Châteaux de cartes

Exposition
Arts plastiques
Florence Loewy Paris 03

Claude Closky, ‘Une femme que je n’ai pas vue à La Baule', 1995
Courtesy Laurent Godin

L’exposition Châteaux de cartes réunit les œuvres de neuf artistes contemporains à partir et autour de la carte postale.

Invention du XIXe siècle, la carte postale connut un âge d’or autour des années 1920 ; elle servait alors à se donner un rendez-vous, à se dire à peine quelques mots, parfois même d’une rue à l’autre. Bientôt supplantée par le téléphone, la carte postale a survécu à l’obsolescence en devenant ce mode de communication anodin, principalement touristique, que nous connaissons aujourd’hui. Même s’il y a une très grande diversité de cartes postales, on retrouve dans cette exposition les archétypes du genre : ce sont la carte postale de paysage, de ville, de monument, d’œuvre d’art. Il existe peu de cartes postales de portraits : le resserrement du cadre se fait sur l’objet et non sur l’être humain. Car la carte postale, contrairement à une lettre, atteste d’un « je suis ici » qui s’accompagne d’une preuve par l’image. Délicate temporalité que celle de la carte postale : celui qui écrit sait qu’elle ne sera lue que dans le temps d’après ; et pourtant, la carte postale, avec ses messages banals, offerts aux regards indiscrets du postier, ne cherche souvent pas à dire plus que cette simple affirmation d’être en un lieu. Pas étonnant, dans ce cadre, que les images des cartes postales s’attachent à représenter ce qu’on pourrait comprendre comme des points de référence visuels. Elles montrent, ou tentent de montrer, ce qu’un lieu a de meilleur à offrir au regard. La carte postale contient de ce fait une promesse : si toi aussi, tu viens ici, tu verras ce que j’ai vu.

C’est justement cette affirmation que remet en cause Claude Closky, lorsqu’il entoure la silhouette d’une baigneuse sur une carte postale représentant la plage de La Baule et note « qu’il ne l’a pas vue », soulignant l’impermanence au sein de la permanence, le passage du temps, la disparition des êtres. De même, les gros plans de documentation céline duval à l’objectif macro sur des cartes postales cherchent à identifier des regards tournés vers la caméra parmi les piétons anonymes. L’artiste capte le moment où le modèle observe l’image en train de se faire, et révèle la présence du photographe, donc d’un auteur, d’une subjectivité.

A l’intersection entre la sphère intime du souvenir et de logiques mercantiles et politiques, la carte postale diffuse une image officielle du monde et c’est souvent à ce titre qu’elle est détournée par les artistes qui s’y intéressent. Yann Sérandour associe une carte postale de la place de la Concorde à une sérigraphie de Robert Filliou réalisée à partir de la même carte postale. A l’humour de Filliou escamotant les monuments de Paris sous son chapeau (Galerie Légitime, 1969) répond la quête de Yann Sérandour pour retrouver la carte postale originale, sur laquelle on peut lire un petit mot d’une touchante simplicité adressé à une femme inconnue. Oriol Vilanova s’adresse à la dimension politique des cartes postales : il associe en diptyque deux cartes postales des pavillons russe et allemand de l’exposition internationale de 1937. Ces deux architectures fascistes et réactionnaires avaient partagé, cette année-là, le prix du meilleur pavillon ex aequo.               

La carte postale est à la fois, pour les artistes, cet objet qui leur a été donné et quelque chose qu’ils ont pris. Les annotations au stylo de Charlie Jeffery sur la surface même de l’image font coexister un fragment de pensée avec les œuvres de ses prédécesseurs (Carl André et Josef Albers), laissant planer le doute sur le lien qui peut relier l’un à l’autre. Florian Bézu s’approprie des cartes postales en les intégrant dans un travail plus large sur la surface des images, qu’il repousse vers l’abstraction. En les traitant à l’eau de javel, il fait émerger la matière même qui sous-tend l’image, et l’intègre dans une nouvelle composition plus aléatoire. Chez Mimosa Echard, Le Pèlerinage à l’Île de Cythère de Watteau se prolonge en une branche de buis comme une extension naturelle de l’image par la sculpture. Richard Fauguet détourne lui aussi des reproductions d’œuvres d’art en les associant à des détails de mangas japonais, jouant sur l’effet de surprise que peut provoquer une telle hybridation culturelle.

La carte d’Elsa Werth, enfin, avec son propre système d’accroche en 6 points, joue sur les notions d’aplomb et d’horizon. Mais ici point de représentation du monde, cet objet monochrome présente une surface de couleur neutre. L’ensemble de ces œuvres esquisse une version légère et fragile du genre pictural, qui explore au travers de l’objet carte postale les notions d’anonymat, de valeur, et d’unicité.

Horaires

du mardi au samedi, de 14h à 19h

Adresse

Florence Loewy 9-11 rue de Thorigny 75003 Paris 03 France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022