphie il a des rendez-vous secrets, amoureux, avec son oeuvre posthume, il évoque à Paris les rendez-vous de la vie quotidienne. « Toujours des rendez-vous », monté en boucle, enchaînant le début à la fin, a le parfum proustien du temps inversé: « des rendez-vous toujours ». Ainsi se forment les images que je fais depuis plusieurs années. Il y a tant de rendez-vous ici. De la peinture et du numérique, de l’intime et du cosmique, de la duplication et du reflet, de la symétrie et des monstres, de l’étrange et du familier, du proche et du lointain, de la terre et du ciel. Je photographie divers lieux du monde, j’en fais faire des tirages sur papier standard. Quand j’ai du temps, des deux mains, je rapproche doucement deux bords, au hasard, jusqu’à l’apparition d’une vue possible, qui ait l’air vrai. Par exemple je rapproche deux rivages des deux côtés de l’Atlantique, dans le choc d’un premier matin qui aurait pu avoir lieu. Le travail à l’ordinateur a lieu longtemps après, au coeur des stratifications du temps qui s’est lentement déposé. C’est ce temps que travaille l’appareil, laissant visibles les coupures, les arrachements. Ce que veut l’image fait violence au logiciel, à ses programmes, à ses règles. La technique n’impose jamais sa loi, l’image surgit comme imago, aboutissement de ses métamorphoses violentes. Puis, sur toile polyester tranportable en avion, chaque image est imprimée à jet d’encre, sur de très grands formats. Alors je me perds dans l’image, je ne me retrouve plus. Je veux qu’on ne sache plus regarder ni ce que voir veut dire. Je ménage des rendez-vous avec un corps qui ne sait plus ce qu’il a appris. Je veux que l’on réapprenne à voir. La machine peint à ma place. Elle m’apprend qu’être peintre, c’est avoir la couleur imprimée à même le cerveau. Être peintre, c’est savoir qu’une teinte n’existe pas séparée de toutes les autres, que chacune change le monde, que ce monde est en nous, dans un vaste corps partagé. Ce serait ce « quatrième corps » dont « on sait seulement ce qu’il n’est pas », dont parle Paul Valéry. C’est avec ce corps-là que l’artiste a toujours des rendez-vous. Ce corps est dispersé comme celui de Dionysos. Je tente d’en saisir des fragments, à travers quelques motifs (Les baisers, Les rivages (Atlantique ou Méditerranée), Les roses du jardin, Les baisers, La mariée, Noces au noir). Réunis dans l’exposition, ils donnent l’idée du quatrième corps qui circule entre les motifs. J’installe ici la septième mariée, après Porto Alegre, Valenciennes, Orléans, Daegu, la Martinique et Tunis. La mariée est le passage de l’une à l’autre. Je suis peintre. À trois ans et demi, j’ai peint une mariée avec un bouquet rouge. Aux grandes personnes qui protestaient, j’ai dit c’est comme ça. J’ai toujours des rendez-vous avec cette mariée, avec ce rouge, avec la petite fille au loin, photographiée après une guerre mondiale, en noir et blanc, grimpant à une corde comme si elle montait au ciel. Le ciel est celui de la marelle, avatar des labyrinthes religieux. Les grands kakémonos ont pour modèle les rouleaux japonais et les marelles de l’enfance. On y pousse du pied le méreau, autrement dit son âme. L’artiste n’oublie jamais le contact avec le sol où il pousse son âme, du bout de son pied. Il sait que ne pas perdre son âme consiste à la déplacer, que là est le vrai sens du dessin, qui laisse ouverte la forme, inachevé le chemin, sans fin le trajet. L’image numérique ne doit pas rater ces rendez-vous avec le dessin, fragile équilibre au sol, réduit au contact d’un seul pied. Le joueur de marelle est comme l’embryon qui se développe inégalement par ses côtés, inscrivant dans nos corps sa croissance asymétrique. Cette dissymétrie secrète, difformité en puissance, est humaine et nous relie aux autres, tandis que la symétrie nous rattache à l’inhumain. La symétrie de l’effet miroir et du reflet engendre des monstres, sortes d’anges parfois. Nous y reconnaissons ce que nous ne sommes pas, qui pourtant nous habite. Éliane Chiron, 17 septembre 2006

Horaires

DE 11 H A 19 H DU LUNDI AU SAMEDI INCLUS

Accès mobilité réduite

Oui

Adresse

Galerie du Crous 11 rue des Beaux-arts 75006 Paris 06 France
Dernière mise à jour le 2 mars 2020