André Cadere, La barre de bois rond et ses avatars

Exposition d’œuvres du Cnap
Exposition
Arts plastiques
Espace d'art le Moulin La Vallette-du-Var

Dès son arrivée en France au printemps 1967 après qu’il eut réussi à quitter définitivement la Roumanie — nul ne sait trop par quel moyen vis-à-vis d'autorités qui brimèrent sa famille et l'empêchèrent de poursuivre des études supérieures — André Cadere (Varsovie 1934 - Paris 1978) n’eut de cesse de développer son travail ou plutôt ses activités, à un rythme effréné que l’on a peine à imaginer tant à l’époque les moyens de communication et de circulation n’étaient pas aussi facilités qu’aujourd’hui.

Avait-il une forme de prescience d’une existence qui pourrait s’interrompre prématurément et cela fut-il pour lui un mode qui l’incita à une temporalité exacerbée, démultipliée, faite de constants déplacements qui suivirent l'introduction de ces barres de bois aux segments colorés ? Il est possible de l’imaginer.

Ces voyages l'entraînèrent naturellement vers les centres artistiques européens — ainsi qu'à New York comme le montre cette exposition —  qu'il visitait pour se rendre à des vernissages d'autres artistes ou pour ses propres expositions. Il emportait un bâton avec lui, ce qui fait que son travail pouvait exister en toutes circonstances même lorsqu'il était empêché.

A titre d'exemple, à l'automne 1977, en convalescence à la suite d'une première opération, et ne pouvant se rendre à une exposition à New York à la Hal Bromm Gallery, il y participe en considérant que les déplacements qu'il opère avec la barre B 02001003 pendant la durée de l'exposition (4 octobre – 26 novembre) font partie intégrante de cette exposition collective intitulée... Moving. La fin de la lecture de ce compte-rendu quotidien nous apprend qu'il séjourna à Berre-les-Alpes puis dans les environs de Cannes…

Cadere à La Valette-du-Var, cela n'est donc pas si surprenant que cela pour un artiste qui finalement était toujours là où l’on ne l'attendait pas, tout du moins dans les premières années de monstration de la barre de bois rond, s’invitant là où il lui semblait bon d’apparaître afin de pervertir les usages du petit monde de l'art.

Finalement, au-delà d'une éventuelle stratégie sur laquelle on s'interroge aujourd'hui, Cadere n’avait peut-être qu’un seul but, celui d’appartenir à la grande communauté des artistes et d’être reconnu en tant que tel.

Preuve en est s’il le faut les innombrables rencontres qu’il put faire avec des artistes ayant des positionnements très variés et étant liés à des mouvements ou à des courants très différents les uns des autres. Cadere a littéralement eu pour projet d’habiter la scène artistique à laquelle il appartint et dans laquelle son positionnement, les questions qu'il soulevait quant à la place de l'artiste face au pouvoir des institutions et des galeries, lui donnèrent une réelle force et une légitimité à l'intérieur des débats de l'époque toujours émaillés par des frictions entre artistes ou commissaires.

Cadere fait indéniablement partie de ces personnalités artistiques aujourd’hui complètement mythiques parce que trop tôt disparues et ayant apporté des contributions majeures à l’histoire de l’art contemporain (dans le cas de Cadere, contribution qui trouve aujourd'hui dans l'actualité de nombreux prolongements), de manière fulgurante et concentrée, pensons également à Yves Klein (1928-1962) ou bien à Piero Manzoni (1933-1963).

Au crépuscule de sa vie, dans une lettre à Yvon Lambert datée du 25 mai 1978, il écrit : “On pourrait dire qu’un héros est au milieu des gens, parmi la foule, sur le trottoir. Il est exactement un homme comme les autres. Mais il a une conscience, peut-être un regard qui, d’une façon ou d’une autre, permet que les choses viennent presque par une sorte d’innocence.”

La figure du héros peut prendre différentes acceptions, elle peut rejoindre celle des grands mythes, des dieux mais aussi celle des héros du cinéma.

Relier la figure d’Ulysse, comme l'invite la thématique générale de ces expositions conçues à l'occasion de Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la culture, à celle d’André Cadere n'est pas innocent puisque les mêmes thèmes traversent la vie de l'artiste : l'histoire (la Guerre froide), l'exil (fuir le communisme), le héros, la disparition, le mythe, etc. Il est à noter que si de nombreux textes s'entendent à célébrer l'intelligence rusée d'Ulysse, les mêmes termes se retrouvent pour caractériser Cadere sous la plume de François Michaud dans sa récente étude pour l’exposition “Habiter poétiquement le monde”.

Et comment ne pas voir dans les déplacements de “l'artiste au bâton multicolore” une parenté avec le fameux roman éponyme de James Joyce (1922) dans lequel les voyages d'Ulysse sont figurés et parodiés par les déplacements de Léopold dans la ville.

Si l'attention des commissaires s'est focalisée ces dernières années sur la barre de bois rond, celle-ci ne doit pas oublier combien l'apparition de cet objet d'art d'apparence conceptuel — relié peut-être un peu hâtivement à l'art éponyme — a été accompagnée d'une attention constante au langage (voir les nombreuses pièces textuelles produites par Cadere tout au long des années 70) et qu'il avait pour ambition outre d'inscrire son auteur de plein pied dans l'art de son temps mais également celui d'être le vecteur d'un ensemble d'activités afin de susciter un débat tant sur des questions artistiques que celles liées à la société ou à la politique.
Réalisée avec le concours de nombreux prêteurs, publics et privés, français et étrangers, dont la Succession de l'artiste, l'exposition de La Valette-du-Var rassemble un ensemble exceptionnel d’œuvres et de documents donc certains sont inédits.
Ce projet intervient peu avant le premier volet d'une importante exposition qui se tiendra l'année prochaine au Museum of Modern Art in Warsaw marquant ainsi le 80ème anniversaire de la naissance de Cadere dans la capitale polonaise.

Hervé Bize

Complément d'information

FRAC – Fonds régional d’art contemporain Provence-Alpes-Côte d’Azur
Ulysses : un itinéraire d’art contemporain

Cadere fait indéniablement partie de ces personnalités artistiques aujourd’hui complètement mythiques parce que trop tôt disparues et ayant apporté des contributions majeures à l’histoire de l’art contemporain, de manière fulgurante et concentrée.
Relier la figure d’Ulysse à celle d’André Cadere n’est pas innocente puisque les mêmes thèmes traversent la vie de l’artiste : le mythe, l’histoire (la Guerre froide), l’exil, la figure du héros, la disparition etc. Et comment ne pas voir dans les déplacements de “l’artiste au bâton multicolore” une parenté avec le fameux roman éponyme de James Joyce (1922) dans lequel les voyages d’Ulysse sont figurés et parodiés par les déplacements de Léopold dans la ville ?
Réalisée avec le concours de nombreux prêteurs, publics et privés, dont la succession de l’artiste, cette exposition monographique à La Valette rassemblera un ensemble d’œuvres exceptionnelles, barres de bois rond, peintures, photographies, films, documents et rares ephemera. Elle interviendra peu avant le premier volet d’une importante rétrospective qui se tiendra au Museum of Modern Art in Warsaw marquant ainsi le 80ème anniversaire de la naissance de Cadere à Varsovie.

Commissaires d'exposition

Partenaires

MP 2013 FRAC PACA

Horaires

Du mardi au vendredi de 15h à 18h, le samedi de 10h à 12h et de 15h à 18h

Adresse

Espace d'art le Moulin 8 avenue Aristide Brian 83160 La Vallette-du-Var France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022